Dépôt d’une marque : un processus stratégique au cœur des politiques internes des Entreprises (1/3)

Le dépôt d’une marque est une action stratégique pour les entreprises. En fonction des ambitions et projets de celles-ci, l’investissement financier et humain peut être important. Pour sécuriser cet investissement, il était important que des conditions de dépôt soient fixées afin que la protection accordée à celle-ci soit efficace (I). Le caractère stratégique de l’enregistrement d’une marque se cristallise essentiellement sur la détermination du signe à déposer. Selon les enjeux (politiques, commerciaux, juridiques ou marketing) liés au projet de marque, il peut être plus ou moins essentiel pour le déposant de choisir une marque exclusivement distinctive et de définir une large protection géographique (II). Enfin, l’intérêt de la marque est relancé par l’ouverture à de nouveaux types de marques : marques olfactives, gustatives et sonores. Il va de soi que ce mouvement, bien que non défini pour le moment, va relancer le droit des marques dans la mesure où elle permet l’ouverture à d’autres projets et marchés (III). Afin de simplifier la lecture de cette analyse, celle-ci sera publiée en trois parties.

I / La marque, outil de protection des investissements réalisés

Lorsqu’une entreprise développe un nouveau produit, la question de la protection de celui-ci au travers du droit des marques peut se poser. La structure aura tout intérêt à déposer une marque si elle envisage de communiquer largement sur ce nouveau produit voire d’en faire son produit phare. Cette décision sera prise en fonction des enjeux et politiques internes de la structure. Quoiqu’il en soit, pour qu’un signe soit déposé à titre de marque, celui-ci doit répondre à différents critères (A) afin de pouvoir remplir ses fonctions (B).

 

A – Les conditions d’enregistrement d’une marque : un filtre nécessaire

La mise en place de conditions préalables à l’enregistrement d’une marque  était une nécessité. Il est important de fixer des règles afin de savoir, d’une part, ce que l’on peut déposer en tant que marque et, d’autre part, afin de ne pas créer de monopole qui pourrait exclure abusivement les concurrents.

Il existe une condition préalable et quatre conditions de validité de la marque.

Tout d’abord, l’article L 711-1 du code la propriété intellectuelle précise qu’une marque doit être « susceptible de représentation graphique». Il donne une liste non limitative de ce que peut être un signe susceptible de représentation graphique : un mot, un assemblage de mot, des chiffres ou encore des phrases musicales et des dessins. Le code est assez souple sur ce point : il suffit que le signe puisse être représenté graphiquement et compris du public visé.

Enfin, et surtout, l’enregistrement d’une marque est soumis au respect de quatre conditions de validité. Le signe doit être distinctif, dépourvu de caractère trompeur, licite et en accord avec les bonnes mœurs et bien évidemment disponible.

La notion de distinctivité recouvre deux aspects. Tout d’abord, le signe doit être intrinsèquement distinctif. Autrement dit, le signe ne doit pas être un terme nécessaire, usuel, descriptif ou en rapport avec la nature ou fonction du produit. Exemple : le signe « lotus » peut être enregistré pour désigner du papier toilette mais pas pour du thé. Cette condition vise à protéger les concurrents afin qu’ils ne soient pas exclu de l’utilisation d’un terme qui pourrait être essentiel à leur activité. Enfin, le signe doit également être distinctif d’un point de vue extrinsèque. Le consommateur doit, à la vision dudit signe, comprendre qu’il s’agit d’une marque et non d’un slogan publicitaire ou d’un élément descriptif. Pour exemple : l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) a précisé par un communiqué de presse du 13 janvier 2015 que l’expression « Je suis Charlie »  ne pouvait être déposée à titre de marque dans la mesure où celle-ci ne répond pas au critère de caractère distinctif. Celle-ci sera perçue par les consommateurs comme un mouvement de soutien et non en tant que marque désignant des produits et/ou services déterminés.

Ensuite, le signe ne doit pas être trompeur. En d’autres termes, celui-ci ne doit pas induire en erreur les consommateurs quant à la nature, la qualité ou provenance géographique du produit/service. Exemple : les marques « lavalaine » pour un produit qui n’est pas destiné à laver des vêtements en laine ou « les délices de Bretagnes » pour des produits d’origine du Pays Basque ne respectent pas cette condition. Il en va de même pour une utilisation abusive d’un IGP ou AOP.

Le signe doit également être conforme aux bonnes mœurs et aux lois applicables. A titre d’illustration, la marque « canabia » pour désigner des produits alimentaires ne pourrait être acceptée en France. Le respect de cette condition s’analyse en prenant en compte les lois et bonnes mœurs du pays sur lequel la protection est demandée. Ainsi une marque pourra être acceptée en France, mais refusée en Chine.

Enfin le signe doit être disponible. Le déposant doit s’assurer qu’il n’existe pas de droit antérieur[1] sur ce signe. Cela inclut les droits absolus (exemple un droit couvert par le droit d’auteur, un droit de la personnalité ou une appellation d’origine protégée) ainsi que les éventuels droits antérieurs relatifs. Il s’agit ici de tous les signes ayant un caractère distinctif : marque, dénomination sociale, enseigne ou encore nom de domaine[2].  A la différence des trois autres conditions de validité qui sont examinées par l’INPI[3], cette dernière condition pèse sur le déposant. Autrement dit, l’INPI ne rejettera pas ladite demande d’enregistrement même s’il existe des marques antérieures identiques ou similaires. Ce risque pèse sur le déposant qui devra, si les titulaires antérieurs réagissent, procéder au retrait de sa marque et ce même s’il a déjà lancé la production de produits estampillés de ce signe. On ne saurait donc que trop conseiller aux déposants de porter une attention particulière à cette étape afin d’éviter des pertes financières qui peuvent être importantes.

Pour mieux comprendre la nécessité de ces conditions, il est intéressant de revenir sur les rôles de la marque (B).

 

B – La marque : un acteur aux multiples rôles

La marque a deux rôles essentiels et incontestables : accorder un monopole au propriétaire sur ledit signe pour des produits/services minutieusement désignés lors du dépôt et garantir la provenance du produit[4].

Pour ce qui est du monopole[5], il faut rappeler que le droit des marques est soumis au principe de spécialité. Ainsi la marque ne sera protégée que pour les produits et services désignés lors de la procédure de dépôt. Il peut être utile de préciser qu’il existe une liste de produits et services répartis en 45 classes[6]. Le déposant peut alors choisir autant de classes qu’il le souhaite. Cependant, plus le nombre de classe choisi est important plus le tarif du dépôt sera élevé et plus le déposant prendra des risques pour l’avenir. En effet, si le déposant choisit 8 classes de produits et n’en utilise concrètement que 5, ses concurrents pourront demander la déchéance de la marque pour défaut d’exploitation[7] pour les 3 autres. Concernant le choix d’une classe, le déposant peut choisir de déposer sa marque pour l’ensemble de la classe choisi (reprendre le libellé général à l’identique) ou le restreindre (n’en prendre qu’une partie).

Exemple : une société de vins et spiritueux souhaite déposer une marque pour désigner des vins et spiritueux. Il s’agit alors de la classe 33 dont le libellé général est « Boissons alcoolisées (à l’exception des bières) ». Elle peut faire le choix de prendre ce libellé général ou de ne viser uniquement des « vins » ou « vins mousseux ». L’essentiel étant de choisir la/les classe(s) en accord avec les projets présents et futurs de l’entreprise. Cela permet de rationaliser les dépenses / investissements du déposant et ne pas bloquer abusivement l’accès aux concurrents[8].

La seconde fonction[9] est davantage tournée vers le consommateur. L’idée est de fidéliser le consommateur. Celui-ci saura par un seul regard que ce produit est fabriqué par telle société. La marque lui permet donc de renouveler son achat en rattachant le produit à une marque et donc une structure.  Ce n’est pas clairement une garantie de qualité, cependant la notion de fidélité sous-entend la notion de qualité et de satisfaction du client.

L’arrêt L’Oréal contre Bellure rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) le 18 juin 2009 a semblé élargir les rôles de la marque. Dans cette arrêt elle précise que la marque a « non seulement la fonction essentielle (…) de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service, mais également des autres fonctions (…) comme notamment celle consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d’investissement ou de publicité ». Malgré tout il semble que ces fonctions ne soient en réalité que des pendantes aux deux fonctions initiales. En effet, lorsqu’une entreprise commercialise un nouveau produit sous une nouvelle marque, celle-ci a intérêt à communiquer dessus, faire de la publicité afin que le public puisse relier le produit à la marque. Ensuite pour fidéliser le public, la société mettra tout en œuvre pour maintenir la qualité du produit. Ces trois « nouvelles » fonctions se fondent donc aisément avec les deux premières.

Nous venons de le voir, les marques sont au cœur de grands enjeux. Il était donc nécessaire de fixer des conditions de validité à l’enregistrement de ces dernières afin de protéger à la fois les déposants, les consommateurs et les concurrents. Si le dépôt d’une marque peut s’avérer primordial pour protéger un nouveau produit ou service, il n’en demeure pas moins que la détermination du signe qui sera déposé est un choix à la fois stratégique et délicat (II).

Bérénice Echelard

 

 

[1] La recherche d’antériorité, pour être complète et pertinente, doit porter sur le signe à l’identique et sur les signes similaires. Ex : Falaise en France. Le déposant devra rechercher si cette marque existe à l’identique en France pour des produits identiques ou similaires. Pour compléter sa recherche, il pourra vérifier aussi les termes falaiz, falaisia ou falèse.

[2] Les conditions d’opposition à la marque postérieure varient selon le type de droit antérieur relatif

[3] Pour les marques françaises

[4] Aussi appelée ‘garantie d’identité d’origine’ / ‘garantie de provenance’.

[5] Pour les marques françaises et européennes, la protection court pendant 10 ans.

[6] Chaque classe propose un libellé général que le déposant peut bien évidemment réduire pour protéger uniquement les produits qu’il va commercialiser. Pour consulter la liste des classes, consulter le site de l’INPI. https://bases-marques.inpi.fr/Typo3_INPI_Marques/listeClasseNice?numClasse=35

[7] Il existe une obligation d’exploiter les marques pour tous les produits/services visés lors de l’enregistrement. Cependant, il faut noter que cette obligation ne joue qu’à partir du 5eme anniversaire de la marque.

[8] La pratique des marques défensives/barrages peut être citée. Cela consiste à déposer un signe en plusieurs classes alors que le déposant ne va l’utiliser que dans une ou quelques-unes de ces classes. Le but étant de bloquer l’accès aux concurrents.

[9] Quelques illustrations de cette garantie de provenance / d’origine au travers de différents arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne : “Terrapin c/ Terranova” du 22 juin 1976 C-119/75 et “Hoffman Laroche” du 23 mai 1978 C-102/77.

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