La justice américaine au crible de l’affaire BNP paribas

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Le 30 juin dernier, les Etats-Unis ont condamné BNP Paribas à une amende de 8,834 milliards de dollars soit 6,45 milliards d’euros pour avoir effectué des paiements en dollars en Iran, au Soudan et à Cuba. C’est la pénalité financière la plus lourde jamais infligée par les autorités américaines à une banque étrangère. Ces transactions étaient parfaitement légales en Europe. Mais étant libellées en dollars, elles ont été compensées via la filiale de BNP Paribas à New York.

Ainsi, la justice américaine fait du règlement en dollars d’une transaction le lien de rattachement aux Etats-Unis permettant d’étendre l’application de la loi américaine aux sociétés européennes et de résoudre le litige conformément aux règles procédurales qui leur sont propres, qui fait une large place aux deals de justice.

            Une justice extraterritoriale

Le critère de rattachement au territoire américain résulte de la transaction qui est effectuée en dollars et qui doit passer par une chambre de compensation sur le sol américain . Cependant, au plan international il n’existe quasiment pas d’opérations économiques qui échappent à l’utilisation du dollar, et particulièrement en matière bancaire. L’avocat Maître Soulez Larivière a pu faire valoir que la justice américaine était devenue une juridiction économique universelle[1]. Dès lors, en retenant ce critère afin de délimiter le champ d’application de leur réglementation, le privilège exorbitant des Etats-Unis n’est plus seulement économique, il est également juridique. Ainsi, l’affaire BNP Paribas démontre la propension des Etats-Unis à revendiquer le respect de leur législation pour des opérations sans lien avec le territoire américain.

En effet, les mesures d’embargo, comme toutes les réglementations étatiques impératives ne peuvent avoir de légitimité universelle que lorsqu’elles sont le fruit d’une gouvernance mondiale, c’est à dire lorsqu’elles sont adoptées par l’Organisation des Nations Unis ou une convention internationale. Par ailleurs, le Droit international encadre les compétences étatiques au regard des principes de souveraineté, de non ingérence et de coopération. Ainsi, la combinaison de ces principes a conduit à l’émergence de règles coutumières établissant des titres de compétences étatiques. Si en matière de compétence d’exécution c’est l’Etat du lieu où la situation est localisée qui va être compétent, s’agissant de la compétence normative, depuis l’arrêt Lotus du 7 septembre 1927[2], elle peut être extraterritoriale, sauf lorsque cela est interdit par le Droit international. Ainsi, cela conduit la Cour américaine à appliquer sa propre loi, que la législation française soit ou non applicable.

Néanmoins, cette extraterritorialité de la justice américaine peut être contestée par l’Union Européenne par le biais d’une saisine de l’organe de règlement des différends de l’OMC, voire dans le cadre des négociations en cours du partenariat transatlantique. Aussi, la France a la possibilité d’attraire les Etats-Unis devant la Cour de justice de la Haye en invoquant le non respect de la Convention d’établissement Franco-américaine du 25 novembre 1959 et plus précisément du traitement équitable accordé aux ressortissants et sociétés des deux Etats.

C’est suite à ce litige que les dirigeants politiques français ont mis en exergue que l’extraterritorialité des normes américaines, liée à l’utilisation du dollar doit conduire l’Europe à se mobiliser pour faire progresser l’usage de l’euro comme monnaie d’échange internationale. Cependant l économiste Jacques Sapir a fait valoir que si « l’affaire BNP risque de précipiter l’abandon du dollar comme monnaie de transaction internationale, ce n’est pas à l’euro que cela profitera mais au yuan chinois » qui est la deuxième monnaie pour les transactions internationales[3].

Si l’on constate au sein de ce système judiciaire l’extension du champ d’application de la loi, on observe que les litiges attraits devant leurs Etats prennent la forme de deals de justice qui se substituent aux actions classiques.

            Une justice négociée : Les deals de justice

Dès qu’une entreprise dans le monde est soupçonnée de pratiques illicites, telles que la corruption ou la violation d’embargo, elle se voit proposer de coopérer ou de s’opposer aux autorités américaines. Si l’entreprise s’oppose, elle est alors sous la menace d’une mise en examen et de sanctions lourdes telle que le retrait de la licence bancaire. Par ailleurs, l’instrumentalisation du procès et la médiatisation conduisent à passer par le deal de justice plutôt que le procès. Ces deals prennent la forme de guilty plea ou bien d’accords transactionnels, soumis ou non à un contrôle juridictionnel minimal.

A cet égard, la société BNP Paribas a accepté le deal, ce qui lui a valu une importante peine d’amende. Par ailleurs, la banque a dû accepter certaines mesures, ce qui conduit à la mise sous tutelle par la justice et l’administration américaines d’une entreprise stratégique. Craignant de pareilles sanctions, les établissements bancaires européens ont augmenté leur provision collective pour litige.

On peut néanmoins relever que le système de deal est très efficace, cependant, l’absence de contrôle sur le déroulement de la procédure par un juge nuit aux principes fondamentaux du Droit. En effet, le doute peut être permis quant à savoir si la justice a été rendue, sachant qu’aucun juge ne s’est prononcé sur la matérialité des faits et sur le contrôle adéquat et juste de la sanction imposée. De plus, ce deal peut s’assimiler à une renonciation aux droits classiques accordés à une personne mise en cause dans une procédure pénale ou administrative.

Enfin, peut se poser la question de la nature des sanctions prononcées, à savoir les peines d’amende. Sont avancées plusieurs hypothèses, ce peut être une véritable sanction, mais peut aussi être vue comme un prix ou un impôt. Pour reprendre l’expression d’un juge fédéral, l’amende serait le prix d’accès au marché américain. En effet, depuis avril 2013, l’Etat de New york a touché 3,9 milliards de dollars grâce aux amendes infligées.

 Marine Garido Martin

 

Pour en savoir plus :


[1]Daniel Soulez Larivière, « La juridiction universelle et les dix milliards de la BNP », Le HuffPost, 2 juin 2014

[2]Affaire du Lotus (France c. Turquie), CPJI, 7 septembre 1927

[3]Laurent Martinet, « Amende BNP Paribas: l’Europe peut-elle défendre ses banques ? », L’Express, 1er juillet 2014

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