Brexit : Non, le Parlement britannique n’est pas un rempart contre la sortie de l’UE !

      Le Parlement britannique a finalement dû être consulté sur la notification de l’article 50 du Traité sur le l’Union européenne (TUE), prélude nécessaire à la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne. Cependant, l’issue ne fait guère de doutes : la sortie du Royaume-Uni sera approuvée. 

À la suite de la décision Miller[1], rendue par la Cour suprême, le Gouvernement britannique a déposé un projet de loi (European Union Notification of Withdrawal Bill) visant à permettre la notification du retrait de l’Union européenne.

Très succinct, le texte ne préjuge en rien des modalités de sortie qui seront négociées entre le Royaume-Uni et les autres États membres. Actuellement en seconde lecture à la Chambre des Lords, le projet de loi devrait être définitivement adopté au début du mois de mars.

En effet, dans sa décision Miller v. Secretary of State for Exiting the European Union (rendue le 24 janvier 2017) la Cour suprême du Royaume-Uni a, dans un contexte très tendu, confirmé le jugement rendu par la Haute Cour de Londres[2]. Les juges ont dû faire face à une campagne violente de certains tabloïds qui n’ont pas hésité à les dépeindre en « ennemis du peuple » (en une du Daily Mail[3]). Mais la Cour suprême a rappelé l’un des principes constitutionnels essentiels du droit britannique : le Parlement est souverain, c’est-à-dire que lui seul peut « faire et défaire »[4] les lois qu’il a édictées.

I- Le Gouvernement face à la souveraineté du Parlement

 

      Le gouvernement de Theresa May souhaitait pouvoir notifier au Conseil européen l’intention du Royaume-Uni de sortir de l’Union européenne (art. 50 TUE) mais sans consulter le Parlement national. Il soutenait dès lors que le pouvoir de conclure des traités et de s’en retirer relevait de sa prérogative.

En effet, la conduite des affaires étrangères du Royaume relève traditionnellement de l’exercice de la prérogative royale, notamment en ce qui concerne la conclusion de traités et accords internationaux[5]. La prérogative royale était originellement exercée par le monarque et recouvrait des pouvoirs qui n’étaient soumis ni au Parlement ni aux tribunaux. Elle est aujourd’hui en perpétuel recul et fortement conditionnée : elle ne peut intervenir que dans les domaines non couverts par la loi et peut notamment faire l’objet de recours.

Mais, en l’espèce, la loi de 1972 relative aux Communautés européennes (European Communities Act) a incorporé les traités européens en droit britannique conformément au dualisme en vigueur au Royaume-Uni. Selon cette théorie, les ordres juridiques interne et international étant séparés, une règle de droit international n’est applicable en droit interne qu’à la condition que son contenu soit transposé par un acte interne. Au contraire, dans les systèmes monistes, le droit international est directement applicable en droit interne car il n’y a qu’un seul ordre juridique[6]. Le droit de l’Union européenne a ainsi été rendu applicable en droit interne par la loi de 1972. Dès lors, la question du retrait de l’Union européenne ne pouvait pas être assimilée à la simple conduite des relations internationales britanniques entrant dans le champ de la prérogative royale.

La Cour suprême a donc considéré que : « bien que l’article 50 opère sur le terrain du droit international, il est communément admis que, parce que les traités de l’Union européenne s’appliquent en tant que faisant partie du droit britannique, notre droit interne sera modifié en raison de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et les droits dont jouissent les résidents britanniques, en vertu du droit de l’Union européenne, en seront affectés » (§69). Elle reprend ainsi l’argumentation, développée par la Haute Cour de Londres, selon laquelle la notification de l’article 50, impliquant nécessairement la sortie de l’Union européenne, entraînerait de facto une abrogation implicite de la loi de 1972.

Or, seul le Parlement peut modifier une loi qu’il a adoptée, en vertu du principe constitutionnel de souveraineté du Parlement. De plus, ladite loi a créé des droits pour les citoyens britanniques et les résidents européens au Royaume-Uni.  Dans le jugement, dont le Gouvernement a fait appel devant la Cour suprême, les juges de la Haute Cour ont estimé que les requérants étaient « fondés à considérer qu’il serait surprenant que ces droits soient simplement modifiés par l’action de la Couronne en vertu de ses pouvoirs de prérogative »[7].

 

II- La valeur politico-symbolique du référendum au Royaume-Uni

 

        L’arrêt de la Cour suprême est également intéressant concernant la nature du référendum sur la sortie de l’Union européenne qui s’est tenu le 23 juin 2016.

Cet instrument ne fait traditionnellement pas partie de la culture juridique britannique qui est fondée sur la souveraineté du Parlement et non du peuple. Il se développe néanmoins, et a été utilisé à plusieurs reprises, notamment à propos des relations avec l’Union européenne (référendum sur l’appartenance aux communautés européennes en 1975) ou encore de la dévolution, c’est-à-dire le transfert de certaines compétences aux institutions des pays (Écosse, Pays de Galles et Irlande du Nord) composant le Royaume-Uni.

La Cour suprême a jugé que « le référendum de 2016 n’a pas modifié le droit d’une manière à habiliter les ministres à retirer le Royaume-Uni de l’Union européenne sans faire usage de la législation. Mais cela ne signifie pas qu’il soit dénué d’effet. Cela signifie qu’à moins qu’il ne soit entériné par le Parlement sa force est politique plutôt que juridique » (§124).

La Haute Juridiction rappelle ainsi que le référendum a certes une valeur politique très importante, dans un État démocratique comme le Royaume-Uni, mais qu’il est dépourvu de valeur légale en droit britannique. La Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles l’avait également jugé, ce qui lui avait attiré les foudres de commentateurs politiques et de journalistes critiquant une atteinte à la démocratie.

Or, la démocratie parlementaire britannique s’exerce au sein du Parlement, composé de la Chambre des communes, de la Chambre des Lords et du Monarque qui promulgue la loi. Un vote populaire ne donne pas un blanc-seing au Gouvernement pour modifier une loi car il ne dispose pas de cette compétence juridique.

Nul doute cependant que les parlementaires ont pris, et prendront en compte, le suffrage populaire dans leur vote sur la sortie de l’Union européenne, les partisans du Brexit disposant d’une courte majorité à la Chambre des communes. Les débats risquent toutefois d’être houleux concernant les modalités d’une telle sortie, après l’annonce par le Premier ministre, Theresa May, de sa volonté de sortir totalement de l’Union européenne sans exiger un maintien de l’accès au marché unique (confirmation de l’hypothèse dite de « Hard Brexit »).

 

III- L’absence d’obligation de consulter les assemblées écossaise, nord-irlandaise et galloise

 

     Le seul motif de satisfaction pour le Premier ministre britannique consiste dans le fait que les Parlements du Pays de Galles, d’Écosse et d’Irlande du Nord n’auront pas à être consultés sur la procédure de notification du retrait de l’Union européenne.

Les trois pays bénéficient pourtant d’une large autonomie en vertu des lois dites de dévolution, adoptées en 1998[8], qui ont institué dans chacun une assemblée législative ainsi qu’un Gouvernement dirigé par un Premier ministre. Ces Parlements disposent d’une compétence législative exclusive dans certaines matières énumérées dans la loi.

Mais la Cour suprême a considéré que ces assemblées n’avaient pas une « compétence législative parallèle » à celle du Parlement britannique en matière de retrait de l’Union européenne. En effet, « les relations avec l’Union européenne, comme les autres matières relevant des affaires étrangères, sont des pouvoirs réservés (reserved or excepted) dans le cas de l’Écosse et de l’Irlande du Nord, et non dévolus (not devolved) dans le cas du Pays de Galles »[9]. La question de la sortie de l’Union européenne est donc une compétence exclusive du Parlement britannique selon la Cour suprême.

La consultation des assemblées créées par la dévolution aurait compliqué la tâche de Theresa May en raison de l’opposition au Brexit qui règne en Écosse et en Irlande du Nord. Le Parlement écossais s’est prononcé symboliquement, le 7 février dernier, contre le projet de loi britannique visant à notifier l’article 50 du TUE (European Union Notification of Withdrawal Bill). Un nouveau référendum d’indépendance semble donc se profiler, le Gouvernement écossais ayant publié, dès octobre 2016, un avant-projet de loi sur un second référendum[10]. Les autorités écossaises devront néanmoins obtenir l’accord de Londres pour pouvoir le mettre en œuvre. La question risque également de se poser, à un degré moindre pour l’instant, en Irlande du Nord.

      La Chambre des communes et la Chambre des Lords devraient rapidement permettre la notification formelle du Brexit à l’Union européenne après l’adoption finale de l’European Union (Notification of Withdrawal) Bill. Les députés britanniques de la Chambre basse se sont déjà prononcés à une large majorité pour son adoption (498 contre 114). Une fois définitivement adoptée puis promulguée (avec le royal assent), rien ne sera en réalité réglé.

Les négociations entre Londres, les institutions européennes et les États membres promettent d’être longues. L’avenir du droit de l’Union européenne au Royaume est ainsi particulièrement incertain. Le Gouvernement a d’ores-et-déjà annoncé qu’une grande loi réformant le European Communities Act de 1972[11] sera présentée aux deux chambres au moment de la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne. L’affrontement parlementaire et les divisions partisanes risquent alors d’être bien plus intenses par rapport à ce que Westminster a connu lors du vote d’un projet de loi qui ne faisait qu’entériner la volonté populaire exprimée lors du référendum du 23 juin 2016.

 

Pascal GUILLON

[1] 2017 UKSC 5, Miller v. Secretary of State for exiting the EU

[2] 2016 EWHC 2768, Miller v. Secretary of State for exiting the EU.

[3]http://www.dailymail.co.uk/news/article-3903436/Enemies-people-Fury-touch-judges-defied-17-4m-Brexit-voters-trigger-constitutional-crisis.html

[4] A. V. DICEY, Introduction to the study of the law of the Constitution, 1889.

[5] Lord Templeman, in JH Rayner Ltd v Department of Trade and Industry, (1990), 2 AC 418.

[6] Le monisme pouvant être « à primauté du droit interne », si l’on estime qu’il est la source première, ou « à primauté du droit international », si l’on considère que le droit interne découle de celui-ci. Cf. D. ALLAND, Manuel de droit international public, Puf Droit, §154-155.

[7] EWHC, R Miller v. Secretary of State for the Exiting the EU, §66.

[8] Il y a le Scotland Act, le Government of Wales Act et le Northern Ireland Act.

[9] 2017 UKSC 5, §129.

[10] http://www.gov.scot/Resource/0051/00510743.pdf

[11] Great Repeal Bill annoncé par Theresa May dans son discours du 2 octobre 2016. Cf. House of Commons Library, Briefing paper N° 7793 21 November 2016, Legislating for Brexit : the Great Repeal Bill.

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