La grogne des magistrats

 


 

A la suite des réactions de l’exécutif dans l’affaire de Pornic, un vent de révolte s’est propagé dans le corps judiciaire générant de nombreuses mesures de protestation. Manque chronique de moyens, sentiment de défiance vis-à-vis d’elle, la justice a été malmenée et a communiqué sur le malaise qui la traverse. Quelques lignes de force de ce mouvement peuvent être présentées.

 


 

Un populisme pénal : Les victimes sont de plus en plus appelées par leur prénom (« affaire Laetitia ») et la sphère politique tend à utiliser les faits divers pour exploiter l’effroi de la population. Le langage politique vise à rechercher immédiatement des « coupables » là où les juges prennent le temps de l’analyse. Cette impression donnée au peuple d’une magistrature insensible au deuil et à la douleur des victimes blesse les juges dont le métier est de juger, non de venger.

 

Une incohérence politique : Un manque flagrant de cohérence dans les annonces politiques est, en outre, souligné par les magistrats. Ainsi, d’un côté, on affirme vouloir fixer des peines planchers (hard criminal policy), et de l’autre, on tend vers un aménagement obligatoire des peines de moins de deux ans (soft criminal policy). Pour Antoine Garapon, magistrat, il n’est pas possible de se proclamer champion du « tout sécuritaire », avec les visées électorales afférentes, et d’établir parallèlement une justice low cost, laquelle, faute de moyens, se doit de limiter les peines privatives de liberté.

 

 

Un avenir inquiétant : En dépit de la réserve judiciaire destinée à soutenir les juridictions (art. 164 Loi n°2010-1657, 29 déc. 2010 de finances pour 2011), les perspectives contribuent à accroître les appréhensions des juges. En effet, de nouvelles attributions chronophages sont annoncées. Il en va ainsi des pouvoirs qui vont revenir au magistrat dans le cadre de la réforme de la garde à vue et dans celui du contrôle des hospitalisations d’office ; les procédures actuelles ayant été déclarées inconstitutionnelles à la suite de QPC. D’autres données, comme la faiblesse du budget alloué à l’aide juridictionnelle, inquiètent jusqu’à l’avocature.

 

Ainsi cette « révolte » n’est donc pas le fait de personnes omnipotentes et imbues d’elles-mêmes ne supportant pas la contradiction mais bien une vive réaction à ce qui pourrait dégénérer en une atteinte grave aux libertés fondamentales.

 

Le principe de la présomption d’innocence (art. préliminaire du Code de procédure pénale), essentiel pour le droit à un procès équitable, a été écorché avec l’affaire Pornic. Pourtant, ce principe est indispensable au respect du contradictoire et constitue un gage de sérénité de la justice. Il est la condition de la production de décisions vraiment juridiques… c’est-à-dire objectives et dépassionnées. Or, ici, les réactions politiques semblent omettre qu’une culpabilité ne peut être établie qu’au terme d’une décision définitive qui implique nécessairement l’écoulement d’un certain délai.

 

Toujours sur le plan des libertés fondamentales, les déclarations du Président de la République ont choqué car celui-ci, en tant que « garant de l’indépendance de l’autorité judicaire » (art. 64 de la Constitution) doit veiller à l’indépendance des magistrats et non à leur subordination à l’exécutif. Cette volonté de sanctionner des magistrats, presque personnellement, va donc totalement à l’encontre de cette norme constitutionnelle puisqu’elle implique que le troisième pouvoir serait soumis au pouvoir hiérarchique de l’exécutif (il en est déjà ainsi des membres du Parquet dont le caractère de magistrat est dénié par la CEDH).

 

Ce mouvement d’affaiblissement du pouvoir judiciaire risque fort de se poursuivre au vu du symbolique projet de « jurys populaires » dans les tribunaux correctionnels. L’idée selon laquelle le peuple devrait surveiller des juges laxistes est à peine voilée. Ce coûteux projet s’inscrirait dans une philosophie inédite et curieuse de contre-pouvoir au pouvoir judiciaire. Cette annonce semble oublier qu’en tant que protecteur consciencieux des droits fondamentaux, le pouvoir judiciaire n’est pas une menace… mais bien le plus puissant des contre-pouvoirs.

 

 

Aurélien ROCHER

 

 

Pour en savoir plus


http://www.unionsyndicalemagistrats.org

 

Malaise dans la magistrature, JCP G 2011, act. 199

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