Les dessous opaques de la Première dame

      Alors que l’on annonçait la création d’un statut pour le conjoint du Président de la République, la pression citoyenne a eu raison des promesses du candidat Macron. Après que ce dernier ait réitéré sa volonté de créer un statut juridique à Brigitte Macron, une pétition contre cette mesure a recueilli plus de 300 000 « soutiens »[1]. Les craintes étaient en réalité moins liées à la reconnaissance explicite du rôle de la Première dame qu’à l’ouverture de nouveaux crédits budgétaires dans un contexte toujours placé sous le sceau de l’austérité.

C’est finalement une simple charte qui a été publiée sur le site de l’Élysée le 21 août dernier, détaillant les missions assignées à Brigitte Macron, mais également les moyens accordés pour remplir ces dernières. Il faut préciser que si les conjointes des anciens présidents ont toujours joué un rôle, aucun texte (Constitution, loi, décret …) ne prévoyait les modalités d’exercice de leur fonction, et ce malgré l’affectation de moyens publics. La France ne faisait pas figure d’exception, puisque l’Allemagne ou le Royaume-Uni n’ont pas créé de statut spécifique.

Cette charte « de transparence », qui, par essence, n’a aucune valeur juridique, a simplement vocation à préciser le rôle qu’aura Brigitte Macron pendant le quinquennat. Si cet effort de transparence peut être jugé louable, la charte n’apporte que peu d’informations supplémentaires par rapport à celles qui sont déjà connues du grand public : finalement simplement de quoi faire taire les fantasmes de certains sur les dessous de la fonction de Première dame.

La véritable question, celle des moyens, ne figure en réalité pas dans la charte publiée, mais bien dans les comptes de la présidence de la République. Comme quoi derrière la transparence peut se cacher l’opacité.

I-  Les missions assignées à la Première dame

 

En préambule, la charte précise que « le conjoint du Président de la République exerce, en vertu tant de la tradition républicaine que de la pratique diplomatique, un rôle de représentation, de patronage et d’accompagnement du Chef de l’État dans ses missions ».

Pour que les citoyens puissent suivre l’action de la Première dame, la charte prévoit la publication mensuelle d’un « récapitulatif de [son] agenda », ainsi que d’un bilan régulier de son action.

A) Un rôle de représentation tant à l’échelle nationale qu’internationale

 

Ce rôle de représentation est décliné en plusieurs sous-missions :

  • La représentation de la France « lors des sommets et réunions internationales »:

Il s’agit là de la reconnaissance d’un rôle traditionnel de représentation de la Première dame, qui sans avoir un rôle politique majeur, fait figure de représentante de l’image de la France à l’international.

La charte va jusqu’à préciser que Brigitte Macron accompagnera son époux lorsqu’elle sera « officiellement invitée par les organisateurs », et ce comme « tous les conjoints de chefs d’État ou de chefs de Gouvernement ». À croire que l’on avait peur que la Première dame française ne n’impose sans être « officiellement invitée » … L’on voit en réalité mal l’intérêt de cette précision.

Par ailleurs, afin de montrer le rôle mineur joué par la Première dame dans ce type d’événement, la charte va jusqu’à prévoir que sa participation sera limitée au « programme officiel propre aux conjoints », juste au cas où l’on aurait peur que Brigitte Macron se mélange aux Chefs d’État étrangers …

  • La mise en œuvre d’ « actions nationales et internationales »

La charte ouvre également la faculté pour la Première dame de prendre part à des « actions nationales et internationales mises en place avec d’autres conjoints de Chefs d’État ».

Cet investissement personnel de la Première dame pourra, selon la charte, être relatif à la lutte « contre le changement climatique ou encore les violences faites aux femmes et aux enfants ». Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Néanmoins, l’on ne pourra nier le caractère assez caricatural des causes citées …

  • Le maintien du lien avec les Français

Ce lien sera maintenu par deux types de moyens.

D’une part, par la rencontre des Français et des personnalités françaises et étrangères « qui souhaitent la rencontrer » :

La charte indique que Brigitte Macron reçoit « chaque jour plus d’une centaine de courriers, auxquels s’ajoutent les courriels et les appels téléphoniques ».  Il est précisé qu’elle répondra à l’ensemble des sollicitations (par courrier ou par des rencontres). On peut penser que c’est l’une des tâches qui nécessitera le plus l’aide de collaborateurs (voir infra).

D’autre part, par le soutien de manifestations à caractère caritatif :

Ce soutien pourra concerner différents types de manifestations culturelles ou sociales, ou participant au rayonnement international de la France, et ce dans les domaines « du handicap, de l’éducation, de la santé, de la culture, de la protection de l’enfance ou encore de l’égalité homme-femme ».

Ce rôle, que Brigitte Macron a annoncé vouloir tenir pendant la campagne présidentielle, est mis en exergue dans la charte puisqu’il est précisé que « [dans] la ligne des priorités fixées par le Président de la République pour son quinquennat, Madame Brigitte Macron sera également chargée de maintenir un lien continu d’écoute et de relations avec les acteurs de la société civile ».

Pour s’assurer de la clarté du message, il est également précisé que la Première Dame sera « amenée à soutenir les initiatives publiques ou privées qui permettent à la société française d’être plus inclusive face aux différences ».

B) Un rôle d’accompagnement du Chef de l’État dans ses missions

 

La Première dame, Brigitte Macron, en tant qu’épouse du Président de la République, aura évidemment un rôle d’accompagnement de ce dernier dans le cadre des missions qui lui incombent au regard de la Constitution (Titre II : Le Président de la République).

Cette participation concernera surtout les missions classiques découlant de l’article 5 de la Constitution qui dispose qu’il « veille au respect de la Constitution », « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat », « est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ».

Par ailleurs, au-delà de cet accompagnement quotidien, Brigitte Macron pourra se voir confier des « missions particulières de réflexion et de propositions ». Afin d’éviter les suspicions, la charte précise qu’elles feront l’objet d’une publicité sur le site Internet de la présidence de la République.

II- Les moyens affectés aux missions de la Première dame

 

Il s’agissait du sujet brûlant en la matière, finalement éteint par l’absence de création d’un véritable statut de Première dame, et donc d’un budget propre. Mais en réalité, le diable se cache dans les détails.

A) L’absence de budget propre et de rémunération attachés à la fonction de Première dame

 

En effet, la charte précise, et c’est sûrement l’information qui était la plus attendue, que Brigitte Macron ne bénéficiera « d’aucune rémunération ». Il s’agissait bien d’un engagement de campagne d’Emmanuel Macron lors de l’affaire « Pénélope ».

Le contraire aurait irrémédiablement créé une polémique, ne serait-ce que parce cela n’a jamais été le cas, mais surtout car la loi pour la confiance dans la vie politique (loi ordinaire), adoptée par l’Assemblée nationale le 3 août dernier, a posé l’interdiction des emplois familiaux[2] pour les parlementaires (article 13 : concerne les collaborateurs parlementaires).

De même, la Première dame ne bénéficiera pas d’une indemnité de frais de représentation. Encore une fois, le contraire aurait été pu être choquant, alors que la loi pour la confiance dans la vie politique substitue à l’indemnité de frais de mandat (IRFM) des parlementaires un système de remboursement sur facture pour éviter les abus (article 20[3]).

En d’autres termes, elle ne disposera « d’aucun budget propre », et devra s’appuyer sur le cabinet du Président de la République.

B) Des crédits reportés sur le budget de la présidence de la République

 

Finalement c’est bien le budget de la présidence de la République qu’il faudra scruter puisque deux conseillers du Président sont « spécifiquement mis à sa disposition ». En d’autres termes, il s’agit des conseillers de Brigitte Macron : un directeur de cabinet et un chef de cabinet. Sera également mis à sa disposition un secrétariat, et des gardes du corps issus du Groupement de sécurité de la présidence de la République.

Pour rassurer les citoyens, la charte rappelle que les comptes de la présidence de la République font l’objet d’une « présentation transparente dans la comptabilité analytique de l’Élysée », et surtout d’un contrôle de la Cour des comptes qui publie un rapport annuel spécifique. En effet, annoncé en 2007 par l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, le contrôle des comptes et de la gestion des services de la présidence de la République est désormais effectué chaque année par la Cour des comptes depuis 2009. Ainsi, le budget en 2016 était égal à environ 100 millions d’euros, contre 109 millions en 2012[4].

C’est donc le rapport de la Cour des comptes que les citoyens devront scruter. Pour l’exercice budgétaire 2013[5], elle avait en effet établi le montant des « dépenses liées à Valérie Trierweiler ». Alors qu’elle disposait de cinq collaborateurs directs, leur rémunération avait représenté une dépense totale brute annuelle de 396 900 euros. Elle profitait également de pas moins de six bureaux et du salon des Fougères au rez-de-chaussée de l’Hôtel d’Evreux. Enfin, ses déplacements, d’un montant total de 85 000 euros (« environ »), avaient été pris en charge « par la présidence de la République ».

In fine, cette charte sert moins à informer qu’à renvoyer au contrôle des comptes de la présidence de la République. Comme le dit l’adage : « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Finalement, aucun statut ne sera gravé dans le marbre juridique. Le successeur d’Emmanuel Macron devra alors décider s’il souhaite suivre ce modèle et publier une nouvelle charte, l’abandonner, ou aller plus loin en créant un véritable statut suivant en cela l’exemple américain (loi du 2 novembre 1978)[6].

Néanmoins, cette charte n’a rien de révolutionnaire d’autant plus que la question la plus importante, celle des moyens, ne sera réglée que dans l’exécution du budget de la présidence de la République. Le fait de n’accorder aucun budget propre est une chose, mais cela n’implique nullement l’absence d’affectation de deniers publics à l’exercice des missions de représentation et de conseil de la Première dame. Ainsi, si l’ « on peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps […] on ne peut tromper tout le peuple tout le temps » (Abraham Lincoln). Il faudra donc revenir plus tard pour la transparence.

 

 

Laure MENA

[1] 317 285 au 22 août 2017. Voir le site Change.org.

[2] Article 13 : Il est interdit à un membre du Gouvernement de compter parmi les membres de son cabinet :

1° Son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ;

2° Ses parents ou les parents de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ;

3° Ses enfants ou les enfants de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin.

[3] Loi pour la confiance dans la vie politique, adoptée définitivement le 3 août 2017 par l’Assemblée nationale.

[4] Rapport 2017, « Les comptes et la gestion des services de la présidence de la République (exercice 2016) », Cour des comptes (remis au Président de la République le 11 mai 2017).

[5] Rapport 2014, « Les comptes et la gestion des services de la présidence de la République (exercice 2013) », Cour des comptes (remis au Président de la République le 15 juillet 2014).

[6] La Première dame choisit son chef de cabinet ainsi que les membres de son cabinet (une douzaine de collaborateurs).

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