La déconstruction juridique d’un mythe : les poursuites du père Noël

ordure-de-pc3a8re-noc3ablLa plupart des personnes attendent Noël, et la venue de son plus illustre symbole, pendant toute l’année. Cependant, peu de gens savent, ou veulent savoir, que derrière les aspects « bonhommes » et généreux du Père-Noël, se cache un délinquant notoire.


 

Griefs retenus contre le Père Noël

• Maltraitance sur animaux ;
• Violation des règles sanitaires relatives à l’importation de rennes ;
• Pilotage d’un aéronef sans brevet ou licence de pilotage ;
• Non-immatriculation d’un aéronef ;
• Survol d’espaces soumis à restriction ou à interdiction de vol ;
• Violation des règles de sécurité aérienne ;
• Violation de domicile
• Dissimulation volontaire du visage dans l’espace public


 

On attribue traditionnellement à Benjamin Franklin la phrase selon laquelle « Quand on a bonne conscience, c’est Noël en permanence ». Or, rien n’est malheureusement moins vrai si l’on observe le comportement annuel du Père-Noël. Si ce personnage est l’incarnation même de cette fête de fin d’année, il n’en demeure pas moins un délinquant de premier ordre, potentiellement soumis à de nombreuses poursuites ; ce que le présent article s’échinera à démontrer. Dans ces conditions, il revient à l’auteur de ces lignes de commencer par remettre en cause, non le mythe du Père-Noël, mais la pensée du célèbre inventeur, dès lors que la personnalisation même de Noël, qui, par définition, vit à l’année comme tel, ne peut, eu égard à ces illégaux agissements, avoir bonne conscience. Dans cette mesure, et bien que nous reconnaissons nous attaquer à l’un des plus brillants esprits du XVIIIème siècle, il convient de constater qu’il a eu tort. Cependant, le juriste ne peut se contenter d’affirmer sa position contre celle de l’un des Pères Fondateurs. Encore faudra-t-il, dans la mesure du possible, démontrer la culpabilité du Père-Noël.

Pour ce faire, il est nécessaire de délimiter un cadre juridique précis. Il serait, en effet, impossible de remettre en cause les agissements de notre sujet dans le cadre international qui est le sien. Nous nous contenterons donc du droit français. Bien entendu, celui-ci étant très emprunt de droit international et européen, quelques digressions sur ces derniers ne sont pas exclues.

Inutile, dans cet article, de reprendre l’intégralité de la vie de cet être mystique dont les journaux télévisés, et la presse en général, se font écho chaque année à la même époque. Rappelons simplement que le Père-Noël habite selon toute vraisemblance en Laponie, bien que cette situation soit critiquée par certains Etats (Etats-Unis, Turquie, Canada). Cette précision peut avoir d’intéressantes conséquences juridiques, la Finlande étant un pays membre de l’Union européenne. D’autres éléments ponctueront cependant ce réquisitoire.

Quoiqu’il en soit, l’objet du présent article sera de démontrer, point par point, la culpabilité de ce personnage tant notre esprit républicain ne saurait supporter de telles violations de notre droit. C’est donc un réquisitoire en règle que le présent article entend dresser. On le verra, les règles juridiques violées ou susceptibles d’être violées par l’homme à la barbe blanche sont nombreuses, ce qui devrait inquiéter chacun de nous, chaque enfant, chaque parent, à la réception des précieux cadeaux florissant au pied du sapin à la date fatidique du 25 décembre.

Dénoncer de tels agissement et la volonté affichée de nos juges de ne pas sanctionner ces agissements, causant par là même une rupture d’égalité entre citoyens contraire à nos principes républicains[1], est donc, un véritable devoir.

Faisant écho à cette protection dont semble bénéficier l’odieux personnage, le récent rapport Ferrand sur les professions réglementées[2] ne fait aucune mention de l’activité de Père-Noël. Pourtant, cette tâche est nécessairement une profession réglementée. Au sens de l’article 3-1 a°) de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005[3], une profession réglementée se définit comme  « une activité ou un ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ; l’utilisation d’un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives aux détenteurs d’une qualification professionnelle donnée constitue notamment une modalité d’exercice ».

Or, dès lors qu’il n’existe qu’une licence pour exercer la véritable profession de Père-Noël (nous n’évoquons pas ici les postiches qui peuplent rues et magasins à l’approche de la fête), ladite profession peut être qualifiée de réglementée au sens de la directive pré-citée. Ceci est bien un exemple de la complaisance de l’Etat envers l’illustre délinquant.

 Il conviendra donc de dresser un inventaire, certes non-exhaustif, des règles violées par le Père-Noël dans le cadre de ses missions, et de démontrer, à chaque fois que cela est possible, que celui-ci se rend coupable d’illégalités. Seront ainsi analysées la détention illégale d’animaux sauvages (I), les modalités de déplacements de notre suspect (II) et les conditions d’exercice de cette profession (III).

I ) Détention illégale et mauvais traitement d’animaux sauvages

Le Père-Noël est, comme chacun le sait, véhiculé par un traineau tiré par des rennes. D’abord unique[4], puis multipliés par sept[5], les rennes du Père Noël sont, depuis quelques années, traditionnellement dénombrés à huit. C’est ainsi que huit rennes, répondants aux noms de Tornade, Danseur, Furie, Fringant, Comète, Cupidon, Tonnerre, Éclair et le fameux Rudolphe permettent à ce délinquant velu de se déplacer la nuit de Noël.

  • De la détention illégale d’animaux sauvages par le Père-Noël

Le lecteur ne pourra, à première vue, qu’être choqué par la détention, par notre sujet, d’espèces qui, magiques ou non, dotées ou non d’un nez rouge et luminescent, restent des animaux sauvages. L’horrifié lecteur aurait, bien entendu, raison puisque cette détention est le premier lot d’infractions que le juriste doit relever pour inquiéter le Père-Noël.

L’article premier de l’arrêté du 10 août 2004 fixant les règles générales de fonctionnement des installations d’élevage d’agrément d’animaux d’espèces non domestiques prévoit en effet qu’est « un élevage d’animaux d’espèces non domestiques […] un établissement d’élevage d’animaux d’espèces non domestiques soumis aux articles L. 413-2 et L. 413-3 du code de l’environnement s’il présente l’une au moins des caractéristiques suivantes : l’élevage porte sur des animaux d’espèces ou groupes d’espèces inscrits à l’annexe 2 du présent arrêté […] ».

L’annexe 2 de cet arrêté prévoit que le renne fait partie de la « liste des espèces non domestiques dont la détention ne peut être autorisée, sauf dérogation accordée pour certaines à titre transitoire, qu’au sein d’un établissement d’élevage ou de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques autorisé conformément aux articles L. 413-2 et L. 413-3 du code de l’environnement à détenir des animaux de l’espèce considérée ».

Le Père Noël détient, lui, et même temporairement sur le sol national, une espèce sauvage. Or, cela ne lui est, au vu de ces textes, pas possible, s’il n’est pas responsable d’un établissement d’élevage d’animaux d’espèces non domestiques. Il aurait donc dû remplir les conditions prévues à l’article L413-2II du code de l’environnement (il est européen et détient ses espèces temporairement sur le sol français).

Il s’en serait suivi qu’avec un tel agrément, notre encapuchonné barbu aurait dû être soumis à de strictes règles de contrôle organisées par les articles R413-2 et suivants du même code. Des sanctions administratives sont prévues si l’individu concerné ne remplit pas les conditions de déclarations (articles L413-5 et suivants du code de l’environnement). En outre, des sanctions pénales sont prévues pour punir les faits « d’être responsable […] d’un établissement d’élevage, de vente, de location ou de transit d’animaux d’espèces non domestiques […] , sans être titulaire du certificat de capacité prévu à l’article L. 413-2 » et « d’ouvrir ou d’exploiter un tel établissement en violation des dispositions de l’article L. 413-3 ou des règlements et des décisions individuelles pris pour son application ». Ces faits sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende selon l’article L415-3 du Code de l’environnement.

Or, aux dernières nouvelles le Père Noël n’avait pas réussi à prouver qu’il avait bien procédé, pour la détention des espèces de types « renne », à l’ensemble des démarches administratives d’accréditation et de contrôle imposées par le code rural et le code de l’environnement. Le gros bonhomme est donc bien un délinquant, remettant en cause les dispositions propres à la sauvegarde des espèces animales.

  • De la maltraitance sur animaux

Pire, encore, le Père Noël se rend, et il convient de le dénoncer, coupable de maltraitance envers ses animaux. En effet, en imposant à ses rennes, dont le célèbre Rudolphe, des cadences extraordinaires tout en leur faisant tirer des quantités astronomiques de cadeaux et d’offrandes diverses, le père Noël contrevient nécessairement à l’article L214-3 du Code rural et de la pêche maritime et à l’article L521-1 du Code pénal qui prohibent tous deux et punissent les mauvais traitements envers les animaux. Notons que les animaux « sauvages apprivoisés ou tenus en captivité », comme les rennes, sont concernés par cette protection juridique.

En effet, le rythme et les lourdes charges imposées aux rennes par cet odieux personnage est susceptible de les blesser et constitue donc un mauvais traitement. La Cour d’Appel de Chambéry, dans un arrêt en date du 10 juillet 2008, a ainsi condamné un individu qui, au cours d’une nuit, avait chevauché une jument jusqu’à épuisement ; celle-ci étant, pas la suite, décédée de ce fait. L’auteur a été condamné à une peine de 300€ d’amende. Il a, en outre, été condamné à verser 1300 € de dommages et intérêt au propriétaire du défunt cheval au titre du préjudice matériel et 500 € au titre du préjudice moral. Les associations de protection de la nature s’étant constituées partie civile au procès ont, elles, obtenue une indemnité de 300€[6]. Pourquoi donc ne pas appliquer les mêmes peines au Père-Noël ? Si, techniquement, celui-ci ne « chevauche » pas ses rennes, il les exploite clairement jusqu’à épuisement. Tout jovial que paraisse l’Homme, et tout bon envers les enfants soit-il, il se rend coupable d’indignes actes de barbarie envers ses animaux, ses fidèles rennes, qu’il force à courir et voler jusqu’à l’ultime épuisement.

  • De « l’importation » illégale d’animaux sauvages et des conséquences sanitaires

Outre ces graves faits de cruauté, l’homme, dont le bonnet et l’écharpe sont aussi ridicules que sa barbe, traverse la frontière avec des animaux sauvages. Or, une telle « importation » est extrêmement réglementée, y compris au sein de l’Union européenne. L’article L236-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit ainsi que « pour être introduits sur le territoire […], les animaux vivants, […] doivent répondre aux conditions sanitaires ou ayant trait à la protection des animaux fixées par le ministre chargé de l’agriculture ou par des règlements ou décisions communautaires ».  S’il ne convient pas ici de faire un état complet des règles prescrites par la législation nationale et européenne, on ne peut que s’accorder sur le fait que le Père-Noël ne remplit pas ces conditions. Il n’a ainsi jamais justifié de l’état de santé et/ou de vaccination des célèbres cervidés qui, malgré leur caractère magique, peuvent très bien contracter et véhiculer des maladies de types fièvres aphteuses, brucelloses, tuberculoses ou encore maladies débilitantes chroniques des cervidés (symptôme MDC). Or, en passant au dessus de nos maisons, de nos routes, de nos forêts, ces caribous au nez rouge, preuve s’il en était besoin, qu’ils sont porteurs de maladies, sont des vecteurs d’agents pathogènes capables de décimer notre faune sauvage et nos troupeaux. Nous ne pouvons nous résoudre à penser que le Père-Noël, qui passerait du statut de simple délinquant à celui de terroriste, souhaite organiser de telles épidémies. Il reviendrait cependant à nos autorités sanitaires de lui rappeler les contraintes inhérentes à l’importation de rennes, ce qui n’est pas fait.

Les autorités américaines ont, elles, par exemple, déjà pris en compte ces problématiques sanitaires. Ainsi, le très sérieux US Department of Agriculture’s Animal and Plant Health Inspection Service (APHIS) a, le 23 décembre 2013, accordé au barbu des neiges un « movement permit ». Le département de l’agriculture notait ainsi qu’en cette période, il souhaitait faire « tout son possible pour aider le Père-Noël » et que les conditions sanitaires lui semblaient remplies, notamment au vu du lieu de villégiature du Santa Claus local[7]. Concernant les autorités françaises et européennes, nous n’avons pas connaissance d’une décision expresse accordant au Père-Noël le droit de franchir les frontières, et notamment la frontière nationale, accompagné de ses rennes. Si, donc, le Père-Noël est un délinquant, et dissimule ses importations d’espèces sauvages, il convient également de dénoncer le « laisser-faire » de nos autorités sanitaires.

En effet, aux termes de l’article L237-3 du Code rural et de la pêche maritime, la violation de l’article L236-1 du même Code, déjà évoqué, est punie de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. A cette peine, peuvent s’ajouter des peines complémentaires d’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’émettre des chèques, la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, ou encore l’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l’infraction.

De ces constats, deux peines complémentaires peuvent s’appliquer au barbu des glaces : premièrement la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit. En effet, le traineau peut entrer dans cette catégorie juridique puisqu’il a permis aux rennes d’entrer sur le territoire. Deuxièmement, et c’est là la sanction ultime, il pourrait être envisagé d’interdire au Père-Noël d’assumer sa profession de distributeurs de présents dès lors que l’importation illégale des rennes a été facilitée, et justifiée aux yeux du grand public, par cette même profession.

Enfin, les autorités françaises pourraient, et devraient même, mettre en œuvre les procédures prévues à l’article L236-9 du Code rural et de la pêche maritime. En effet, lorsque des animaux vivants ne répondent pas aux conditions fixées par l’article L. 236-1 de ce Code, les agents chargés des contrôles peuvent prescrire : la mise en quarantaine des animaux, leur abattage, la réexpédition des animaux concernés ainsi que l’immobilisation et la désinfection des moyens de transport. Ces règles sont mises à la charge du propriétaire. Attention cependant, rien n’indique que les autorités sanitaires pourraient aisément euthanasier Rudolphe et ses compères, les juridictions administratives ayant déjà exigées de la proportionnalité en matière d’ « abattage » d’espèces animales[8]. Cela ne changerait cependant rien, les animaux, placés en quarantaine, ne pourraient, en effet, pas véhiculer le Père-Noël dans sa tournée qui devrait alors être annulée.

Outre les questions liées au traitement des animaux qui servent de « moteur » au traineau, le Père Noël se rend coupable de nombreuses infractions au droit de la navigation aérienne. Ces infractions peuvent également, en principe, donner lieu à de nombreuses sanctions.

II) Le survol de l’espace aérien et ses conditions

On a suffisamment dit, précédemment, que le rougeau personnage se déplaçait grâce à un traineau. Celui-ci, selon la tradition, vole en émettant un son de clochettes. Néanmoins, se pose la question de la qualification juridique de la « Papa(-Noël)-mobile ? ». Il semble qu’une réponse puisse être apportée à la lecture du code des transports.

  • De la qualification du traineau comme aéronef et de ses conséquences pour le pilote

Au sens de l’article L6100-1 de ce Code, reprenant l’ancien article L110-1 du Code de l’aviation civile, est un aéronef « tout appareil capable de s’élever ou de circuler dans les airs ». Il va donc clairement de soit que le traineau du Père-Noël doit être qualifié comme tel, celui-ci étant capable de s’élever et de voler dans les airs. Si certains esprits chagrins, ou les avocats du plus célèbre des délinquants, considèrent que ledit traineau n’est pas un aéronef en vertu de cet article, il n’y a qu’à rappeler que la jurisprudence de la Cour de cassation qualifie les parapentes[9] et les ULM[10] d’aéronefs. Le Père Noël aura beau essayer de se défendre, le traineau n’échappera pas à la qualification juridique d’aéronef.

Dans ces circonstances, et dès lors qu’ « un aéronef ne peut circuler que s’il est immatriculé[11] », il revenait au propriétaire dudit traineau de demander cette immatriculation. Or, aucun document ne prouve cette immatriculation, ce qui rend le Père Noël susceptible de se voir appliquer les peines prévues à l’article L6142-4 du Code des transports. Aussi, notre généreux barbu risque un an d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour avoir mis en service un aéronef sans avoir obtenu un certificat d’immatriculation.

Force est également de constater que le Père-Noël ne peut justifier d’un quelconque brevet ou licence. Les registres tenus en la matière ne font, en effet, état d’aucun titulaire répondant au nom de M. Noël et habitant au beau milieu de la Laponie. Or, là encore, pour avoir commis une telle infraction, celui-ci est susceptible, sur le fondement de l’article L6541-1 du Code des transports, de se voir incarcérer pour un an et de se voir infliger une peine de 75 000 € d’amende. Quelques enfants risquent donc de se voir priver de cadeaux vu les réductions budgétaires qui découleront du paiement de ces amendes…

  • Du survol illégal de zones interdites

De plus, l’article L6211-4 du Code des transports prévoit que « le survol de certaines zones du territoire français peut être interdit pour des raisons d’ordre militaire ou de sécurité publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. L’emplacement et l’étendue des zones interdites sont définis par l’autorité administrative ». Sans rentrer dans de complexes distinctions, ces dispositions, prévues par les articles D131-1 et suivants du Code de l’aviation civile ont, par exemple, pour but de protéger les aéronefs et/ou des sites industriels[12], des installations militaires[13] des centrales nucléaires[14] ou encore, à titre temporaire, des personnalités lors de cérémonies ou de sommets internationaux[15]. De telles restrictions ou interdictions de survol peuvent également avoir lieu lors de salons aéronautiques comme le salon du Bourget[16].

Outre ces interdictions ponctuelles, une interdiction de survol fort connue est la zone interdite LFP23 qui interdit à tous les aéronefs « le survol de la zone comprise dans les limites des anciennes fortifications de la ville de Paris […] à l’exception des aéronefs de transports publics effectuant un service régulier et des avions militaires assurant un service de transport, sous réserve que soient respectées les conditions d’altitude minima fixées par mesure de sécurité à 2000 mètres »[17]. Or, il est évident que, pour les besoins de ses livraisons, le Père-Noël viole plusieurs zones de restriction aérienne. S’il s’appliquait à respecter scrupuleusement cette zone d’exclusion aérienne, les petits parisiens seraient privés de cadeaux. Néanmoins, dans ce cas, il ne s’exposerait pas, au titre de l’article L6232-2 du Code des transports, à des peines allant de six mois d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende s’il arrive à prouver qu’il a survolé une zone interdite par maladresse ou négligence, à un an d’emprisonnement et 45 000 € s’il s’est volontairement engagé et/ou maintenu au dessus d’une telle zone. Il va de soi, en l’espèce, que la seconde hypothèse est la plus pertinente. La plus grande sévérité doit donc être appliquée à un moment où des personnes survolent des zones interdites à l’aide de drones. Comment, en effet, faire preuve de sévérité envers ces individus si une célébrité comme le Père-Noël peut, lui, se permettre ce genre d’illégales frivolités ?

De telles condamnations ne seraient, de surcroit, pas inédites. Ainsi, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bressse a déjà condamné à six mois de prison avec sursis un militant de Greenpeace pour avoir survolé, en paramoteur, la centrale nucléaire EDF du Bugey dans l’Ain[18]. De même, le tribunal correctionnel de Versailles a déjà condamné un individu à une amende de 800€ pour avoir, par négligence ou mégarde, survolé une zone de restriction aérienne ; en l’espèce la résidence présidentielle de La Lanterne[19]. Ces condamnations pénales s’imposent, bien entendu, sans préjudices des procédures d’interceptions d’aéronefs permises par la convention de Chicago qui sont, elles aussi, fréquemment mises en œuvre sur le territoire français[20]. On le voit, tant la jurisprudence que les autorités militaires ont déjà mis en œuvre les procédures de prévention et de répression de survols illégaux. Les précédents existent et ont déjà été validés par nos juges. Comment expliquer, dans ces circonstances que l’homme aux bottes fourrées et au chaud manteau rouge ne soit pas condamné sur ces mêmes fondements ?

  • De la violation des règles de sureté aérienne

En outre, et plus étonnant, le Père Noël se rend coupable d’excès de vitesse « en l’air ». En effet, et sans entrer dans les détails, l’espace aérien est divisé en plusieurs classes correspondants au niveau de rendu du service du contrôle aérien (cinq zones contrôlées A à E et deux zones non-contrôlées F et G). Ainsi, si pour les classes A et B la vitesse n’est pas limitée, il n’en n’est pas de même pour les autres classes. Pour ne se servir que d’un exemple, en zone C, la vitesse est limitée à 250 nœuds pour les avions volant à vue sous le niveau de vol 100, soit 463 km/h ou encore 0,13 km/s[21]. Du reste, d’après la réglementation aérienne en France, une limitation de vitesse à 250 nœuds est imposée à tous les vols dans toutes les classes d’espace au-dessous de 3050 m[22].

Or, selon l’acception générale, le Père Noël volerait à près de 1.046 kilomètres par seconde, ce qui dépasse de très loin le niveau maximal autorisé. Du reste, les annexes au code de l’aviation civile relatives aux règles de l’air et aux services de la circulation aérienne telles qu’introduites par l’arrêté du 3 mars 2006 rappellent que les vols à vue ne « sont pas effectués à des vitesses transsoniques et supersoniques ». La vitesse de 1046 km/s assumée tel un record par le Père Noël est, elle, bien plus que supersoniques ! Les éléments de preuve ne manquent pas, le Père-Noël ayant publié plusieurs selfies sur les réseaux sociaux exhibant fièrement, le pouce levé et tout sourire, ses prouesses de vitesses. Or, en droit routier, des tribunaux ont déjà considéré qu’il s’agissait là de moyens de preuve recevables[23]. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas appliquer ce mode de preuve au Père-Noël et ne pas mettre en œuvre les sanctions prévues par le code des transports ?

En effet, en plus de sanctions administratives, notamment prévues par l’article L6231-1 du Code des transports, des sanctions pénales pourraient, là encore, être appliquées à notre barbu mythique. En effet, l’article L6142-5 du Code des transports précise qu’ « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende le fait pour le pilote : […] de conduire sciemment un aéronef dans les conditions prévues par les articles L. 6142-4 et L. 6232-4 ». Ce dernier article définit ces conditions illégales de vol comme « des conditions d’utilisation non conformes aux règles édictées en vue d’assurer la sécurité […] par les textes pris en application de la présente partie par le ministre chargé de l’aviation civile et relatifs à l’équipement des aéronefs, aux modalités de leur utilisation, à la composition des équipages et à leurs conditions d’emploi ». Or, l’arrêté du 3 mars 2006 relatif aux règles de l’air et aux services de la circulation aérienne et ses annexes ont pour objet de définir des règles de sécurité en matière aérienne. Leur violation serait donc susceptible de conduire à la condamnation du contrevenant, en l’espèce, l’ami des enfants, sur le fondement de l’article L6142-4 du Code des transports.

De nombreuses fautes sont encore commises par le Père Noël en matière de sécurité aérienne (dépôt des plans de vols ; état de l’aéronef et homologations ; tenue d’un carnet de vol etc). Cependant, le personnage commet bien trop d’irrégularités en la matière pour être exhaustif.

Notons qu’en cas de condamnation pénale, l’article L6232-5 du Code des transports offre au juge la possibilité d’appliquer une peine complémentaire au pilote qui s’est rendu coupable de diverses infractions audit Code, et notamment celles déjà citées. Ainsi, le juge peut, par son jugement ou arrêt de condamnation, infliger au pilote la peine complémentaire d’interdiction de « conduite » d’un aéronef (sic.) pour une durée de trois mois à trois ans. Le deuxième alinéa du même article prévoit, en cas de récidive, que si le pilote est condamné une seconde fois pour l’un de ces mêmes délits dans un délai de cinq ans après l’expiration de la peine d’emprisonnement ou le paiement de l’amende, « la durée de l’interdiction de conduire un aéronef peut être doublée ». Là encore, privé de son traineau, le Père-Noël ne pourrait plus garnir de cadeaux et d’offrandes les chaussettes de nos chères petites têtes blondes.

Néanmoins, et au vu des conditions dans lesquelles celui-ci exerce son activité professionnelle, il conviendrait peut-être de le stopper à ce niveau. En effet, et ce sera l’objet de la dernière partie, les conditions dans lesquelles le Père-Noël distribue ses cadeaux sont également fort suspectes.

  • Des conditions d’exercice de la profession de Père-Noël

Le Père Noël s’avère être suspecté d’illégalités directement contraires au Code pénal et il revient à l’humble auteur de ces lignes de les dénoncer. Ce bonhomme rouge à longue barbe est, en effet, un délinquant, et la morale publique impose de mettre un terme à ses activités.

  • De la violation de domicile

L’infraction pénale ici évoquée est celle de violation de domicile. Ce délit est défini par l’article 226-4 du Code pénal comme « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet ». Ce délit est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

De jurisprudence constante, le domicile se définit comme « le lieu où une personne a son principal établissement, ou le lieu, qu’elle y habite ou non, où elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux[24] ». Cette définition ne fait pas débat au vu des pratiques du Père-Noël qui pénètre dans les logements des gens pour leur fournir cadeaux et présents.

L’acception générale considère que le Père-Noël s’introduit dans le domicile des enfants par la cheminée pour délivrer ses cadeaux. Cela pose la question de savoir si cette triste pratique, tenant plus du ramoneur que de l’être mystique, constitue, ou non, une violation de domicile.

En droit, la violation de domicile ne saurait exister si l’occupant d’un local donne son autorisation[25]. Cette autorisation ne peut cependant pas être donnée par des enfants mineurs[26]. Cependant, dans de très nombreux cas, il n’y a pas d’accord exprès des parents pour interdire l’entrée du Père-Noël, au sein du foyer familial. Les enfants eux-mêmes ne consentent pas expressément à cette entrée mais leur volonté d’accueillir le père-Noël, en déposant notamment cookies et laits de poule sur la table basse du salon, sert de fondement, ou d’excuse, à l’intrus pour violer le domicile des parents.

Du reste, si, pour caractériser le délit de violation de domicile, « il doit être établi qu’antérieurement à la pénétration dans le domicile, les prévenus ont commis une effraction ou une escalade ou affronté une résistance ou une opposition quelconque[27] », il n’en demeure pas moins qu’il y a bien manœuvre, au sens de l’article 226-4 du Code pénal, lorsque le prévenu passe par la cheminée. Dans un tel cas, en effet, le suspect, n’ayant pas été expressément convié par les habitants, fait preuve d’escalade et, donc, de manœuvres. Sous l’empire de la loi ancienne, la Cour d’Appel de Nîmes avait même considéré que passer par une fenêtre ouverte qualifiait la voie de fait nécessaire à la caractérisation du délit de violation de domicile[28]. Dans la même veine, la Cour de cassation admit, en 1994, que les juges d’appel avaient, en relevant que les individus s’étaient « volontairement introduit à l’aide d’une voie de fait, en l’occurrence une escalade, dans une dépendance du domicile d’autrui [une terrasse] » suffisamment qualifié le délit de violation de domicile [29].

Dans ces circonstances, le Père-Noël se rend bel et bien coupable d’une manœuvre, voire d’une voie de fait, en pénétrant, sans y être invité, dans les logements français en passant par la cheminée.

  • Des illégalités commises au regard de la tenue du Père-Noël

Outre la question de la violation de domicile, et à l’opposé, le Père-Noël peut se rendre coupable de la contravention de dissimulation volontaire du visage dans l’espace public. L’accoutrement de celui-ci ne permet, en effet pas, de voir son visage, la barbe, l’écharpe et le bonnet s’y opposant. Or, la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public prévoit, que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». L’intéressé a cependant déjà fait savoir qu’il contesterait toute condamnation sur ce fondement, l’article 2 de cette même loi rappelant que l’interdiction prévue à « l’article 1er ne s’applique pas si la tenue […] est justifiée par motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ». Le Père Noël défend ici son accoutrement, non seulement par le folklore dû aux fêtes de fin d’année, mais également par les motifs professionnels, les sujétions liées à l’activité de livraison, en traineau, nécessitant un accoutrement des plus chauds. S’il n’est pas certain qu’un tribunal suivrait une telle argumentation, il n’en demeure pas moins que celle-ci a de la force et qu’il serait prématuré de clouer le Père-Noël au pilori pour cette violation supposée. Néanmoins, l’auteur de ces lignes rappelle au saint homme qu’il est loisible à un maire, si les contraintes liées à la sécurité et à la tranquillité publique locales l’imposent, de prendre toute mesure propre à faire cesser une menace ; et notamment, interdire le port d’un costume ou d’un déguisement[30].

Conclusion :

Loin, donc, d’être un ange, le Père-Noël est un délinquant notoire. Il ne convenait pas ici de reprendre, point par point les nombreuses illégalités dont celui-ci peut, à l’occasion de son activité professionnelle, se rendre coupable, mais uniquement de dénoncer les plus criantes.

Les juristes les plus inventifs gardent donc toute latitude pour s’insurger contre d’autres agissements de notre suspect barbu.

En outre, et cela n’a pas été évoqué dans cet article, les actions du Père-Noël peuvent avoir des conséquences civiles en cas, par exemple, de destruction ou de détérioration involontaire de biens publics ou privés.

A titre conclusif, rappelons que d’autres personnes pourraient être tentées de mettre en cause la responsabilité contractuelle du Père-Noël lorsque celui-ci n’offre pas les cadeaux souhaités. En effet, une analyse juridique rapide peut conduire à comprendre la relation individu/Père-Noël comme une relation contractuelle dont l’objet serait les cadeaux, et la cause, d’y croire… Dans ces circonstances, une personne croyant au mystique homme devrait, contractuellement parlant, avoir droit aux offrandes réclamées, ce qui n’est pas le cas.

Quoiqu’il en soit, dans la plupart des cas, cette relation contractuelle serait une relation juridiquement spéciale, et donc sui generis, puisqu’elle reviendrait à permettre à des mineurs non-émancipés de contracter avec leurs propres rêves 

Le rêve, peut-être est-ce là la véritable raison qui pousse nos juges, nos Codes et nos lois à tolérer les entorses que ce haut personnage fait subir à notre droit…

 

 

Morgan Reynaud

 


 

 

[1] Voir, notamment, le principe d’égalité devant la loi prévu à l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « [La Loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse […] »

[2] PROFESSIONS RÉGLEMENTÉES, Pour une nouvelle jeunesse, Rapport de M. Richard FERRAND, Parlementaire en mission auprès du Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, Octobre 2014.

[3] DIRECTIVE 2005/36/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles

[4] Poème anonyme New-Year’s Present to the Little Ones from Five to Twelve publ. William Gilley

[5] Poème The Night Before Christmas de Clement Clarke Moore

[6] CA Chambéry, 10 juillet 2008, n° 08-00079.

[7] Voir, pour s’en convaincre : Santa’s Reindeer Issued Permit from USDA to Enter the U.S http://blogs.usda.gov/2013/12/23/newsflash-santas-reindeer-issued-permit-from-usda-to-enter-the-u-s/#sthash.sHtFkWvr.dpuf

[8] Ex : CE, ord., 27 févr. 2013, société Promogil, Req n°364751 sur l’affaire des éléphants Baby et Népal.

[9] Civ 1ère, 19 octobre 1999, Société mutuelle d’assurances aériennes et des associations, pourv. n°97-14759

[10] Crim 7 juin 1990, pourv. n° 89-86430

[11] L6111-1 du code des transports

[12] Ex : Arrêté du 23 février 2010 portant création d’une zone interdite identifiée LF-P 30 Moronvilliers, au-dessus du site industriel de Moronvilliers (Marne)

[13] Ex : Arrêté du 4 septembre 2013 portant création d’une zone interdite identifiée LF-P 63 dans la région de l’île du Levant (Var), dans la région d’information de vol de Marseille

[14] Ex : Arrêté du 13 septembre 2012 portant création d’une zone interdite identifiée LF-P 19 au-dessus du site nucléaire de Tricastin-Pierrelatte (Drôme) dans la région d’information de vol de Marseille

[15] Ex : pour les commémorations du 70ème anniversaire du débarquement : Arrêté du 20 mai 2014 portant création d’une zone interdite temporaire identifiée ZIT Rouge dans la région de Caen (Calvados) en France métropolitaine

[16] Ex : Arrêté du 6 juin 2013 portant création d’une zone interdite temporaire dans la région du Bourget (Seine-Saint-Denis) identifiée ZIT Rouge dans la région d’information de vol de Paris

[17] Arrêté du 20 janvier 1948 relatif au survol de Paris

[18] T.Corr. Bourg-en-Bresse, 27 mars 2013

[19] T. Corr. Versailles, 8 novembre 2007

[20] Ex : Interception, le 11 septembre 2011, d’un avion léger étranger  de type PA28 sur la zone interdite de survol de Chinon ; Interception, le 20 juin 2014, d’ un avion léger de type DA40 pénétrant dans la zone interdite de survol P33 au dessus de la centrale nucléaire de Penly

[21] Annexe II : Appendice 4 Classes d’espace aérien ATS Services assurés et prescriptions de vol créé par l’Arrêté du 3 mars 2006 relatif aux règles de l’air et aux services de la circulation aérienne

[22] Voir notamment : Annexe 2 à l’arrêté du 3 mars 2006 modifié (Services de la circulation aérienne) p68.

[23] Voir notamment la condamnation, en 2011, d’un motard à 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour excès de vitesse prononcée par le Tribunal correctionnel de Boulogne-Sur-Mer

[24] Crim, 27 février 1963

[25] T. corr. Argentan, 5 novembre 1968

[26] Même jugement

[27] T. corr. Lyon, 16 janvier 1974

[28] CA Nîmes, 17 décembre 1966

[29] Crim, 8 février 1994, pourv. n°92-83151

[30] Voir notamment : l’Arreté n°712-2014 pris par le maire de la commune de Vendargues et interdisant à « tout individu ou groupe de personnes [âgés] de 13 ans ou plus de circuler déguisés ou grimés en clown dans les rues et espaces publics du centre urbain de Vendargues », et ce à l’occasion de la fête d’Halloween.

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