L’obscurité des arrêts de la Cour de Cassation : la lumière au bout du Channel ?


Alors que tous s’accordent aujourd’hui à percevoir la jurisprudence comme une source substantielle du droit, on peut se demander si celle-ci est capable d’endosser ce costume, notamment au regard de la qualité de la motivation des arrêts. Aussi, une rapide comparaison avec les décisions rendues outre-manche, dotées d’un pouvoir créateur formellement reconnu, pourrait nous éclairer sur les éventuels caractères que l’on est en droit d’attendre de décisions créatrices de règles juridiques.


La différence de style juridique

La décision anglaise est radicalement différente notamment du point de vue de la longueur car chaque juge de la formation peut délivrer un jugement personnel alors que les arrêts français sont collégiaux et impersonnels. Mais le contraste le plus saisissant concerne la qualité de la motivation. L’argumentation du juge français est bien souvent obscure et reflète rarement la totalité des éléments qu’il a considéré : la politique jurisprudentielle tout comme les considérations pratiques ne sont pas clairement exposées dans l’arrêt alors même qu’il s’agit d’éléments déterminants. À l’inverse, les juges anglais exposent longuement les arguments tant pratiques que théoriques qu’ils ont considérés. Ainsi, la décision anglaise revêt un inimitable caractère pédagogique, permettant une claire compréhension des tenants et aboutissants du litige [1]. Tel constat ne peut malheureusement être tiré de l’arrêt français.

Pourquoi le juge français ne pourrait-il pas imiter son homologue anglais ? D’aucuns considèrent que si les juges français rendent des arrêts obscurs, et non à la hauteur du rôle créateur de la jurisprudence, c’est parce que leur parole est bridée par l’article 5 du Code civil [2]. Le célèbre article qui prohibe au juge de prononcer des arrêts-règlements implique que le juge Français doit se contenter de tirer les conséquences des articles du Code en s’abstenant de toute créativité. Interpréter et non créer, tel est l’office du juge. Force est, toutefois, de constater que cette interprétation est bien souvent créatrice. Ainsi, le juge français rejoint l’Anglais dans la finalité mais pas dans les moyens mis en œuvre, ce qui est contestable. Malgré tout, l’environnement français serait à même de relativiser l’obscurité des arrêts de la Cour de cassation.

La différence environnementale

Une des différences entre le monde juridique anglais et français réside dans le rôle joué par la doctrine. En effet, pendant longtemps, la doctrine anglaise était quelque peu limitée à des travaux purement doctrinaux et par conséquent éloignés des considérations pratiques [3]. La doctrine française a, elle, connu une toute autre destinée. Depuis longtemps, elle s’efforce d’être liée à la pratique, d’où l’idée avancée d’un mariage entre « L’Ecole et le Palais »[4]. Et pour cause, à peine un arrêt est publié, les universitaires s’empressent de rédiger notes et commentaires. Cette production doctrinale est loin d’être ignorée des juges. Ils l’utilisent pour décider de l’issue du litige pendant devant eux, mais surtout lors de la construction d’une règle jurisprudentielle. Une certaine collaboration s’instaure ainsi entre juges et universitaires et finalement ce dialogue permet de créer une règle raisonnée et non arbitraire comme cela peut parfois paraitre.

Ainsi les deux sources informelles que sont la doctrine et la jurisprudence s’aident mutuellement. Il sera difficile pour la Cour de cassation d’atteindre la même qualité que les juges Anglais quand on sait qu’elle a statué sur plus de 29 000 dossiers durant l’année 2011, alors que les hautes juridictions anglaises n’ont, elles, entendu que 8500 affaires la même année[5]. Cette différence s’explique par l’existence de filtres en Angleterre : le justiciable doit recevoir l’approbation du juge pour que celui-ci daigne statuer sur le recours ; de plus exercer un appel en Angleterre est bien plus coûteux [6]. L’établissement de tels filtres en France où le recours en cassation est une garantie fondamentale [7] et la justice un service public reste plus qu’hypothétique. Ainsi, face à l’obscurité de certains arrêts, la meilleure lumière demeurera la doctrine.

Maxime CORMIER

Pour en savoir plus :

[1] Comparer notamment Cass. Com., 7 janvier 1981avec Household Fire Insurance v Grant (1879) 4 Ex D 216 sur le débat entre théorie de l’émission et théorie de la réception en droit des contrats.

[2] Rudden, Courts and codes in England, France and Russia, 48 Tul. L. Rev. 1010 (1973-1974).

[3] Ce constat est aujourd’hui à relativiser tant la doctrine contemporaine s’est orientée vers une étude pratique du droit. Malgré tout, ce constat a forcément influencé la pratique des Cours Anglaises.
Atiyah & Summers, Form and substance in Anglo-American Law, pp. 398-407.

[4] Mazeaud, Leçons de droit civil, Tome I, 6ème leçon, p. 117.

[5] http://www.courdecassation.fr/publications_cour_26/rapport_annuel_4243/activite_cour_cassation_2011_22779.html ; http://www.justice.gov.uk/statistics/courts-and-sentencing/judicial-annual-2011 .

[6] Le justiciable devra ainsi dépenser £1000 pour que sa requête soit examinée par la Cour Suprême sans que celle-ci ne soit, in fine, obligée de statuer sur le dossier.

[7] CC, 14 mai 1980, Décision n°80-113L.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.