La cession forcée des droits sociaux du dirigeant en cas de redressement judiciaire

Le 7 octobre 2015, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés de l’article L631-19-1 du Code de commerce, qui donne les moyens au Tribunal de subordonner l’adoption d’un plan de redressement de l’entreprise au remplacement d’un ou plusieurs dirigeants.

La finalité de cette disposition est claire : éviter que certains dirigeants récalcitrants ne fassent obstacle par un vote hostile à l’assemblée générale à la mise en œuvre du plan de redressement.

Alors que le débat de l’éviction des associés d’une société en redressement judiciaire a été relancé à l’occasion de la loi Macron(1), il est utile de s’arrêter un instant sur l’étude de ce dispositif, assez peu utilisé en pratique, mais qui soulève certaines interrogations.

Cette mesure d’éviction qui aboutit in fine à l’expropriation du dirigeant de ses parts ou actions est strictement encadrée par la loi, qui lui voue un champ d’application restreint. Mais parce que cette l’élimination du dirigeant est radicale, la procédure comporte toute une série de dispositions destinées à protéger les droits de la défense.

Champ d’application rationae materiae

Le dispositif, au cœur du projet de la loi Macron, qui ouvrait la faculté au tribunal de commerce d’imposer une cession forcée des titres d’un associé récalcitrant, s’inspire fortement de ce qui existe déjà pour le dirigeant. En effet, la loi du 25 janvier 1985 admettait déjà la neutralisation de l’influence des dirigeants par une cession forcée de leurs droits sociaux.

Ce dispositif avait même été renforcé à la faveur de la loi du 26 juillet 2005, qui l’étendait à la procédure de sauvegarde judiciaire. Toutefois, le maintien de cette possibilité aurait été regrettable dans la mesure où cette procédure repose sur la volonté du débiteur d’anticiper ses difficultés et que lui seul peut demander l’ouverture de la procédure de sauvegarde.

L’ordonnance du 18 décembre 2008 a donc supprimé cette disposition : la cession forcée des droits sociaux ne peut plus intervenir qu’en redressement judiciaire.

Champ d’application rationae personae 

Il est utile de préciser que l’article L631-19-1 du Code de commerce ne s’applique qu’aux seuls droits sociaux du dirigeant. Cette mesure ne concerne donc pas les associés, même majoritaires.

Le texte s’applique aux dirigeants de droit comme de fait, ayant cette qualité et possédant des actions à la date du jugement qui ordonne cette cession (2).

A cet égard, la Cour de cassation a eu l’occasion de donner une définition du dirigeant de fait, qui est celui qui accomplit « une activité positive de direction dans la société ». Ainsi, il a été jugé que les membres du conseil de surveillance d’une SA ne peuvent être visés par ce dispositif, à moins qu’ils se soient comportés comme tel (3).

L’article L631-19-1 du Code de commerce n’étant plus, ni moins qu’une expropriation pour cause d’utilité privée, le législateur a entouré sa mise en œuvre de certaines garanties, tant procédurales que substantielles.

Des garanties substantielles 

Le tribunal est libre de déterminer les modalités de la cession. En cas de différend entre les parties, le prix de cession des droits sociaux est fixé à dire d’expert, au sens de l’article 1843-4 du Code civil. L’expertise est contradictoire, donc il faut convoquer le dirigeant à peine de nullité.

Le prix des droits sociaux est apprécié en fonction de la valeur objective des titres mais aussi en fonction de la trésorerie apportée par le cessionnaire afin d’assurer l’exécution du plan ou bien encore son engagement à le cautionner pendant toute sa durée (4).

La cession forcée pose le problème du sort des clauses d’agrément et de préemption : la loi est muette sur cette question, une partie de la doctrine soulignerait la nécessité de respecter ce type de clauses en l’absence de texte contraire (5).

Des garanties procédurales 

La cession forcée des droits sociaux du dirigeant ne peut être arrêtée par le tribunal que sur la demande du ministère public, ce qui exclut donc toute demande de l’administrateur ou toute saisine d’office. Celle- ci se fait par requête, conformément aux dispositions des articles R631-34 et suivants du Code de commerce (6).

En outre, la Cour de cassation a jugé que la disposition du jugement qui ordonne la cession des actions détenues par un ou plusieurs dirigeants sociaux est susceptible d’appel de la part de ces dirigeants (7).

Décision du 7 octobre 2015 

L’article L631-19-1 du Code de commerce est donc bien entouré de garanties certaines, toutefois, ses opposants jugent cette mesure disproportionnée, portant ainsi une atteinte injustifiée au droit de propriété. A cette occasion, une QPC a été posée au Conseil constitutionnel (8), où le requérant soutenait :

  • Que les dispositions de l’article L631-19-1 du Code de commerce, en prévoyant la possibilité pour le tribunal d’ordonner la cession des titres du dirigeant de l’entreprise en redressement, méconnaissait le droit de propriété de celui-ci : il a été jugé que le législateur a bien poursuivi un objectif d’intérêt général, qui est la poursuite de l’activité de l’entreprise et que des garanties tant substantielles que procédurales avaient été prises, de sorte que l’article L631-19-1 alinéa 2 du Code précité n’entraîne ni une privation de propriété, ni une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
  • Qu’en excluant du champ d’application de l’article L631-19-1 les débiteurs exerçant une activité professionnelle libérale soumise à statut législatif ou réglementaire, les dispositions instituaient une différence de traitement avec les autres dirigeant qui n’est pas justifiée par un motif d’intérêt général et qu’il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi : le Conseil répond que le législateur a entendu tenir compte des règles particulières qui s’imposent à titre personnel aux dirigeants de ces entreprises, qui doivent notamment faire l’objet en fonction de l’activité libérale exercée d’un agrément, d’une inscription ou d’une titularisation. Dès lors, leur exclusion est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi, de sorte que l’article L631-19-1 alinéa 4 du Code de commerce n’entraîne pas de rupture d’égalité de traitement des citoyens devant la loi.

Avec la loi Macron et cette décision du Conseil constitutionnel, le droit français semble enfin prêt à accueillir « la dépossession des actionnaires et dirigeants comme mode de traitement des difficultés de l’entreprise » (9), à l’instar du modèle américain qui autorise l’appréhension de la totalité du capital social par les créanciers.

Arvine Nooralian

1 Article L631-19-2 du Code de commerce

2 Cass.Com. 19 février 2008, n°06-18446 ; Cass.Com. 9 février 2010 n°09-10800

3 Cass.Com. 12 juillet 2005 n°03-14045

4 Cass.Com. 15 janvier 2013 n°11-12495

5 LUCAS. Du plan de sauvegarde. in LUCAS et LECUYER, la réforme des procédures collectives. La loi de sauvegarde article par article, 2006, coll. Droit des affaires, LGDJ, p.195

6 Cass.Com. 22 mai 2013 n°12-15305

7 Cass.Com. 26 juin 2001 n°98-19665

8 DC n°2015-486 du 7 octobre 2015

9 G. Teboul : JCP E 2009, 2171

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