La réforme pénale en Espagne permet la reconnaissance de la responsabilité pénale des entreprises


 

La réforme du Code pénal espagnol, entrée en vigueur le 23 décembre 2010, introduit pour la première fois la responsabilité pénale des personnes morales, notamment les entreprises. Le droit pénal espagnol est le dernier des droits européens à épouser cette notion, née aux États Unis avant d’entrer en Europe ces dernières années, non sans quelques controverses.

 


 

I.   Le détail de la réforme

 

 Selon l’article 31 bis du nouveau Code pénal, la responsabilité pénale pourrait être retenue pour les délits commis par les administrateurs de droit et de fait, et aussi par toute autre personne placée sous leur autorité agissant dans l’exercice de l’activité sociale, en cas d’absence d’un système de contrôle par les supérieurs hiérarchiques. Elle s’appliquera aux délits de fraude, corruption, blanchissement des capitaux, délits contre l’Administration fiscale et la sécurité sociale, délits environnementaux et délits d’urbanisme.

 

Les sanctions encourues sont l’amende, la dissolution de la société, la suspension provisionnelle d’activité, la fermeture des locaux, l’inhabilitation pour l’obtention de subventions et pour contracter avec l’administration, et la désignation d’un administrateur judiciaire.

 

L’établissement d’un système de contrôle interne destiné à la prévention des délits par les personnes placées sous leur autorité pourra exempter les sociétés de leur responsabilité. L’étendue de cette exemption est un sujet à trancher par la jurisprudence.

 

II.   Un peu d’histoire…

 

A priori, la reconnaissance de la responsabilité pénale d’une personne morale contredit toute logique pénale de la doctrine européenne, et est demeurée pendant des années étrangère à notre tradition. Societas delinquere non potest, est un adage classique qui faisait partie de l’armature théorique germano-romaniste. En effet, la commission d’une infraction par une personne morale pose de nombreuses difficultés théoriques, notamment l’absence de l’élément moral requis pour caractériser l’infraction : une société n’a pas de volonté ni d’intention.

 

Néanmoins, des questions plus pratiques l’ont emporté aux États Unis, quand, à partir du XIXème siècle, les autorités ont essayé de diminuer le pouvoir des grandes corporations et leur capacité à causer des dommages. Le début de la reconnaissance de la responsabilité pénale des entreprises est marqué par la décision de 1909 “New York Central & Hudson River Railroad v. United States”, mais les tentatives de la part du parquet de voir les entreprises condamnées remontent au milieu du XIXème siècle. À partir de ces années, et jusqu’au célèbre cas Enron, la pratique américaine n’a plus questionné la pertinence d’une telle technique, qui a connu un essor législatif considérable pendant les années 1990 et s’est ensuite étendue partout dans le monde.

 

 

III.   Panorama en Europe

 

Le Conseil de l’Europe s’est également montré favorable à la notion par le biais des recommandations (88)18 sur la Responsabilité des personnes morales et (88) 12 sur la Criminalité économique, dont la réforme en Espagne semble s’inspirer. En France, la responsabilité pénale de la personne morale a été introduite par la réforme pénale de 1994; en Italie par celle de 2001.

 

La comparaison de la responsabilité pénale de la personne morale dans les différents droits doit cependant s’effectuer avec précaution: souvent, les effets sur les entreprises des mesures civiles ou administratives peuvent être comparables aux mesures pénales, même si elles ne portent pas ce titre, comme c’est le cas en Allemagne, l’un des rares pays qui résistent fortement à la notion. En effet, le droit allemand ne l’accepte pas formellement mais comble le vide avec d’autres types de sanctions.

 

IV.   Une exclusion controversée

 

La réforme espagnole a été critiquée par les praticiens, au-delà des questions doctrinales, en raison de la dérogation concédée aux partis politiques et aux syndicats, qui ne seront pas pénalement responsables de leurs activités. Seul un instinct de protection corporatiste semble pouvoir justifier cette dérogation qui évitera certainement un nombre non négligeable de procès pour corruption, fraude, ou délits d’urbanisme.

 

 

Alicia MARTIN-SANTOS

Master 2 Droit Européen Comparé

Université Paris II  Panthéon-Assas

 

Pour en savoir plus:


http://www.reformapenal.es

 

– Edward B. Diskant, Comparative Corporate Criminal Liability, 118 Yale Law Journal 126 (2008)

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