La Cour suprême des USA et le droit international : quelles influences ?


La Cour Suprême des Etats-Unis d’Amérique a reconnu dans Roper v Simmons, en 2005, que le droit international devait être pris en considération dans l’évolution des standards juridiques et des mœurs. L’opinion majoritaire a soutenu que la peine de mort était une sentence disproportionnée, car les USA étaient le dernier pays dans le monde  à l’infliger à des mineurs. Meme le Juge O’connor, rejetant l’opinion majoritaire de la Cour, a reconnu la nécessité de prendre en considération le droit international dans l’application du droit interne [1].

 

La Cour Suprême, dans l’arrêt Lawrence v Texas, a annulé le Texas Homosexual Sodomy Statute, en justifiant sa décision sur l’opinion de la Cour Européenne de Droits de l’Homme dans l’affaire Dudgeon v United Kingdom, en 1981. Cette référence directe au droit européen était la première dans l’histoire de la Cour Suprême des Etats Unis.


Dans la meme lancée, la Cour Suprême a utilisé dans l’arrêt Grutter v Bollinger, en 2003, une référence au droit international en citant les conventions sur l’élimination de toutes les formes de discriminations de 1965 et de 1981, en matière d’éducation. Les juges Ginsburg, Breyer, ou O’Connor, ou Rehnquist, ont tous introduit, à un moment ou à un autre, le droit international à la Cour Suprême [2].


Cependant, l’utilisation du droit international pour interpréter la Constitution des USA a provoqué des débats très importants au sein de la Cour Suprême. Le juge Scalia a plusieurs fois décrété que la Cour Suprême ne devait pas « imposer les modes, humeurs et tendances étrangères aux américains » [3]. La presse, le congrès, la doctrine, critiquent férocement l’usage de ce transjudicialisme. Certains membres du congrès ont clairement déploré l’usage du droit international pour interpréter la Constitution et le droit américain.


Le droit international a toujours joué un rôle prédominant dans l’histoire de la cour suprême et dans l’interprétation du droit américain, notamment en droit de la guerre, ou des traités, domaine dans lequel il semble le plus logique que les juges aient cherché à interpréter le droit international, et également domaine les moins critiqués. Cependant, la Cour Suprême a parfois prit le droit international comme référence pour interpréter des droits constitutionnels. Sur ce point, la Cour se divise entre partisans de la co-construction internationale du droit et partisan du respect de la démocratie et de la Constitution, refusant de laisser d’autres Etats interférer dans leurs droits.

 


 

I.   La Cour Suprême a utilisé le droit international pour construire le droit des traités

 

La Cour Suprême a utilisé le droit international tout d’abord pour délimiter les domaines du traité, le pouvoir des différents Etats en matière de traités, ainsi que la façon dont le pouvoir exécutif pouvait passer certains accords avec des états étrangers. Dans un premier temps, la Cour Suprême en 1796 a reconnu que le champ matériel des traités était déterminé par le droit international. Le droit qui en est issu est donc à considérer comme du droit interne [4]. En 1804, le juge Marshall a développé une théorie connue sous le nom des « charming betsy canon », dans laquelle il énonce qu’en cas de conflit entre un statut et un traité le statut fédéral doit l’emporter. Mais par la suite, dans un arrêt Cherokee tobacco en 1871, la Suprême Court a privilégié la règle du « later in time ». Le dernier, du traité ou du statut fédéral, a la priorité sur le premier.

 

La Cour Suprême a donc utilisé les principes du droit international pour délimiter le champs d’action matériel et temporel de ses traités, mais a aussi essayé de s’en démarquer, notamment lorsque dans l’arrêt Haver v Yaker, 1869, les juges ont énoncé que la constitution américaine se démarquait du droit international des traités en les rendant effectifs non pas à la signature, mais à sa ratification et à leurs proclamations.

 

On peut donc observer qu’au fil des années la Cour Suprême a forgé avec le droit international un droit des traités, dont elle s’est également aussi souvent éloignée sans hésiter. On comprend des lors pourquoi il est intéressant d’analyser les rapports entre droit international et cour suprême. On aperçoit en matière de traités une imbrication parfois totale, parfois remise en question par les juges de la Cour Suprême, comme sur la question de l’intégration directe du traité ou de la date d’entrée en vigueur de ce dernier.

 

La Cour, au 20eme siècle, a développé une nouvelle théorie qui parait remettre en cause l’importance du droit international des traités dans le droit interne américain. La montée en puissance du président des Etats Unis s’est accompagnée d’un renforcement du rôle du Président dans les affaires étrangères. En 1937, dans l’arrêt US v Belmont, les juges de la Cour Suprême ont créé les « executive agreements », en supprimant l’accord jusqu’alors nécessaire du congrès. Le déclin de la place du traité a accompagné cette montée en puissance du président dans les affaires internationales, si bien qu’en 1950, dans l’arrêt Johnson v Eisentrager, la Cour a refusé d’utiliser un traité comme un instrument permettant la supervision judiciaire des élus dans l’exercice de leur fonction publique.

 

L’importance du président dans les affaires étrangères a accompagné la fin des canons de « good faith and liberal interpretation » des traités, ces derniers n’étant soumis qu’à l’interprétation de l’exécutif [5].

 

Cela étant, en 2006, la Cour Suprême a semblé renforcer le poids du droit international face au président, en refusant l’interprétation qu’avait faite le président Bush d’un traité. La question est donc toujours soumise aux évolutions des mentalités des juges de la Cour Suprême.

 

II.   Des domaines d’influence du droit international encore moins controversés : les droits de la guerre et maritime

 

L’interprétation du droit international par la Cour Suprême dans des domaines tels que le commerce, la guerre ou le droit maritime est beaucoup plus cyclique que celle faite en droit des traités.

 

Dans ces domaines, on peut considérer qu’aux XVIII et XIX siècle l’application du droit international coutumier était la norme, et a ensuite connu un déclin au XXème siècle pour revenir en force à la fin du XXème avec le statut sur la responsabilité des étrangers. Au XVIIIème et XIXème siècle, en droit maritime, la cour appliquait le droit maritime international de manière systématique. Selon Blackstone, « le droit des nations est ici adopté de manière totale et dans toutes ses particularités par le droit commun, et est considéré comme faisant partie du droit ». Comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de Cassation en 1842, la Cour Suprême appliquait alors le droit coutumier dans le cadre du droit commercial ou des règles relatives aux conflits de droits, sans attendre qu’un statut fédéral ou étatique l’intègre officiellement au droit commun.

 

Dans ces domaines que sont le commerce ou le droit de la mer, la Cour Suprême avait à cette époque un pouvoir considérable. Mais la relation entre le droit international coutumier et les prérogatives du président des Etats Unis restait trouble. La Cour Suprême, dans un arrêt Brown v USA en 1814, a énoncé que le Président était tenu de respecter le droit international en matière de saisie des biens ennemis, car ces principes de droit de la guerre à respecter avaient été énoncés par le monde civilisé, au temps où les USA étaient en train d’écrire leur constitution. Dans l’arrêt Prize en 1814, la Cour a autorisé le Président à priver un citoyen américain de son droit de propriété, et ce sans l’autorisation du congrès, en se basant sur une coutume internationale du « jus in bello ». On peut dire des cas Prize et Brown que la Cour Suprême a interprété les prérogatives constitutionnelles du Président des USA en temps de guerre en se fondant sur les coutumes du droit de la guerre international. Après la guerre opposant les USA à l’Espagne, cette position s’est affaiblie.

Aujourd’hui le droit international est unanimement respecté dans les domaines concernant les relations internationales.

 

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III.   Le droit international dans la jurisprudence aujourd’hui : une création normative souvent critiquée

 

L’usage par la Cour Suprême du droit international dans le domaine des droits constitutionnels est un sujet de discorde au sein de la Cour Suprême. La Cour a utilisé le droit international dans des cas très variés, tels que la protection des droits procéduraux, la due process clause, la taxation des étrangers, et la liberté contractuelle.

 

L’étude de l’application du 8th amendement protégeant des sentences cruelles et inhabituelles (crual and unusual punishment) est intéressante à ce sujet.

Pour définir ce qui est cruel, selon la Constitution, il faut se référer à la pratique internationale, car rien ne s’y réfère dans la constitution et dans la jurisprudence de la Cour. Dans l’arrêt Trop v Dulles, le juge Warren a énoncé pour la Cour que le principe de base du 8ème amendement était la dignité humaine, et que celle-ci devait prendre tout son sens dans l’évolution des standards que connait une société mature faisant référence aux standards du monde, pas des Etats Unis.

 

La peine de mort est le sujet le plus important en ce qui concerne le 8th amendement, ou en tous cas celui qui met le plus en lumière les difficultés de concilier droit international et droit interne pour la Cour Suprême. Dans Coker v Georgia, celle-ci s’est appuyé sur l’arrêt Trop pour dire qu’il fallait prendre en considération le fait que sur 60 des nations les plus puissantes de la planète, seulement trois appliquaient la peine de mort en cas de viol non suivi par la mort de la victime [6]. Si la Cour Suprême regarde avant tout le la pratique dans les différents Etats des USA, le droit de ces Etats, et les réactions des jurys, elle prend donc également en compte la pratique internationale.

 

Cependant, si les juges ont clairement montré qu’ils prenaient en considération les traités internationaux et la pratique des autres pays, ils le justifient par l’idée qu’il faut qu’un consensus international vienne appuyer un consensus national préalable. Dans Thompson v Oklahoma, en 1988, le juge Scalia a reconnu l’importance des valeurs internationales, mais toujours pour confirmer une tendance déjà inhérente à la nation américaine [7]. Le juge Brennan, par la suite, a tenté de remettre la pratique nationale et internationale au même niveau, et leur a accordé la meme importance. Cependant, en 2002, dans Atkins v Virginia, la Cour Suprême a d’abord recherché le consensus interétatique en regardant les législations des différents Etats des Etats-unis, puis l’a justifié à l’aide du droit international dans une simple note. Le juge Renquist a appuyé cette position par la suite. Dans un arrêt Robert v Simmons, rendu par la Cour Suprême en 2005, la Cour s’est finalement fortement prononcée pour la prise en compte du droit international, autant que du consensus national. Dans cet arrêt concernant la peine de mort des mineurs, la Cour Suprême s’est appuyée à la fois sur le consensus national et sur les différentes conventions internationales des droits de l’enfant.

 

Le droit international comme support du consensus national reste encore une idée répandue. Les arrêts Thompson, Roper, Atkins, font du droit international un droit secondaire, ne servant qu’à justifier un consensus national.

 

IV.   La légitimité contestée de l’utilisation du droit international par la Cour Suprême : le caractère anti démocratique de l’utilisation du droit international

 

Les juges de la Cour Suprême des Etats Unis ont toujours été partagés sur la place à donner au droit international dans la construction du droit purement interne. Certains juges ont tendance à s’inspirer fortement des décisions des cours européennes. Dans Atkins v Virginia la Cour s’appuie sur le consensus international pour interdire l’exécution des retardés mentaux. Dans Lawrence v Texas, la Cour s’appuie sur les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et sur certaines législations étrangères pour lutter contre des discriminations faites envers les homosexuels. Dans un article de Melissa A Walters sur l’usage du droit international dans l’interprétation de la constitution [8], l’auteur théorise l’idée selon laquelle des juges comme les juges O’Connor ou Kennedy s’appuient sur le droit international dans leurs décisions.

 

Mais cette position rencontre évidemment des résistances. Le juge Scalia, notamment, répète dans beaucoup d’opinions dissidentes que le droit international ne doit pas forger le droit constitutionnel américain. Les juges Rehnquist et Thomas partagent le même avis.

 

Le congrès s’oppose aussi à l’internationalisation du droit américain. Dans une résolution en date de 2004 [9], le congrès s’oppose à ce que le sens d’une loi américaine soit interprété au regard du droit international sauf si « ces jugements internationaux sont incorporés au corps législatif des Etats-unis ». Le juge Scalia a ensuite modéré sa position, en confirmant son refus d’appliquer le droit international aux domaines concernant les droits garantis aux américains par la Constitution, mais s’est montré étonnamment ouvert dans son appréciation des traités. Dans l’arrêt Sosa v Alvarez Machain [10], le juge Scalia critique fortement l’usage du droit international et de la pratique dans l’interprétation des droits de l’homme. Etaient alors remis en question les droits énoncés par l’Alien Tort Claims Act. Le juge en appelle aux pères de la constitution pour justifier ses arguments, et rappelle que le droit américain ne doit être que la production des élus américains. Le droit international est en revanche une source utile et consultable quand il s’agit du droit des traités. Dans l’arrêt Olympic Airways, le juge Scalia, dans une opinion dissidente, rappelle que si il refuse d’interpréter le droit constitutionnel au regard du droit et de la pratique  internationale, cela doit être entendu différemment dans le cadre d’un traité. Les juges doivent alors regarder la façon dont les autres juges des parties liées au traité ont jugé des cas similaires.

 

Les différentes opinions du juge Scalia résument l’état d’esprit général d’un pays dans lequel la constitution est d’une importance considérable. Le droit international, s’il doit être appliqué, ne doit donc pas l’être en remplacement des valeurs américaines, mais en complément. Les cours devraient donc, si l’on suit l’opinion du juge Scalia, refuser le dialogue transnational en ce qui concerne les problèmes constitutionnels, et les juges ne devraient pas s’inspirer du droit international ou même le consulter. Le problème de cette approche est qu’elle est tout à fait irrationnelle et inapplicable. Le juge Scalia voit le dialogue international comme un monologue international dictant aux Etats Unis ses droits et sa constitution. Si à l’inverse les juges de la Cour Suprême voyaient le dialogue international comme une co-construction et non pas comme une imposition,  dans laquelle la Cour Suprême recevrait du droit international mais influencerait également les autres pays avec son droit, elle participerait alors activement à la construction du droit. Dans le cadre du débat international sur la législation encadrant les discours transnational sur internet, la Cour Suprême pourrait essayer d’imposer sa vision d’une législation offrant une large protection de la liberté d’expression, et ainsi influencer le droit international à travers son premier amendement.

 

La Cour Suprême devrait reconnaitre qu’elle pourrait tirer beaucoup de profit d’un dialogue transnational. Le droit interne, en acceptant de se laisser parfois influencer par le droit international pourrait acquérir un pouvoir et une influence énorme dans la construction des autres droits nationaux. La Cour Suprême aurait tout intérêt à rentrer dans cette démarche de co-construction du droit si elle veut retrouver son importance d’antan sur la scène internationale.

 

 

Pierre Heidsieck

Master d’études bilingue des droits de l’europe, Université Paris 10 (Nanterre)

 

 

Notes

 

[1] Roper v Simmons 125 S Ct 1183 1998 2005 «  Our determination that the death penalty is disproportionate punishment for offenders under 18 finds confirmation in the stark reality that the USA is the only country in the world that continues to give official sanction to the juvenile death penalty”. O’Connor: “ the court has consistently referred to foreign and international law as relevant to its assessment of evolving standard of decency”

 

[2] William H Renquist, Constitutional Courts – comparativeremarks 1989


[3] Foster v Florida 2002

 

[4] Ware v Hylton 3 US 3 DALL 199, 261 1796 Iredell J.

 

[5] “The meaning attributed to treaty provisions by the government agencies charged with their negociation and enforcement is entitled to great weight”.

 

[6] Citing united nations department of economic and social affairs, capital punishment 40, 86 1968

 

[7] « Quand il n’ya pas de consensus national, l’idéologie des autres nations ne peut être imposée aux américains au travers de la Constitution » Palko v Connecticut 1937.


[8] Justice Scalia on the use of foreign law in constitutional interpretation : unidirectional monologue or co-constructive dialogue.

 

[9] HR 568 198th Cong 2d Session 2004

 

[10] 124 S.Ct.2739 2004 Scalia concurring in part and concurring in judgment

 

Pour en savoir plus

 

Constitutional Courts – Comparative remarks, William H Renquist

 

Our international constitution,  Sarah H Cleveland

 

The US Supreme Court and International law : continuity and change, David L. Sloss, Santa Clara University School of Law, Michael D. Ramsey, University of San Diego School of Law William S. Dodge, University of California, Hastings College of the Law.

 

Treaty-Making and the Nation: The Historical Foundations of the Nationalist Conception of the Treaty Power, 98 MICH. L. REV. 1075 (2000). David M. Golove

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