Des bonnes manières dans l’entreprise


Le manque de civisme, s’il est souvent déploré dans la sphère publique, se retrouve aussi dans l’entreprise, comme peut en attester l’actualité jurisprudentielle en droit du travail de ce premier semestre 2011. Dans la lignée de la très médiatisée décision « facebook »[1], de récents arrêts ont donc pu rappeler que l’employeur, investi du pouvoir de direction indispensable à la bonne marche de l’entreprise, doit réagir en conséquence.

 


I.   L’origine et la teneur de l’obligation de correction du salarié

A.   Les fondements de l’obligation

Le salarié dans l’entreprise, comme le citoyen dans la société, se doit de respecter une certaine idée des « bonnes manières ». Outre les normes élémentaires s’imposant à tout individu, de droit pénal notamment, quelques règles spécifiques au droit du travail viennent encadrer le comportement du salarié.

-L’obligation de bonne foi, imposée dans tout contrat par l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, pèse tout particulièrement sur le salarié, celui-ci étant inévitablement placé dans un lien de subordination envers son employeur auquel il est lié par son contrat de travail.

-Une obligation de loyauté envers son employeur est également à la charge du salarié et il a pu être jugé que celle-ci continue d’exister même au cours des périodes de suspension du contrat de travail[2].

-Signe du caractère quasi-familial de la relation qui peut exister entre le salarié et l’employeur, le salarié doit également respecter une obligation de fidélité, laquelle, supposée évidente, n’a même pas à être stipulée dans le contrat de travail[3].

-Bien sûr, l’obligation principale du salarié qu’est son devoir d’exécuter son travail selon les directives qui lui sont données, vient également borner ses agissements. Il se doit d’adopter un comportement en adéquation avec le process en vigueur dans l’entreprise.

Ce triptyque de devoirs moraux (par opposition aux devoirs matériels) impose donc in fine au salarié d’avoir un comportement sociable tant à l’égard de son employeur que des autres salariés, ce qu’il est possible de désigner comme l’obligation de correction du salarié.

B.   La double orientation de l’obligation envers l’employeur et les autres salariés

C’est d’abord envers son employeur, sous la subordination duquel il se trouve, que le salarié doit remplir cette obligation.

Ainsi, une insubordination[4], un manquement à l’obligation de réserve particulièrement prégnante pour le personnel encadrant[5] ou encore un dénigrement abusif de l’entreprise (comme dans les deux arrêts mentionnés infra) a pu être sanctionné sans que la jurisprudence n’y trouve à redire.

S’il bénéficie toujours de son droit fondamental à la liberté d’expression, le salarié reste donc enserré dans un modèle comportemental qui doit rester cordial et respectueux pour ne préjudicier en rien à la bonne marche de l’entreprise[6].

Mais cette obligation de correction du salarié ne bénéficie pas qu’à l’employeur. S’il est évident qu’elle bénéficie dans une certaine mesure aux personnes étrangères à l’entreprise, elle est aussi surtout existante à l’égard des collègues du salarié. Ceux-ci, s’ils sont des tiers au contrat de travail conclu avec l’employeur,  sont, en effet, signataires de contrats similaires avec le même cocontractant ce qui peut impliquer une relative proximité entre eux dans le cadre de l’exécution de leurs obligations. Vis-à-vis de ses collègues, l’obligation de correction du salarié se manifestera principalement par une certaine exigence de tolérance. Les interdictions de discrimination[7], de harcèlement moral ou sexuel[8] sont des exemples illustratifs de cet impératif d’un comportement respectueux et correct pour tout salarié, dans toute entreprise.

 

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II.   Réaction de l’employeur face au salarié indélicat

 

A.   Un droit ou une obligation de sanctionner le fautif

L’employeur, confronté au salarié indélicat, aura, selon les cas, le droit de sanctionner ses agissements et il aura même parfois l’obligation positive de prendre les mesures disciplinaires qui s’imposent.

Un employeur a ainsi pu décider, à bon droit, de licencier pour faute grave le salarié dénigrant publiquement l’entreprise qui l’emploie en portant un tee-shirt injurieux lors d’une journée « Portes ouvertes »[9]. Il faut dire qu’une telle action de contestation publique des méthodes de direction de l’entreprise était fortement susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de l’entreprise.  Inversement, un autre employeur se retrouve condamné à payer des dommages-intérêts pour son absence de sanction d’un salarié ayant proféré des injures à caractère raciste à l’égard d’un collègue de couleur[10]. Dans le cas d’espèce, l’employeur, contrairement à ses engagements, n’avait mené aucun interrogatoire des membres de l’établissement de restauration en cause et n’avait pas sanctionné l’auteur de tels agissements malgré leur gravité. Cette carence jugée fautive fut donc sanctionnée par la cour d’appel, le préjudice moral du salarié ayant été entretenu par ladite carence d’un employeur « qui ne peut se satisfaire d’une indélicatesse d’habitude au préjudice de l’un de ses salariés »[11].

Tout en respectant en permanence ce principe cardinal du droit disciplinaire qu’est le principe de proportionnalité, il convient donc de noter que les juges judiciaires rappellent, avec ces deux arrêts, que si l’employeur bénéficie d’un droit légitime à sanctionner le salarié publiquement incorrect et auteur d’un comportement préjudiciable pour l’entreprise, il lui appartient également de veiller à ce que les salariés remplissent tous, les uns envers les autres, leur devoir de correction.

Pour souligner la difficulté de la tâche, notons l’existence de cet arrêt qui, de manière assez originale, reconnaît que le harcèlement moral peut être constitutif d’un accident du travail…pour la personne auteur de ces agissements[12] ! Dans l’espèce en cause, l’employeur, au courant de la situation de harcèlement, avait convoqué le harceleur à un entretien préalable en vue de prendre une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. La salariée, dans ce cadre, fond en larmes et l’employeur, la jugeant inapte à travailler, lui propose de quitter l’entreprise. Le médecin du travail a alors pu, selon la cour d’appel, légitimement considérer que cette annonce brutale et soudaine a généré un choc émotionnel violent, à même de justifier l’existence d’un accident du travail.

Le lecteur pourra donc apprécier dans quelle situation cornélienne se trouve l’employeur, tiraillé entre son devoir de protéger la victime de harcèlement moral et veiller à ce que l’auteur de ces agissements soit sanctionné tout en évitant que le harceleur soit lui-même victime d’un accident du travail à l’annonce psychologiquement traumatisante de son possible licenciement pour faute !

B.   Climat social et théories managériales

 

 

L’inconvénient majeur des situations concernées par ces jurisprudences réside dans le fait que ne sont présentées ici que des réactions a posteriori de l’employeur et non des mesures préventives a priori. S’il est certain comme l’expose le fameux adage populaire qu’ « il vaut mieux prévenir que guérir », il est tout aussi sûr qu’il est plus aisé de sanctionner un comportement fautif que d’empêcher qu’il ne survienne. C’est ici qu’il convient de rappeler que de nombreuses théories portant sur les ressources humaines (RH) des entreprises ont pu être développées au sein des sciences du management. Des célèbres quatorze principes du management de Fayol[13] à la création de l’indice de capital humain par Watson Wyatt[14] mesurant l’impact d’une politique de RH sur les résultats financiers d’une entreprise, nombreuses sont les études voulant déterminer des modèles de gestion des compétences des collaborateurs d’une entreprise. Inspirée parfois des différentes cultures d’entreprises observables de par le monde, toutes révèlent que ce capital humain doit fructifier au même titre que le capital financier, avec une idée incontournable : la loyauté des salariés à leur entreprise est acquise là où les conditions de travail leur permettent de s’investir dans le projet d’entreprise dans son ensemble.

La tâche est ardue, à n’en pas douter…mais la situation actuelle permet d’espérer une certaine marge de progression.

Aurélien Rocher
 
 
Notes

[1]  Cons. Prud’h. Boulogne-Billancourt, 19 nov. 2010, B. et S. c-SAS Alten Sir ; JCP G 2010, note 1178, E. Sordet

[2]  Cass. soc., 25 juin 2002, no 00-44.001, Bull. civ. V, no 211

[3]  Cass. soc., 21 sept. 2006, no 05-41.477 P+B

[4]  Cass. Soc., 18 mai 2011, no 09-72.895

[5]  Cass. Soc., 6 avril 2011, no 09-72.520

[6]  Fréquemment mentionné dans le Code du travail, notamment dans son article R. 4614-32

[7]  Art. L. 1131-1 du Code du travail qui intègre les salariés des employeurs de droit privé dans le champ d’application du titre prohibant toute sorte de discrimination

[8]  Art. L. 1151-1 du Code du travail qui intègre les salariés des employeurs de droit privé dans le champ d’application                 du titre prohibant toute sorte de harcèlement

[9]  CA Versailles, 15ème chambre, 9 mars 2011, N°10/01982 ;F. Girard de Barros, Rébellion salariale et révolution     managériale : le tee-shirt de la discorde, N° Lexbase N4206BSL

[10]  CA Versailles, 5ème ch., 31 mars 2011, N°10/00710

[11]  CA Versailles, 5ème ch., 31 mars 2011, N°10/00710

[12]  CA Bordeaux, ch. Soc., sect. B, 3 février 2011 ; Jurisdata n°2011-002114 ; JCP G 2011, act. 291, J. Siro

[13]  http://chohmann.free.fr/fayol.htm : explication accessible et didactique rédigée par un praticien spécialisé dans les conseils en management

[14] http://www.chrmglobal.com/Articles/276/1/Human-Capital-Index.html : présentation en anglais de cet indice sur un site constituant une référence mondiale en matière de gestion des ressources humaines

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