Loi Macron : le renouveau de l’actionnariat salarié ?

Permettre à des salariés de devenir actionnaires de la société qui les emploie, voici une idée plus vieille qu’on ne pourrait le penser : au 19ème siècle déjà, en pleine révolution industrielle, les premiers mécanismes poursuivant cet objectif émergeaient[1]. Cela n’a cessé de se développer depuis lors, les dirigeants profitant aussi de ce mouvement accéléré et renforcé par les théories du management établissant un lien entre performance de l’entreprise et actionnariat « salarié ». En faisant partager le risque inhérent à la qualité d’actionnaire aux salariés et aux dirigeants, ou, à tout le moins, en leur permettant de participer aux bénéfices de la société, ceux-ci seraient plus impliqués et motivés, et donc plus performants[2]. Cette idée est aujourd’hui particulièrement prégnante au sein des montages dits LBO qui permettent l’acquisition d’une entreprise par de la dette, et reposent généralement sur des critères de performances assez élevés, dont la non réalisation peut conduire à une exigibilité anticipée de la dette bancaire…

Au jeu du meilleur mécanisme en ce domaine, ce sont souvent des considérations fiscales qui désignent le ou les vainqueurs. À cet égard, la jurisprudence récente du Conseil d’Etat pourrait conduire les praticiens à se détourner de certains outils au profit des attributions gratuites d’actions ou des BSPCE (bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise) dont les régimes devraient être modifiés par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite Macron, actuellement discutée devant le Sénat. Sans entrer ici dans les détails de cette jurisprudence[3], on peut affirmer qu’existe aujourd’hui un risque de requalification par l’administration fiscale des gains réalisés par les salariés ou dirigeants au moment d’exercer soit des promesses de ventes consenties par les actionnaires[4] soit des BSA[5] (bons de souscription d’actions) qui leur auraient été attribués[6]. Jusqu’à présent, beaucoup pensaient que les gains réalisés grâce à ces outils devaient être imposés au régime des plus-values de cession des valeurs mobilières des particuliers, celles-ci bénéficiant d’abattements substantiels profitables au salarié ou au dirigeant. Aujourd’hui, l’administration fiscale entend requalifier ces gains en salaire dès lors que les conditions d’attribution ne lui semblent pas équitables (trop favorables au salarié s’entend). Voilà pourquoi les attributions gratuites d’actions et les BSPCE pourraient faire l’objet d’une utilisation accrue à l’avenir, leurs régimes d’imposition étant, contrairement à ceux des instruments précités, clairement définis par la loi.

I. Les attributions gratuites d’actions

A. Le régime actuel

Seront ici décrits successivement le régime fiscal, social, et les conditions d’attribution et de détention de ces actions, en l’état actuel du droit.

Au point de vue fiscal, les gains d’acquisition et de cession sont soumis à l’impôt sur le revenu selon deux catégories différentes. Le gain d’acquisition, qui correspond à la valeur réelle des actions au jour de leur acquisition, est imposable au barème de l’impôt sur le revenu selon les règles de droit commun des traitements et salaires sans application, notamment, d’un quelconque abattement pour durée de détention[7], ce qui n’est pas très avantageux. La plus-value résultant de la cession d’actions gratuites, égale à la différence entre le prix de cession et la valeur à la date des actions à la date d’acquisition, est imposée selon le régime de droit commun des plus-values de cession de valeurs mobilières ou de droit sociaux prévu à l’article 150-0 A. Contrairement au gain d’acquisition, cette plus-value est donc susceptible de bénéficier des abattements pour durée de détention prévus à l’article 150-0 D[8].

Au point de vue « social », pèse sur les bénéficiaires une contribution salariale spécifique de 10% due lors de l’acquisition et recouvrée à la date de cession des titres[9]. Les gains d’acquisition sont par ailleurs soumis à la CSG et à la CRDS[10]. Pèse également sur les entreprises une contribution patronale de 30%, due à la date d’attribution des titres[11]. S’agissant des conditions d’attribution aux salariés, il est prévu que l’écart entre le nombre d’actions distribuées à chaque salarié ne peut être supérieur à un rapport de un à cinq, ce qui empêche des différenciations parfois souhaitées par les entreprises. Par ailleurs, l’attribution des actions ne peut devenir définitive qu’au terme d’une période d’acquisition de deux ans, et les salariés sont soumis à une obligation de conservation des actions attribuées pendant une période d’au minimum deux ans[12].

Les différentes règles qui encadrent l’utilisation de cet instrument sont aujourd’hui trop rigides, à telle enseigne que les entreprises n’y recourent quasiment plus. C’est dans l’objectif de les inciter à utiliser à nouveau cet outil que le projet de loi Macron modifie substantiellement son encadrement juridique, fiscal et social.

B. Le régime proposé par la loi Macron

La loi dite Macron, récemment déposée par le gouvernement, contraste avec l’apparente hostilité du Conseil d’Etat à l’égard de l’actionnariat salarié[13],. Elle entend au contraire le favoriser en prévoyant plusieurs assouplissements dans le cadre de l’attribution aux salariés d’actions gratuites, dont voici les principales caractéristiques:

Au point de vue juridique tout d’abord, le projet de loi revient sur la durée minimale cumulée d’acquisition et de conservation des titres qui passe à deux ans, contre quatre aujourd’hui. Ceci s’explique en deux temps : d’une part, l’attribution des actions à leur bénéficiaire deviendrait définitive au terme d’une période d’acquisition qui ne pourrait être inférieure à un an et d’autre part, l’obligation de conservation actuelle de deux ans deviendrait facultative pour être laissée à l’appréciation de l’AGE, sans pour autant pouvoir être inférieure à un an. Seul pose problème la question des bénéficiaires de cet assouplissement. Si l’Assemblée Nationale a tenu,  au cours de sa première lecture, à en faire profiter toutes les sociétés sans distinction, le Sénat en revanche, semble vouloir limiter le bénéfice de cette disposition aux seules PME. Affaire à suivre donc.

Il est également prévu que la règle sus vue selon laquelle l’écart entre le nombre d’actions distribuées à chaque salarié qui aujourd’hui ne peut être supérieur à un rapport de 1 pour 5 ne serait plus appliquée de façon absolue, c’est-à-dire quel que soit le pourcentage du capital social mis en distribution, mais ne s’appliquerait que dans l’hypothèse où la part du capital distribuée excèderait 10% (15% pour les PME).

Quant au régime fiscal applicable, le projet de loi prévoit en son article 34, d’alléger l’imposition de la plus-value d’acquisition. L’avantage en résultant (le gain d’acquisition) ne serait plus soumis au régime des traitements et salaires mais relèverait, à l’instar de la plus-value de cession, du régime d’imposition des plus-values sur valeurs mobilières et droits sociaux. Sa qualification juridique ne serait toutefois pas modifiée car cet avantage conserverait la nature d’avantage salarial[14]. Partant donc, le gain d’acquisition serait imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu après application éventuelle des abattements visés aux articles 150-0-A et 150-0-D ter précités. Il serait également soumis aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine au taux global de 15,5%. A noter que ces prélèvements sociaux ne bénéficient pas de l’abattement et ont donc pour assiette la valeur nette de la plus-value d’acquisition constatée.

D’un point de vue international, le projet de loi ne modifie rien et le bénéficiaire d’AGA non domicilié en France resterait soumis à la retenue à la source visée à l’article 182 A ter du CGI[15].

Au point de vue social enfin, il est prévu une suppression de la contribution salariale spécifique attachée au gain d’acquisition, une diminution du taux de la contribution patronale de 30% à 20% (voire une suppression en faveur des PME) ainsi qu’un aménagement de son assiette.

Décrit par certains comme un véritable cadeau fait aux plus riches, le nouveau régime proposé par la loi Macron en matière d’AGA relève en réalité plus d’un retour à un régime favorable.

II. Les BSPCE

A. Le régime actuel

Les BSPCE (ou Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise) sont des bons donnant accès au capital de la société émettrice et sont déjà assortis d’un régime social et fiscal avantageux. Ils peuvent être émis au bénéfice de salariés et/ou de dirigeants soumis au régime fiscal des salariés (président, directeur général, directeurs généraux délégués, membres du directoire), par toute société par actions répondant aux conditions suivantes[16] : (i) ne pas voir ses titres admis aux négociations sur un marché d’instruments financiers, ou dans ce cas, ne pas dépasser 150 millions d’euros de capitalisation boursière ; (ii) être immatriculée au RCS depuis moins de quinze ans et ne pas être créée dans le cadre d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités préexistantes ; (iii) être passible en France de l’IS ; (iv) voir son capital détenu directement et de manière continue pour 25% au moins par des personnes physiques ou par des personnes morales détenues pour 75% au moins de leur capital par des personnes physiques, étant précisé que pour le calcul de ce seuil de détention, il n’est pas tenu compte des participations des fonds d’investissement.

Si ces conditions sont remplies, les BSPCE peuvent être émis et le gain net réalisé par le bénéficiaire des bons lors de la cession des titres souscrits en exercice de ces bons est imposé à l’impôt sur le revenu comme plus-value de cession de valeurs mobilières au taux forfaitaire de 19%, ou de 30% lorsque le bénéficiaire exerce son activité dans la société depuis moins de trois ans à la date de la cession (les taux effectifs d’imposition correspondants sont respectivement de 34,5% et 45,5% avec les prélèvements sociaux). Les abattements de droit commun et dérogatoires ne sont pas applicables dans cette situation.

La loi ne fait donc pas de distinction, contrairement à ce qui est prévu en matière d’attribution gratuite d’actions, entre gain d’acquisition et gain de cession. Le salarié ou le dirigeant bénéficie du taux d’imposition de 19% ou 30% sur la totalité du gain réalisé au moment de la cession, ce qui est particulièrement avantageux pour lui. À cet égard, et même s’il faut rester prudent en la matière, il ne semble pas que cette imposition puisse être remise en cause par l’administration fiscale sur le fondement d’une requalification en salaires (v. supra). Le rapporteur public du Conseil d’Etat écrivait en effet, à propos de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité : « Certes, nous n’ignorons pas que le législateur a créé, avec les BSPCE, une catégorie de valeurs mobilières, qui exactement comme en l’espèce (nb : option d’achat accordée au dirigeant), confèrent à leurs bénéficiaires le droit de souscrire des titres représentatifs du capital d’une entreprise à un prix définitivement fixé au jour de leur attribution. Et il est vrai que l’article 163 bis G prévoit que le gain réalisé à partir de la cession de ces bons est, en totalité, et donc y compris pour la part correspondant à la plus-value d’acquisition taxé selon le régime des plus-values.

Mais […] ce régime nous paraît s’éloigner de la qualification fiscale qui devrait être retenue en l’absence de tout texte : il constitue à notre avis un dispositif de faveur, et son accès est soumis à des conditions strictes […] ».
Voilà qui devrait rassurer les salariés et dirigeants d’entreprise qui se voient offrir la possibilité de souscrire à des BSPCE.

Le régime étant d’ores et déjà avantageux, le projet de loi Macron ne le modifie pas en profondeur. Il apporte toutefois des corrections bienvenues, prenant notamment en compte la réalité du cycle de la vie des start-ups, principales concernées par ce dispositif.

B. Le régime proposé par la loi Macron

S’agissant de la loi Macron et des BSPCE, ce n’est pas tant le traitement fiscal applicable qui s’assouplit que leurs conditions d’attribution.

Dans un premier temps, le projet de loi modifie de façon extensive la faculté d’émission de BSPCE. En effet, ce dernier prévoit que les sociétés immatriculées depuis moins de quinze ans, non cotées ou cotées sur un marché réglementé ou organisé et dont la capitalisation boursière est inférieure à 150 M€, d’ores et déjà autorisées à émettre des bons de souscription de parts de créateurs d’entreprises (BSPCE) destinés à leurs salariés et dirigeants, pourraient également en attribuer aux salariés et dirigeants des filiales dont elles détiennent au moins 75 % du capital ou des droits de vote. Ces sociétés qui ne pouvaient auparavant attribuer des BSPCE qu’à leurs propres salariés et/ou dirigeants peuvent désormais en attribuer aux salariés et dirigeants de leurs filiales sous condition de participation.  Le cas échéant, la condition relative à la capitalisation boursière serait alors appréciée de façon globale, regroupant la capitalisation de la société mère mais aussi des filiales dont le personnel bénéfice desdits bons.

Toujours au sujet de l’ouverture du régime aux filiales d’un même groupe, il est actuellement prévu que lorsque diverses conditions sont réunies, les gains liés à la cession de titres obtenus par le biais de BSPCE sont soumis à un prélèvement libératoire de 19%. Toutefois, ce taux est porté à 30% dans l’hypothèse où le bénéficiaire des BSPCE exerce son activité « dans la société depuis moins de trois ans à la date de la cession »[17]. Si cette durée d’exercice de l’activité n’est pour l’instant appréciée qu’au regard de la société émettrice des BSPCE, le projet de loi prévoit de prendre également en compte la durée d’activité exercée au sein d’une filiale dont au moins 75% du capital ou des droits de vote sont détenus par la société émettrice.

Un autre assouplissement prévu est d’étendre le dispositif des BSPCE aux entreprises créées dans le cadre d’une concentration, restructuration, extension ou reprise d’activités préexistantes, à condition, notamment, que l’ensemble des sociétés qui participent à l’opération aient été elles-mêmes éligibles au dispositif. Dans une telle hypothèse, la condition relative à l’âge de la société attributrice, à savoir être immatriculée depuis moins de quinze ans, serait alors appréciée au regard de la date d’immatriculation de la plus ancienne des sociétés ayant pris part à l’opération. La condition relative à la capitalisation boursière, quant à elle, serait appréciée, une fois encore, de façon globale par l’addition algébrique de la capitalisation des sociétés issues de l’opération éligibles au dispositif des BSPCE. On ne peut que se réjouir d’un tel dispositif quand on sait qu’il est très fréquent pour les start-up, dans leurs premières années de vie, de faire l’objet de telles restructurations. Ces dernières qui se voyaient jusqu’à présent refuser la possibilité d’émettre des BSPCE le pourront vraisemblablement prochainement.

Pour finir, l’article 35 prévoit de préciser à l’article 154 quinquies du CGI la non-déductibilité de la CSG afférente au gain de cession des titres souscrits en exercice de BSPCE au titre de l’impôt sur le revenu.

On ne peut que regretter que le projet de loi Macron ne comporte aucune disposition fiscale ou sociale en faveur des stock-options. Ces dernières sont les grandes perdantes de la réforme à venir car le maintien du régime actuel, très défavorable, rend ce type d’instruments très peu attractif.

 

 

Article co-rédigé pour Le Petit Juriste par

Florian Dessault & Matthieu Rannou

Etudiants du Master 2 Professionnel Droit des Affaires et Fiscalité de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

 

 

[1] Propos liminaire ou contribution historique à l’étude de l’actionnariat salarié – Jeanne-Marie Tuffery-Andrieu – Droit social 2014. 493.

[2] G. Rouin et G. Kesztenbaum, L’épargne salariale, l’actionnariat salarié et les LBO, JCP S 2008. 131

[3] V. la décision la plus récente du Conseil d’Etat : CE, 26 sept. 2014, « Gaillochet » n°365573, Juris Data n° 2014-022460

[4] Jérôme Turot, Jérémie Jeausserand et Tristan Audouard, Requalification d’un management package : le Conseil d’Etat refuse-t-il aux salariés de se faire capitalistes ? Droit fiscal n°47, 20 Novembre 2014, comm.636

[5] Alexandre Guillemonat et Olivier Ramond, Management packages : comment différencier le bon grain de l’ivraie en matière fiscale ? Droit fiscal n°10, 5 mars 2015, 181

[6] Il n’est pas exclu que d’autres valeurs mobilières similaires soient dans le « viseur » de l’administration fiscale.

[7] Article 80 quaterdecies, I,  CGI

[8] 50% d’abattement entre deux et huit ans de détention ; 65% d’abattement au-delà de huit ans de détention.

[9] L.137-14 C. sécurité sociale

[10] L.136-2, II, 6° C. sécurité sociale

[11] L. 137-13, I,  C. sécurité sociale

[12] L.225-197-1, C. commerce

[13] Voire note n°3

[14] « Quelques mesures fiscales dans le projet de loi Macron », Feuillet rapide Fiscal Social 58/14

[15] L’article 182 A ter du CGI renvoie à l’article 182 du même code fixant un taux variable fonction du montant de la plus-value réalisée (Cette RAS pouvant s’élever à 75% dans le cas d’un bénéficiaire située dans un ETNC au sens de l’article 238-0 A du CGI.

[16] V. Art. 163 bis G CGI

[17] V. 163 bis G, I alinéa 2 CGI

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