Facebook peut-il être l’ami du droit du travail?

Les réseaux sociaux, très prisés des nouvelles générations, sont des espaces virtuels permettant à des internautes d’échanger sur des plateformes de communication en ligne. Selon l’IFOP, 77% des internautes français sont membres d’un réseau social. Certains sont axés sur le développement du réseau professionnel (Viadéo, Linkedin), tandis que d’autres se concentrent sur les échanges personnels.

Facebook en est l’illustration parfaite. Véritable outil addictif et largement répandu, il est décrit comme donnant la possibilité à ses utilisateurs «  d’entrer des informations personnelles et d’interagir avec d’autres utilisateurs. (…) Ces informations permettent de retrouver des utilisateurs partageant les mêmes intérêts. Ces derniers peuvent former des groupes et y inviter d’autres personnes. Les interactions entre membres incluent le partage de correspondances et de documents multimédias 1. ». Ainsi, on peut aisément se faire de nouveaux « amis » avec qui partager, entre autres, états d’âmes et idées en tout genre. Cette interaction facile rend la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle floue.

A l’heure où Facebook est omniprésent dans le quotidien de la plupart des internautes, comment concilier le pouvoir de direction de l’em- ployeur avec la liberté d’expression du salarié ?

En effet, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés.
De son côté, le salarié jouit d’une liberté d’expression consacrée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (art. 10 et 11), et la Convention européenne des Droits de l’Homme (art. 10).

Placée dans un contexte professionnel, l’utilisa- tion de Facebook soulève la question de l’étendue du contrôle de l’employeur dans le cadre de son pouvoir disciplinaire et amène à s’interroger sur l’utilisation qu’il peut faire de ce que le salarié étale sur la toile lorsqu’il s’agit de l’entreprise (I). Aussi, les propos tenus sur Facebook se heurtent-ils à l’étendue de la liberté d’expression du salarié (II).

I – FACEBOOK ET LE POUVOIR DISCIPLINAIRE DE L’EMPLOYEUR

L’employeur peut-il surveiller l’utilisation des réseaux sociaux par ses salariés ? L’activité du salarié pendant le temps de travail avec l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur est présumée avoir un caractère professionnel. L’employeur peut la surveiller à condition de ne pas le faire de manière dissimulée (filature) et de respecter la vie privée du salarié (secret des correspondances).
Facebook constitue-t-il un espace privé ? La jurisprudence, balbutiante, semble avoir évolué vers une réponse négative. En effet, Facebook doit être considéré comme un espace public, tant par sa finalité que par son organisation. Ainsi, le salarié qui souhaite que ses publications ne soient pas lues par tous doit :

• configurer son compte de façon à ce que la confidentialité soit respectée ;

• s’assurer de qui pourra avoir accès à ce mur s’il publie sur le « mur » de quelqu’un d’autre.

La Cour d’appel de Besançon a considéré que dès lors que le salarié n’a pas pris ces précautions, compte tenu du fait qu’il ne pouvait ignorer le fonctionnement du réseau social, il n’est pas fondé à soutenir que les échanges qu’il a tenus avec l’ancien directeur du magasin constituent une conversation privée (CA Besançon, 15 novembre 2011, n°10-02642).
Par cet arrêt, la Cour d’appel de Besançon a confirmé une décision de la Cour d’appel de Reims du 9 juin 2010 par laquelle les juges avaient retenu que les échanges sur Facebook ne constituaient pas une correspondance privée. En effet, le caractère privé de la correspondance suppose qu’un échange écrit ne puisse être lu par une personne à laquelle il n’est pas destiné sans que soient utilisés des moyens déloyaux. En l’occurrence, il s’agissait d’un message qu’un salarié avait laissé sur le mur d’un « ami ».
La Cour d’appel a relevé que la personne concernée s’était exposée à ce que cet « ami » ait des centaines « d’amis » ayant accès à ces propos, ou bien ait laissé son profil « public » laissant ainsi l’accès à son profil, de sorte que tout individu inscrit sur ledit réseau puisse ac- céder librement à ces informations (CA Reims, 9 juin 2010, n°09-3209).
Dans ces deux arrêts, les Cours d’appel ont considéré que l’employeur pouvait se prévaloir des éléments trouvés sur Facebook tant pour sanctionner le salarié que comme moyen de preuve devant un juge.

Selon le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, l’employeur, qui produit devant le juge un docu- ment retranscrivant les propos tenus par un salarié sur la page d’un réseau social qui avait été paramétrée par son auteur pour en permettre le partage avec « ses amis et leurs amis » ne méconnaît aucunement le droit au respect de la vie privée de l’intéressé (CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010, n°10-00852 et n°09-00316).
La Cour d’appel ne s’est pas prononcée sur la légitimité de l’employeur de se prévaloir des propos tenus par le salarié. L’affaire est actuellement pendante devant la Cour de cassation à qui revient la lourde tâche de délimiter les frontières entre « espace privé » et « espace public ».
Ainsi, les salariés qui utilisent Facebook doivent être particulièrement attentifs à la configuration de leur page. Le site de la CNIL propose, des conseils aux internautes pour maîtriser les informations qu’ils publient sur les réseaux sociaux. Les salariés sont invités à la plus grande vigilance lorsqu’ils y diffusent des propos intéressant leur entreprise.
Configurer correctement son compte Facebook est nécessaire mais pas suffisant. Encore faut-il être précautionneux sur les propos tenus, notamment lorsqu’ils concernent l’entreprise.

II – LES LIMITES DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DU SALARIÉ SUR FACEBOOK

Le salarié jouit d’une liberté d’expression dans l’entreprise comme en dehors de celle-ci. En principe, les opinions qu’il émet ne peuvent pas lui être reprochées.
En effet, l’article L 2281-3 du Code du travail prévoit que l’exercice du droit d’expression par les salariés, quelle que soit leur position hiérarchique, ne peut donner lieu ni à une sanction, ni à un licenciement.
Pour autant, les abus peuvent constituer une faute grave (Cass. soc. 1er octobre 2002, n°00-43543).
Sur internet, il peut également s’agir d’injures publiques. En effet, dans un jugement du 17 janvier 2012, le Tribunal correctionnel de Paris a retenu le délit d’injures publiques à l’encontre d’un salarié ayant tenu des propos portant atteinte à la dignité de personnes.
En l’occurrence, l’intéressé avait publié sur Facebook : « Journée de merde, temps de merde, boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde » et « J’aime pas les petits chefaillons qui jouent aux grands ». Le salarié a été condamné à payer 500 € d’amende avec sursis, 1 € de dommages et intérêts à verser à chacune des parties civ- iles (la société et la supérieure hiérarchique du salarié) et la publication du jugement sur le panneau syndical de la société à ses frais dans la limite de 150 € (T. corr. Paris, 17 janvier 2012, n°1034008388). Notons que cette affaire est actuellement pendante devant la Cour d’appel.

L’employeur peut encadrer l’utilisation des réseaux soci- aux dans une charte informatique. Toutes les injures à l’encontre d’une entreprise sont-elles des injures publiques ? «  Eliminons nos patrons, et surtout nos patronnes (mal baisées) qui nous pourrissent la vie !!! » ; « Sarko devrait voter une loi pour exterminer les directrices chieuses comme la mienne ! » ; « Elle est plus que jamais motivée à ne pas me laisser faire. Y’en a marre des connes ! ».

Pour la Cour de cassation, les propos litigieux relatifs à l’employeur sur les comptes Facebook et MSN d’un sal- arié, accessibles à ses seuls « amis » dont le nombre était « très restreint » ne constituent pas des injures publiques (Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n°11-19.530).

Ainsi, la qualification de l’injure sur un réseau social d’un employeur / supérieur hiérarchique / tout membre de l’entreprise dépend du caractère « public » des propos. Il peut s’agir d’injures publiques au sens de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881, ou bien d’une simple contraven- tion dans le cas où le caractère public ne serait pas retenu.

Il appartient donc à la Cour de cassation de se prononcer sur la frontière à tracer entre réseaux sociaux, vie profes- sionnelle et vie privée. Dès lors qu’elle se sera positionnée, les salariés n’auront plus qu’à adapter la configuration de leur compte et le discours qu’ils tiennent vis-à-vis de l’entreprise. On ne peut qu’inviter les internautes à bien configurer leur compte Facebook et surtout, à limit- er le nombre de leurs amis… Les « faux-amis » des cours d’anglais pour collégiens sont aussi redoutables que les collaborateurs malveillants dans le monde du travail !
Un salarié ne peut nier être l’auteur des connexions dès lors qu’il faut un mot de passe pour accéder au compte mail ou Facebook (CA Pau, 13 juin 2013).

Emmanuelle METGE

1 Wikipédia

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