La forfaitisation des délits de stupéfiants généralisée

Suite à la fusillade survenue dans le quartier des Liserons à Nice le 24 juillet 2020, le Premier Ministre Jean Castex s’était rendu sur les lieux le lendemain. Cette visite ministérielle fut pour lui l’occasion d’annoncer, comme mesure-phare, la forfaitisation des délits de stupéfiants. Déjà appliquée dans plusieurs grandes villes, celle-ci est généralisée sur l’ensemble du territoire depuis le 1er septembre.

D’abord présentée par Gérard Collomb en 2018 (1) , cette nouvelle mesure permet de sanctionner, de manière automatique, la consommation de stupéfiants par une amende forfaitaire de 200 €. Celle-ci sera minorée à 150 € si le consommateur paie dans les quinze jours, et majorée à hauteur de 450 € après quarante-cinq jours (2). Cette  forfaitisation appliquée dans plusieurs grandes villes, comme Marseille, Lille et Rennes, est généralisée depuis le 1er septembre.

Cependant, il ne faut pas croire en une dépénalisation ou à une contraventionnalisation de la consommation de stupéfiants. En effet, la consommation de stupéfiants est toujours punie d’un an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende (3). Il reviendra au ministère public, selon les faits de l’espèce, de décider si l’affaire doit être portée devant le tribunal correctionnel, ou si le consommateur peut simplement s’acquitter de l’amende délivrée par les forces de l’ordre, en vue d’éteindre l’action publique (4). De plus, il est prévu que le délit soit inscrit aux casiers judiciaires des consommateurs, même en cas d’amende forfaitaire.

Cette forfaitisation a pour but d’accélérer la procédure pour ce type d’affaires en évitant le tribunal et ainsi les désengorger, tout en rendant la répression effective par l’unification des réponses pénales apportées. À ce titre, il faut rappeler que seul un quart environ des interpellés pour consommation de stupéfiants a été condamné en 2015 (5) . Le nombre de consommateurs interpellés a notamment été multiplié par sept entre 1990 et 2010 (6). Cette nouvelle mesure offre finalement au parquet la possibilité d’une procédure courte et efficace pour les affaires les plus classiques.

Une mesure décriée

La principale difficulté résidait d’abord dans les critères de cette procédure simplifiée. En effet, il était prévu d’appliquer les exceptions de l’article 495-17 du Code de procédure pénale à l’amende forfaitaire en matière d’usage de stupéfiants. C’est-à-dire que la mesure ne pouvait s’appliquer si le consommateur était mineur ou en état de récidive légale ou si plusieurs infractions ont été commises, elles doivent pouvoir donner lieu à des amendes forfaitaires . Cela impliquait donc que les policiers vérifient les antécédents (7) judiciaires du mis en cause, ce qui pouvait s’avérer compliqué aux vues de la fiabilité du traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) (8) et des réalités du terrain. C’est ce pourquoi il a finalement été décidé d’exclure la récidive des exceptions (9).

En outre, comme cette nouvelle mesure est facultative pour le procureur,  on ne voit pas en quoi il y aurait une unification de la réponse pénale, bien au contraire. Chaque parquet va en effet décider de ses propres critères pour l’application de l’amende forfaitaire. Le syndicat de la magistrature craint d’ailleurs une augmentation des procédures puisque l’amende forfaitaire n’empêche pas la réalisation de poursuites judiciaires (10).

Enfin, plusieurs associations ont dénoncé la vision répressive de cette mesure dans un livre blanc (11). Depuis cela, il est alors prévu que le consommateur, même si celui-ci bénéficie de la procédure simplifiée, pourra être obligé de suivre, à ses frais, un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants (12).

S’il faut noter la volonté de pallier un problème récurrent de nos tribunaux, force est de constater que cette forfaitisation semble être plus un remède en théorie que dans la pratique.

Flavien Ferrand, L3 de droit à l’université de Tours

(1) Interview Europe 1 en date du 25 janvier 2018

(2) Article 495-18 du Code de procédure pénale

(3) Article L. 3421-1 alinéa 1 du Code de la santé publique

(4) Article L. 3421-1 alinéa 4 du Code de la santé publique

(5) E. Poulliat, R. Reda, Rapport d’information, Commission des Lois constitutionnelles, de la 5 Législation et de l’Administration générale de la République, 2018, p. 18

(6) Poulliat, R. Reda, Rapport d’information, Commission des Lois constitutionnelles, de la Législation et de l’Administration générale de la République, 2018, p. 15.

(7) Article 495-17  alinéa 2 du Code de procédure pénale

(8) J.-M. Pastor, « Fichiers de police : la Commission de l’informatique et des libertés se fâche »,  Dalloz actualité, 27 février 2015

(9) Il faut toutefois noter la rédaction douteuse de l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique qui exclut la récidive comme faisant obstacle à l’utilisation de l’amende forfaitaire en matière de stupéfiants, et le renvoi opéré à l’article 495-17 du Code de procédure pénale, lequel prévoit justement que la récidive fait obstacle à l’utilisation de l’amende forfaitaire. Il faut donc considérer que le premier article pose une exception aux règles de principe prévues par le second article. 

(10) Franceinfo, « Quatre questions sur la forfaitisation des délits de stupéfiants dont la généralisation  a été annoncée par Jean Castex », 25 juillet 2020

(11) Livre blanc inter-associatif sur l’article 37 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de 10 réforme de la justice

(12) Article L. 3421-7 du Code de la santé publique

 

One comment

  1. Donc en conclusion on ne change pas une politique qui perd: on accroît la répression de l’usage des stupéfiants (tout en délaissant logiquement la prévention), à contre courant de ce qui se fait presque partout en Europe, alors que les résultats de cette politique sont déjà probants: la France est championne d’Europe de la consommation de ces produits!

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