Confiance dans la vie politique : Révolution ou règne des apparences ?

     Premières grandes lois du quinquennat Macron, les lois ordinaire et organique de confiance dans la vie politique ont été, pour l’essentiel, validées par les Sages le 8 septembre 2017[1].

Si ces décisions n’ont pas remis en cause les grands axes du Gouvernement, la réforme est-elle réellement à la hauteur de la Révolution promise par l’Exécutif, surtout si la révision constitutionnelle envisagée ne voit pas le jour ?

I- Principaux axes de la réforme

 

Loi ordinaire n° 2017-1339

Loi organique n° 2017-1338

 

1.  L’interdiction des emplois familiaux :

·         Pour les membres du Gouvernement (art. 11)

·         Pour les parlementaires (art.14)

2.       L’obligation pour les parlementaires[2] de :

·         Se déporter lorsqu’ils sont en situation de conflit d’intérêts entre un intérêt public et des intérêts privés (art.3)

·         Déclarer les fonctions exercées par leurs collaborateurs au sein de partis ou de groupements politiques (art.13)

3.       La suppression de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) remplacée par le remboursement sur présentation de justificatifs (art.20)

 

4.       La possibilité pour le Président de la République de demander des informations sur les personnes dont la nomination comme membre du Gouvernement est envisagée auprès du président de la HATVP (art.22)

 

5.       L’application d’une peine complémentaire d’inéligibilité (10 ans maximum) pour toute personne coupable d’un crime ou d’un des délits énumérés à l’article 131-26-2 du code pénal (art.1)

 

6.       La création du médiateur du crédit pour faciliter le dialogue entre les candidats à un mandat électif, les partis politiques et les établissements de crédit/sociétés de financement (art. 28).

 

1.      Dans le cadre de l’élection présidentielle :

·         L’obligation pour les candidats de remettre au Conseil constitutionnel une déclaration d’intérêts et d’activités rendue publique par la HATVP au moins 15 jours avant le premier tour (art. 1)

·         L’obligation pour le Président de la République de déposer une déclaration de situation patrimoniale entre 5 et 6 mois avant l’expiration de son mandat (art. 1)

 

2.       L’obligation pour les parlementaires de :

·         Se mettre en conformité avec leurs obligations fiscales à peine d’inéligibilité selon la gravité du manquement (art.4)

·         Faire figurer dans leur déclaration d’intérêts et d’activités leurs participations financières directes ou indirectes qui confèrent le contrôle d’une entité dont l’activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseil (art.6)

 

3.       L’interdiction pour les parlementaires :

·         D’acquérir le contrôle d’une entité dont l’activité consiste principale dans la fourniture de prestations de conseil (art.9)

·         D’exercer l’activité de représentant d’intérêts pour des organismes inscrits dans le répertoire rendu public par la HATVP[3] (art.10)

 

4.       La fin de la réserve parlementaire (art.14)

 

Focus 1 : Une réforme entre vitesse et précipitation

     Les affaires ayant marqué la campagne présidentielle, la moralisation de la vie publique est rapidement apparue comme l’une des priorités du Gouvernement dans la droite lignée des lois d’octobre 2013 sur la transparence de la vie publique[4]. L’intitulé initial du projet de loi en disait long sur les espoirs que le Gouvernement plaçait en cette réforme qui visait à « rétablir la confiance dans l’action publique ». L’Assemblée générale du Conseil d’État, dans son avis du 12 juin 2017[5], a estimé que l’emploi de ces termes était « susceptible de donner lieu à des interprétations inappropriées ». Les débats parlementaires ont finalement permis d’arriver à l’intitulé actuel, « pour la confiance dans la vie politique », la réforme concernant essentiellement les parlementaires et les membres du Gouvernement, et non la déontologie des fonctionnaires[6].

Ces changements démontrent un certain tâtonnement de l’Exécutif pressé par le calendrier au prix d’approximations. Le Conseil d’État s’est d’ailleurs montré critique sur la qualité de l’étude d’impact transmise en relevant, pour les deux lois, qu’elle ne répondait « qu’en partie aux exigences » de la loi organique[7], et en insistant sur le fait qu’elle avait été « transmise seulement […] la veille de l’examen du projet ». Pour une institution qui cultive l’art de l’euphémisme, l’audace est à souligner.

La réforme a également essuyé les plâtres de la nouvelle Assemblée. En réaction aux séances parfois chaotiques dans l’hémicycle, certains députés ont tenté d’obtenir la censure constitutionnelle pour « méconnaissance de l’exigence de clarté et de sincérité des débats parlementaires ». En cause, un vote à main levée pendant lequel la majorité a été appelée à voter trois fois en faveur de l’article – perdue dans ses consignes de vote – alors que l’opposition n’a pas pu entendre, pour une partie du moins, l’appel à voter contre l’article. Ce dernier avait été considéré comme adopté malgré les rappels au règlement. Les Sages ont estimé qu’il ne ressortait « pas des travaux parlementaires que la clarté et la sincérité des débats en aient été altérées ». Il est vraisemblable que l’article aurait été adopté, mais l’argument était symbolique.

Focus 2 : La réserve ministérielle, un cadeau en trompe l’œil

      Alors que les débats faisaient rage sur la réserve parlementaire, le Gouvernement a fait certaines concessions apparentes dont la suppression de la réserve ministérielle. Véritable mythe déchaînant les passions, la réserve parlementaire n’était en réalité qu’une pratique sans fondement normatif. Elle reposait sur « un engagement du Gouvernement envers les parlementaires d’exécuter le budget […] conformément aux demandes formulées par eux se traduisant par l’adoption d’amendements gouvernementaux au projet de loi de finances »[8]. Cette pratique était un moyen de contourner le redoutable article 40 de la Constitution qui interdit aux parlementaires de déposer une proposition de loi ou un amendement occasionnant « la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

Si la suppression de la réserve parlementaire a été validée avec une réserve d’interprétation portant sur le respect du droit d’amendement (art. 44 de la Constitution), celle de la réserve ministérielle a été censurée par le juge constitutionnel. En effet, l’article 15 de la loi organique conduisait à interdire au Gouvernement « d’attribuer des subventions aux collectivités territoriales et à leurs groupements ».

Or, la limitation de ses prérogatives par le législateur se heurte frontalement au principe de séparation des pouvoirs consacré par l’article 16 de la Déclaration de 1789, mais également aux pouvoirs conférés par l’article 20 de la Constitution qui dispose que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. » Finalement, l’Exécutif aurait eu tort de ne pas céder compte tenu de la censure prévisible des Sages au détriment du Parlement qui n’a pas perçu que « se trop ériger en négociateur n’est pas toujours la meilleure qualité pour la négociation » (Cardinal de Retz).

Focus 3 : Troubles sur les emplois familiaux

     La question des emplois familiaux a fait couler beaucoup d’encre dans l’hémicycle, certains parlementaires mettant en garde contre leur assimilation à des emplois fictifs. Le juge constitutionnel a estimé que l’interdiction ne remettait pas en cause l’autonomie des parlementaires dans le choix de leurs collaborateurs. On appréciera l’argument tiré de la violation du respect au droit de la vie privée « en contraignant une personne à dévoiler sa paternité », également rejeté.  S’ils sont désormais interdits par la loi du 15 septembre 2017, se développent au Parlement les emplois croisés, qui sont eux parfaitement légaux.

L’article 14, anticipant cette situation, prévoit que le collaborateur parlementaire ayant un lien familial avec un autre député ou sénateur est tenu d’en informer sans délai le député ou le sénateur dont il est le collaborateur, le bureau et l’organe chargé de la déontologie parlementaire qui dispose d’un pouvoir d’injonction afin de faire cesser toute situation irrégulière.

Néanmoins, la loi montre déjà ses limites. S’il aurait été théoriquement possible de vérifier l’effectivité des emplois, ou de créer un statut des collaborateurs parlementaires[9], interdire les emplois familiaux, de manière si large, peut difficilement devenir une réalité, mais a le mérite de ménager les apparences. Une vérité demeure, on préfère toujours laver son linge sale en famille.

Laure MENA

Le Petit Juriste, Numéro 43, Décembre 2017

[1]CC, n° 2017-752-DC/ n°2017-753-DC, 8 septembre 2017.

[2]Les dispositions sont étendues aux sénateurs (art. LO.297 du code électoral).

[3]Répertoire créé par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (Sapin II).

[4]Loi organique n°2013-906 et loi n°2013-907 du 11 octobre 2013.

[5]CE, Ass., avis n° 393324, 12 juin 2017.

[6]Une mission d’information relative à la déontologie des fonctionnaires a été créée le 2 août à l’Assemblée nationale.

[7]Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009.

[8]CC, n°2017-753-DC, 8 septembre 2017.

[9]Cette réflexion est en cours dans l’un des groupes de travail portant sur la réforme de l’Assemblée.

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