Dossier du mois / Les fusions – acquisitions


 

1- Les nombreuses possibilités offertes aux entreprises souhaitant une restructuration 

 

 

Ce sont des considérations d’ordre économique et de gestion qui poussent une société à se restructurer et à créer des liens financiers avec d’autres sociétés. Celles-ci disposent de différents outils pour mener à bien ces opérations. Elles peuvent utiliser des techniques contractuelles (accords d’entreprise…) ou des techniques sociétaires. Les fusions-acquisitions (appelées en pratique « fusac » ou encore M&A de l’anglais Mergers and Acquisitions) s’inscrivent dans cette dernière catégorie.

Les opérations de fusion-acquisition ont pu se développer aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et ont pris leur véritable essor en Europe depuis les années 1960. De sorte que ces opérations, qui représentaient dans le monde 186 milliards de dollars en 1995, ont représenté 4500 milliards de dollars en 2007.

 

 

2- Les notions d’acquisition et de fusion

 


Pour appréhender cette matière, il convient d’opérer certaines distinctions autour des notions d’acquisition et de fusion.

 

La notion d’acquisition fait allusion à l’acquisition du contrôle d’une société. La conception de contrôle qui prévaut aujourd’hui relève notamment du droit des sociétés puisqu’il s’agit du pouvoir de décision dans la société. En effet, le Code de commerce dispose à l’article L. 233-3 qu’une société est réputée en contrôler une autre lorsqu’elle détient sur cette dernière un pouvoir de décision en droit (par exemple : détenir la majorité des droits de vote aux assemblées générales) ou en fait (par exemple : avoir le pouvoir de nommer ou révoquer les membres des organes de direction).

 

La fusion est le processus par lequel une société en absorbe une autre. La société absorbante et celle absorbée ne font plus qu’une seule et même entité. Selon l’article L. 236-2 du Code de commerce, la fusion entraîne la dissolution sans liquidation de la société qui disparaît et la transmission universelle de son patrimoine à la société bénéficiaire. Elle entraîne simultanément l’acquisition, par les associés de la société qui disparaît, de la qualité d’associés de la société bénéficiaire.

Il  faut aussi veiller à différencier la fusion d’entreprises d’opérations voisines telles que la scission ou l’apport partiel d’actifs.

 

Pour le Professeur Oppetit, la principale distinction à faire entre une fusion et une acquisition serait que la prise de contrôle par acquisition d’actions, « laisse intacte l’individualité juridique de chacune des deux sociétés, au lieu de se fondre dans une seule entité juridique ».

 

 

Wall Street

 

 

3- Les modalités d’acquisition du contrôle d’une société et la réalisation des opérations de fusion

 

Les modalités de l’acquisition du contrôle d’une société varient selon que l’acquisition résulte d’un achat de parts, d’actions non cotées ou d’un achat d’actions cotées. Lorsqu’on achète des parts dans une société de personnes, l’agrément des autres associés doit être obtenu et un formalisme lourd doit être respecté. Lorsque l’acquisition du contrôle d’une société résulte de l’achat d’actions non cotées, les actions sont librement cessibles, sauf stipulation des statuts prévoyant une clause d’agrément. Plusieurs hypothèses sont envisageables pour acquérir le contrôle d’une société par l’achat d’actions cotées. Il peut s’agir de l’achat d’actions en bourse (ramassage) ou d’acquérir par des offres publiques d’achat (OPA) ou par des offres publiques d’échange d’actions (OPE). Une offre publique est une opération initiée par une société sous la forme d’une offre faite au public de lui acheter, échanger ou vendre un certain nombre de titres d’une société. Si l’opération se réalise avec l’accord du conseil d’administration de la société cible, on parle “d’offre publique amiable”, dans le cas inverse on la qualifie “d’hostile”.  Selon l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), le nombre d’offres publiques s’inscrivant dans le contexte d’une prise de contrôle était de 23 en 2008 contre 47 en 2007.

 

Une fusion peut être effectuée de deux manières. Elle peut résulter de la création d’une société nouvelle par les sociétés existantes. Cette opération est rare. On peut citer l’exemple de la fusion entre les Caisses d’Epargne et les Banques Populaires qui a donné naissance au nouveau groupe BPCE le 3 août 2009. Elle  peut aussi résulter de l’absorption d’une société par une autre. Ce dernier procédé, dit de « fusion-absorption », est le plus fréquent en pratique. Parmi les très nombreux exemples, la fusion d’EDF qui a absorbé son homologue britannique British Energy en septembre 2008 illustre ce mécanisme.

Les opérations de fusion peuvent être réalisées entre des sociétés de forme différente. Elles sont décidées, par chacune des sociétés intéressées, dans les conditions requises pour la modification des statuts. La réalisation de l’opération de fusion est précédée d’une longue phase préparatoire au cours de laquelle les dirigeants des sociétés concernées manifestent leur volonté d’union, décident des conditions financières de l’opération ou encore, arrêtent le projet de fusion. Dans le cas où la fusion serait réalisée par voie de création d’une société nouvelle, celle-ci devrait être constituée selon les règles propres à la forme de la société adoptée.

Pourquoi choisir un mode de prise de contrôle  plutôt qu’un autre ? Quel lien existe-t-il en pratique entre les différentes opérations ? Les offres publiques permettent de réaliser rapidement des concentrations ou des restructurations d’entreprises, à un prix fixé à l’avance. Ce prix est le même pour tous les actionnaires de la société visée. Majoritaires comme minoritaires seront maintenus sur un strict pied d’égalité. A l’opposé, les fusions constituent un moyen radical de prise de contrôle d’une société sur les actifs d’une autre. Ces effets radicaux expliquent que la fusion constitue généralement la seconde étape du rapprochement de deux ou plusieurs entreprises.

 

 

4- Des enjeux pratiques considérables

 


Les opérations de fusion-acquisition sont le théâtre d’enjeux pratiques et juridiques considérables. Aux enjeux microéconomiques et sociaux qui intéressent la vie des entreprises font écho des enjeux macroéconomiques et juridiques qui peuvent bouleverser le tissu et le paysage économique d’un pays.

Les enjeux microéconomiques et sociaux sont particulièrement importants. Les opérations de fusion-acquisition renferment un certain nombre d’avantages pour les entreprises : elles peuvent permettre de réaliser des économies d’échelle, c’est-à-dire de grossir en volume pour acheter plus et ainsi obtenir auprès des fournisseurs des remises ou des conditions tarifaires plus avantageuses, ou de mettre en commun un certain nombre d’outils de productions pour diminuer les coûts (effets de synergie). Ces opérations peuvent aussi être réalisées pour des raisons fiscales : si une entreprise réalise un bénéficie important elle sera redevable d’un important impôt sur les sociétés, et la fusion avec une entreprise disposant d’un crédit d’impôt important lui permettra de diminuer son imposition.

Les fusions-acquisitions posent de nombreuses difficultés au sein des entreprises. Ainsi, selon le Cabinet McKinsey seules 35 % des fusions peuvent être considérées comme des succès. Les absorptions trop nombreuses peuvent être mal digérées par la société absorbante qui sera confrontée à des problèmes de gouvernement et de direction, alors que la constitution de filiale au sein d’une structure mère-fille semble offrir plus d’adaptabilité et de souplesse. Par ailleurs, le plus souvent, les différences de cultures d’entreprises persistent et les équipes ont des difficultés à s’intégrer (les cas d’Airbus et d’Alcatel-lucent sont souvent cités). La politique des ressources humaines du groupe se trouve au cœur de certaines luttes avec les syndicats : les licenciements et les changements de postes sont alors âprement discutés. La loi du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions du personnel a ainsi posé l’obligation d’informer et de consulter le comité d’entreprise sur toutes les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, questions que l’on retrouve en cas de fusion-acquisition.

Les opérations de concentration ont également une incidence sur les tiers et sur les associés des sociétés concernées Les créanciers des sociétés parties à l’opération de concentration peuvent ainsi perdre un débiteur solvable. Les associés minoritaires peuvent également se voir imposer une vente ou un échange de leurs parts ou actions à des conditions désavantageuses. Il convient donc d’informer et de protéger tous ceux qui pourraient apparaître lésés du fait de l’opération.

 

 

Croissance

 

 

Les enjeux macro-économiques et juridiques sont tout aussi importants. Les concentrations peuvent donner naissance à de très grands groupes qui à l’issue des opérations possèdent d’importantes parts de marché dans un ou plusieurs secteurs donnés. Le contrôle des concentrations apparaît alors nécessaire pour éviter que le renforcement de la puissance d’entreprise ne fausse le jeu de la concurrence. En conséquence, une réglementation précise quant au contrôle des concentrations est prévue aux articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce (modifié en dernier lieu par la loi du 4 août 2008 dite loi de modernisation de l’économie ou LME, cf. pour aller plus loin) et par le règlement du 20 janvier 2004. Le Code de commerce donne une définition large de l’opération de concentration et prévoit trois conditions pour appliquer un contrôle (C.Com art. L. 430-2): le chiffres d’affaires mondial hors taxe de l’ensemble des parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros ; le chiffre d’affaires hors taxe réalisé en France par deux au moins des parties à la concentration est supérieur à 50 millions d’euros ; l’opération n’entre pas dans le champ d’application du règlement européen du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises. En effet, au niveau européen la Commission européenne exerce également un contrôle.

 

 

5- Une matière en constante évolution

 


Les opérations de fusion-acquisition sont, du point de vue des règles applicables, en constante évolution. Les législations y afférents le montrent bien. Divers exemples de cette évolution constante peuvent être donnés.

Les fusions transfrontières sont des opérations de fusion conclues entre des sociétés ayant leurs sièges sociaux dans des États différents. Jusqu’à une époque récente, elles n’étaient pas appréhendées par le droit des sociétés. Il y a quelques années, la presse a révélé que certaines fusions transfrontières avaient été réalisées. On peut donner l’exemple notamment, de deux filiales françaises absorbées par leurs sociétés mères (cas des fusions réalisées par Barclays Bank et par Sema Group). La difficulté semble aujourd’hui en partie réglée sur le plan communautaire puisque la directive du 26 octobre 2005 transposée en France par la loi du 3 juillet 2008 et un arrêt Sevic de la CJCE du 13 décembre 2005, ont considéré les fusions transfrontières comme une composante du principe de libre établissement protégé par le traité CE (cf. pour aller plus loin). La loi LME du 4 août 2008 a quant à elle créé une nouvelle section relative aux fusions transfrontières dans le chapitre consacré aux fusions et aux scissions des sociétés commerciales.

Différentes conceptions ont longtemps coexisté au plan communautaire en matière d’OPA dans les Etats membres. Dans la perspective de libéralisation totale du marché des capitaux, une harmonisation des législations s’imposait. A cette fin, la 13ème directive du 21 avril 2004 a été adoptée (cf. pour aller plus loin). Elle tend à faciliter les offres publiques transfrontières en fixant un minimum de règles communes destinées à protéger les intérêts des actionnaires et des tiers.

La volonté d’améliorer la transparence des marchés s’est manifesté de différentes manières afin, notamment, de permettre aux investisseurs de savoir à quelles sociétés ils peuvent s’intéresser. Diverses lois sont intervenues pour améliorer les informations à fournir en cas d’existence de liens entre sociétés. On peut s’intéresser aux plus récentes telles que les lois NRE du 15 mai 2001, Breton du 26 juillet 2005 ou encore l’ordonnance du 30 janvier 2009 (cf. pour aller plus loin) qui ont successivement perfectionner la réglementation en matière de franchissement de seuils, ajouté des seuils à déclarer par les acquéreurs d’actions et étendu le régime des déclarations de franchissement de seuils à certains produits financiers dérivés. De sorte qu’aujourd’hui la personne qui viendrait à posséder un nombre d’actions représentant plus de 5, 10, 15, 20, 25, 33, 50, 66, 90 et 95 % du capital ou des droits de vote d’une société dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé doit en informer cette dernière ainsi que l’AMF.

 

 

AMF Autorité des marchés financiers

 

Conclusion

 

Au cours de cette présentation, on a pu voir que les opérations de fusion-acquisition étaient à la fois omniprésentes dans la vie des affaires, difficiles à cerner au premier abord, polymorphes ou encore entourées par une législation évoluant sans cesse et tentant de répondre au mieux aux exigences des acteurs économiques. C’est également un domaine dans lequel les enjeux économiques, sociaux et juridiques sont considérables. Avec la crise économique et financière, les opérations de restructuration ont été moins fréquentes. Il semblerait néanmoins que certaines opérations importantes soient intervenues dernièrement. Peut-être est-ce un signe de reprise dans ce domaine. Les exemples du rachat d’ACS par Xerox au mois de septembre 2009, du rachat par Nestlé de l’activité pizzas surgelées de Kraft en janvier 2010, de la vente par Nestlé du contrôle d’Alcon à Novartis également en janvier ou encore de la prise de contrôle aujourd’hui de Geoservices par Schlumberger peuvent être donnés.

 

 

Anne-Laïla Abback

Myriam Epelbaum

Stéphane de Freitas

Martin Jaunait

 

 

Pour en savoir plus

 

L. n° 2001-420, 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques dite loi NRE : JORF n° 113 16 mai 2001, p. 7776 ; V. notamment L. Idot, La deuxième partie de la loi « NRE » ou la réforme du droit français de la concurrence : JCP G 2001, I, 343 ;

 

Règl. 139/2004, 20 janv. 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.- V. Rapport sur l’application du règlement sur les concentrations : Contrats Conc. Consom. 2009, alerte 52 ; 

 

PE et cons. UE, dir. n° 2004/25/CE, 21 avr. 2004, concernant les OPA : JOUE n° L. 142/12, 30 avr. 2004, p. 12 ;

 

L. n° 2005-842, 26 juill. 2005, pour la confiance et la modernisation de l’économie dite loi Breton : JO 27 juill. 2005, p. 12152 ;  

 

CJCE, gr. Ch., 13 déc. 2005, aff. C-411/03, Sevic : JCP G  2006, II, 10077, note R. Dammann  ; 

 

Dir. n° 2005/56/CE, 26 oct. 2005, relative aux  fusions transfrontalières des sociétés de capitaux : JOUE n° L 310, 25 nov. 2005, p. 1, transposée en droit français par L.  3 juill. 2008 : JO 4 juill. 2008, p. 10705 ; Aperçu rapide M. Menjucq, Adoption de la directive sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux : JCP G 2006, act. 1 ;

 

L. n° 2008-776, 4 août 2008, loi de modernisation de l’économie ou LME : JO 5 août 2008, p. 12471 ; V. not. M. Chagny, Une (r)évolution du droit français de la concurrence ?  – À propos de la loi LME du 4 août 2008 : JCP G 2008, I 196 ;

 

Ord. n° 2009-105, 30 janv. 2009 relative aux rachats d’actions, aux déclarations de franchissement de seuils et aux déclarations d’intentions ; V. not. Aperçu rapide G. Notté, Rachats d’actions, déclarations de franchissement de seuils et déclarations d’intentions. – À propos de l’ordonnance du 30 janvier 2009 : JCP G 2009, act. 71.


 

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