Derniers développements sur la reconnaissance et l’exécution des sentences en Inde : White Industries Australia c/ Inde[1]


 

En 1989, White Industries Australia décide de former une joint venture avec Coal India pour le développement des mines de charbon de Piparwar. Quelques années plus tard, les objectifs de production et de qualité n’étant pas atteints, Coal India ne verse pas les bonus prévus au contrat et met en œuvre une garantie bancaire[2].

 


  

Dans ce contexte, White Industries forme une requête d’arbitrage devant la chambre de commerce internationale (CCI) le 28 juin 1999, en application d’une clause d’arbitrage CCI du contrat[3]. Le tribunal arbitral rend une sentence le 27 mai 2002 condamnant Coal India à verser 4,08 millions de dollars australiens (soit environ 3,2 M€) à White Industries[4].

 

En septembre 2002, alors que Coal India demande l’annulation de la sentence devant la High Court de Calcutta, White cherche à obtenir de son côté la reconnaissance et l’exécution de cette même sentence. Cette course contre la montre va se complexifier par la contestation des actions mutuelles et l’obtention de renvois successifs. La Cour de Delhi décide finalement de surseoir à statuer le 9 mars 2006 concernant l’exécution de la sentence et de laisser la Cour suprême se prononcer, Cour qui devait aussi se prononcer sur l’annulation[5].

 

En juin 2010, constatant la longueur des procédures et l’absence de décision, White entame des poursuites contre l’Inde en application du traité bilatéral d’investissement Inde/Australie (« TBI »). Elle considère en effet être un investisseur en Inde et ainsi pouvoir invoquer le TBI. Dans ce cadre, elle invoque notamment une violation du standard de traitement juste et équitable[6] et s’appuie sur la clause de la nation la plus favorisée du TBI pour constater une violation d’un standard contenu dans le traité bilatéral d’investissement Inde/Koweit, le standard des « moyens efficaces pour invoquer et exécuter ses droits »[7].

 

La sentence arbitrale, rendue le 30 novembre 2011, rejette le moyen fondé sur la violation du traitement juste et équitable, en ce que White devait connaître les problèmes liés à l’exécution des sentences en Inde[8] et ne caractérisait pas un déni de justice de la part des cours indiennes[9].

 

Inde

 

Le standard des moyens efficaces est en revanche repris par le tribunal[10] pour condamner l’Inde. Ce standard, plus souple que celui du traitement juste et équitable[11], permet en effet au tribunal de conclure que le délai de 9 années de procédure  caractérise un délai anormal et donc une violation du standard des moyens effectifs[12]. Le tribunal condamne ainsi l’Etat indien (et non plus la société Coal India) à verser à White 4,08 millions de dollars australiens en application de la première sentence, avec intérêt au taux de 8% à compter du 24 mars 1998 jusqu’au complet payement ainsi qu’à divers frais liés à l’arbitrage[13].

 

Cette sentence originale semble offrir un recours efficace aux investisseurs en Inde, non sur le fondement du traitement juste et équitable mais en utilisant le standard des moyens efficaces qui semble en découler et qui est plus souple[14]. Elle confirme l’emploi de la clause de la nation la plus favorisée pour invoquer le traitement le plus favorable possible des investissements, selon une logique de « treaty shopping ». Enfin et surtout, le tribunal favorise, en rendant cette sentence qui se réfère à la non-exécution d’une autre, la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales, en s’adressant directement à l’Inde et en la condamnant.

 

Cependant, il est permis de douter de l’efficacité réelle de cette sentence qui, à son tour, mettra peut être un long moment à être reconnue et exécutée en Inde. Dès lors, suite à cette sentence, un moyen efficace pour White de l’exécuter serait d’aller la faire reconnaître dans les Etats signataires de la Convention de NY et de saisir ensuite les biens Indiens dans ces Etats à hauteur du montant dû.

 

 

Martin Binder

 

 

Notes

 

[1] Sentence White Industries Australia Limited and The Republic of India, 30 novembre 2011, disponible sur le site du Investment Arbitration Reporter (www.iareporter.com/downloads/20120214/download).

 

[2] Coal India considère en effet que White Industries doit lui verser des pénalités de retard, et comme ça n’est pas fait, met en œuvre la garantie. Cf par. 3.2.24 de la sentence.

 

[3] Op. Cit. note 1, par. 3.2.18.

 

[4] Ibid. par. 3.2.33 détaillant la sentence, i.e. 2,28 millions pour les bonus non perçus, 2,77 millions pour récupérer la garantie mise en œuvre, et déduction faite des 969.060 dollars accordés à Coal India pour la non réalisation des objectifs.

 

[5] La Cour suprême est en effet saisie par White le 24 octobre 2002 afin de joindre les actions devant la Cour de Delhi et ordonner à la cour de Calcutta de surseoir à statuer sur la requête en annulation ; puis saisie à nouveau par White le 31 juillet 2004 en appel de la décision de la cour de Calcutta rejetant la demande incidente de White. Pour davantage de détails sur la procédure cf. par. 3.2.29 et suivants et par. 11.4.4 et suivants de la sentence.

 

[6] I.e. déni de justice vu les délais anormaux de jugement et vu l’obligation supposée de l’Inde de reconnaitre et d’exécuter la sentence en tant que membre de la Convention de New York de 1958 et violation des  attentes légitimes de White à cet égard. Pour plus de détails sur ce moyen, cf par. 4.3 de la sentence.

 

[7] Cf par. 4.4 de la sentence, se référant au standard des « effective means of ascertaining claims and enforcing rights ».

 

[8] Cf. par. 10.3 de la sentence. L’exemple des attentes invoquées liées au délai de jugement est parlant. Le par. 10.3.14 énonce que « With respect to White’s claimed expectation that it would be allowed to enforce any award in India “in a fair and reasonably timely manner”, White either knew or ought to have known at the time it entered into the Contract that the domestic court structure in India was overburdened ». De même, White ne pouvait s’attendre à une application efficace de la Convention de NY, le par. 10.3.12 détaillant ce point : « […] at the time the Contract was negotiated, the Indian courts were regularly entertaining set-aside applications in respect of so-called foreign awards, White’s only basis of belief that the Award might not be subject to setting aside rested in the efficacy of its and Coal India’s contractual exclusion (India was not a party) of the 1940 Act, and not on any belief as to how India would apply the NY Convention ».

 

[9] Cf. par. 10.4 de la sentence. Le tribunal applique une approche restrictive du déni de justice, notamment développée dans la sentence CIRDI Mondev International v. United States par. 102.

 

[10] Par. 11 de la sentence.

 

[11] Le tribunal l’admet dans sa sentence, au par. 11.3.2 (a) « the ‘effective means’ standard is lex specialis and is a distinct and potentially less demanding test, in comparison to denial of justice in customary international law ».

 

[12] Le raisonnement complexe du tribunal est le suivant : au regard de la demande d’exécution de la sentence seule, il n’y a pas de délai anormal et pas de violation caractérisable en ce que White n’a pas fait appel de la décision de la cour de Delhi de se dessaisir (datant de mars 2006). En revanche, concernant l’action en annulation de la sentence et la contestation de White, la cour suprême ne s’est toujours pas prononcée et le délai excède donc 9 années. C’est ce fondement qui permet de caractériser la violation du standard.

 

[13] Cf. par. 16 de la sentence.

 

[14] Ainsi, pas besoin de prouver qu’il y a épuisement des voies de recours alors que c’est en principe requis pour caractériser une violation du traitement juste et équitable (Cf. sentence CIRDI Mondev International v. United States par. 96. C’est aussi explicité au par. 11.3.2 (g) de la sentence commentée « a claimant alleging a breach of the standard does not need to prove that it has exhausted local remedies. A claimant must, however, adequately utilise the means available to it to assert claims and enforce rights. It will be up to the host State to prove that local remedies are available and the claimant to show that those remedies were ineffective or futile ».

 

Pour aller plus loin


 

White Industries vs. India : Another right of recourse for foreign investors seeking to enforce arbitral awards in India?, International Arbitration Newsflash, Hogan Lovells, Mars 2012.

 

White Industries vs. Government of India, Payaswini Upadhyay, Mars 2012

 

La norme du traitement juste et équitable en droit international des investissements, Aurélie Ercoli, mémoire disponible dans la rubrique Droit international

 

Le traitement juste et équitable de l’investissement, article disponible dans la rubrique Droit international


 

 

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