Inventer la fiscalité du numérique de demain : un véritable défi pour l’Etat

 


 

A l’heure où les candidats réfléchissent à des solutions pour relancer des industries d’un autre siècle, notamment par l’annonce d’allègements fiscaux, une question se pose : comment promouvoir, et à la fois réguler, le secteur des télécommunications en plein essor ?



 

Ce défi d’ampleur a récemment fait l’objet d’une conférence au Sénat baptisée « Forum de la fiscalité du numérique ». A cette occasion, le 14 février dernier, le sénateur Philippe Marini a relancé le débat sur la taxation de certains flux numériques, sujet qui fait l’objet de fortes crispations depuis l’affaire de la « Taxe Google ».

Selon Bernard Stiegler, philosophe, il s’agit de repenser toute une logique économique construite selon un modèle industriel consumériste en déclin, et surtout de réfléchir simultanément à l’échelon national, européen et international.

 

I. Des tentatives de taxation pour davantage d’équité fiscale

 

Partant du constat flagrant qu’un opérateur tel que France Telecom paie 4 milliards d’euros par an à l’Etat lorsque Google, Apple, Facebook ou Amazon en paient entre 3 et 4 millions, les analystes politiques et économiques jugent opportun, depuis quelques années, d’imposer autrement les acteurs du numérique.

Pour situer les enjeux de cette problématique fortement médiatisée, commençons par rappeler en quoi consistait le projet avorté de la « Taxe Google ». Soutenue fin 2010 par le sénateur Philippe Marini, cette taxe consistait à prélever 1% de tous les achats de publicité internet effectués à compter du 1er juillet 2011 par les annonceurs Web établis sur le territoire français.

Vivement critiquée par les acteurs de l’économie numérique, y compris de nombreuses PME, cette mesure a été supprimée par l’Assemblée nationale avant sa première application, conformément aux recommandations du

Conseil national du numérique (CNN). Pour autant, la question de l’évasion fiscale des revenus générés en France par des groupes Internet domiciliés en Irlande, tel que Google, est loin d’être résolue.

 

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II. Une volonté de faire échec à un schéma européen qui semble léser la France


La principale problématique qui se pose est la suivante : comment faire contribuer aux finances de l’Etat français des groupes qui sont établis fiscalement dans d’autres pays de l’Union européenne ?

En effet, ces géants de l’Internet ont, en toute légalité, « optimisé » leur fiscalité en établissant leur siège social en Irlande ou au Luxembourg de sorte qu’ils ne paient ni impôt sur les sociétés (IS), ni taxes et redevances spécifiques en France. A titre d’exemple, tous les morceaux de musique que l’on achète sur iTunes sont taxés à un taux excessivement réduit au Luxembourg.

Néanmoins, ces multinationales ne se privent pas pour utiliser les infrastructures situées sur le territoire français, les services publics français et elles bénéficient d’avantages fiscaux et sociaux pour l’embauche d’ingénieurs formés par le système scolaire et universitaire français.

C’est ainsi que selon le CNN, le manque à gagner pour l’Etat français s’élèverait à « environ 500 millions d’euros » !

Au même titre que la Finance, le secteur du numérique est aujourd’hui l’un des plus représentatifs des nouveaux enjeux de la mondialisation. C’est la raison pour laquelle, une solution purement franco-française n’aurait pas de sens.

 

III. Des pistes à suivre


Trois propositions principales ont d’ailleurs été explorées dans cette perspective, notamment par le CNN :

  1.     La création au niveau européen d’un « établissement virtuel stable » pour désigner le lieu d’imposition de l’activité.

Ce nouveau un statut fiscal permettrait de prendre en compte les revenus générés en France par des acteurs internationaux dans l’assiette de l’IS, et ce quel que soit l’implantation de leur siège social en Europe.

Bien entendu, cette option nécessiterait la renégociation des conventions fiscales bilatérales, ce qui prendrait un certain temps, d’autant que le Luxembourg ou l’Irlande, spécialistes dans l’optimisation fiscale pour les entreprises, n’ont pas du tout intérêt à changer les dispositifs actuels.

 

  1.      Le recours à la définition du « cycle commercial complet » pour taxer les revenus.

Ce concept correspond à une « série d’opérations commerciales, industrielles ou artisanales dirigées vers un but déterminé », autrement dit la réalisation de toutes les étapes d’une transaction sur un territoire donné pour déclencher l’imposition.

Pour le CNN, cela permettrait de soumettre à l’IS les entreprises qui ne possèdent en France ni établissement, ni représentant qualifié, qu’il s’agisse de Google, Apple ou Amazon.

Reste à savoir si l’administration fiscale française sera en mesure de déterminer les revenus réels générés.

 

  1.    La création d’une taxe payée par les régies qui commercialisent les espaces publicitaires et non plus par les annonceurs.

Afin de ne pas provoquer la levée de boucliers suscitée par la « Taxe Google », l’assiette de cette taxe prendrait en compte des seuils permettant d’épargner les petits acteurs en croissance.

Dans la mesure où les conventions fiscales internationales empêchent la France de taxer les bénéfices, la taxation porterait soit sur le chiffre d’affaires, soit sur un autre indicateur inspiré du secteur des jeux en ligne (qui retient les mises des joueurs).

Cette taxe, appliquée aussi bien aux acteurs basés en France qu’à l’étranger, nécessiterait la création d’un « représentant fiscal » chargé de déclarer et de payer la taxe dans l’Hexagone. Reste à passer la barrière de la Commission européenne qui pourrait considérer cette obligation comme une entrave à la liberté de vendre des services dans l’Union.

 

IV. Les limites d’un nouveau système de taxation


La fiscalité étant un fort élément de la compétitivité des entreprises et a fortiori des Etats, il est tout d’abord important de ne pas générer une fiscalité spécifique au secteur du numérique.

En outre, le débat de la fiscalité du numérique soulève une autre question fondamentale relative à son objet. S’agit-il de taxer les acteurs du numérique pour contribuer au budget général de l’Etat ou bien de créer des taxes affectées à certaines activités connexes (financement du déploiement de réseaux, financement de la culture…) ? Autrement dit, une économie peut-elle et doit-elle en subventionner une autre ?

Le CNN affirme qu’il appartient au Gouvernement de définir quelles sommes il souhaite attribuer à telle ou telle industrie, et ce, uniquement en fonction de ses priorités de politiques publiques.

 

Pour conclure, cette réflexion devrait donner naissance à un projet de loi dévoilé dès cet été. En attendant, le sujet mériterait d’être d’avantage mis en avant dans la course à la présidentielle. Les trois principaux candidats semblent bien avoir intégré cette donnée : en témoignent les récents entretiens privés accordés à Jack Dorsey, fondateur et membre du Conseil d’administration du réseau social Twitter. Affaire à suivre !

 

 

Nemarq Stéphanie

Avocate

 

 

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