L’administration a fait une erreur…en votre (dé)faveur


Par un arrêt du 25 juin 2012, Office national de la chasse et de la faune sauvage[1], le Conseil d’Etat finit de bâtir un édifice jurisprudentiel stable concernant le régime des trop-perçus des agents de l’administration. Pourtant, ce que le juge avait mis plus de 10 ans à stabiliser, le parlement l’a défait en un amendement, ouvrant, par ailleurs, une brèche dans la notion fondamentale de l’acte administratif unilatéral.


 

I) La règle acquise des droits acquis

 

L’administration, si proche de sa bourse en ces temps troublés, ne peut, selon la règle du service fait, verser des sommes qu’elle ne doit pas à ses agents. Mais, comme nul n’est parfait, et l’administration peut être moins encore, il arrive que des erreurs soient commises. Or, l’accumulation de petits paiements indus pendant plusieurs années représente au final des sommes importantes que les agents n’ont pas toujours la possibilité de rembourser. Il était alors impératif pour le juge de concilier la sécurité juridique des agents et l’objectif de bonne gestion des deniers publics.

 

L’arrêt Soulier[2] fut la solution trouvée par le Conseil d’Etat. Il s’agit d’une application à ces cas particuliers de la jurisprudence Ternon[3], qui limite à quatre mois la possibilité offerte à l’administration de retirer un acte illégal. Précisons toutefois que cette règle ne concerne que le retrait et non l’abrogation qui consiste à supprimer l’acte pour l’avenir seulement, solution, disons, plus douce. Au delà de quatre mois, les effets passés de l’acte sont « cristallisés » et l’administration ne peut plus les annuler rétroactivement, sécurité juridique oblige.

 

La solution de l’arrêt Soulier distingue cependant entre les « simples erreurs » de liquidation et les véritables décisions créatrices de droit, seules régies par l’arrêt Ternon. La subtilité de cette distinction a conduit à une imprécision préjudiciable tant à l’administration qu’aux agents[4]. Après des arrêts de dit et de dédit, la jurisprudence semble avoir acquis une certaine stabilité ainsi que le prouve l’arrêt ONCFS commenté. Et pourtant, tout porte à croire qu’il est le dernier représentant d’une lignée encore bien fragile.

 

conseil_detat_paris

II) Le parlement au secours de l’administration

 

Tout cet édifice tombe avec l’article 94 de la loi de finances rectificative pour 2011[5] qui crée l’article 37-1 de la loi DCRA[6]. Précisons d’emblée que l’arrêt ONCFS se base sur le régime antérieure d’une fait d’une disposition qui rend inapplicable la nouvelle règle aux instances en cours.

 

L’exception de la jurisprudence Soulier, jamais lâchée par le juge, d’une loi contraire s’est faite jour. Cette nouvelle disposition législative prévoit que, y compris dans le cas de décisions créatrices de droits illégales devenues définitives (ndla : cas prévu par Ternon – Soulier), l’administration dispose d’un délai de 2 ans pour opérer la répétition des sommes indument versées. Par ailleurs, pour les actes obtenus par fraude ou omission de l’agent, le délai est le délai de droit commun de la prescription, soit 5 ans.

 

La loi délie désormais la cristallisation de la décision administrative pour le passé et l’action en répétition de l’indu. Concrètement elle prive d’effets l’édifice Ternon-Soulier. Et elle interroge la nature même des actes administratifs. Ces actes là, qui seront toujours considérés comme existants, exécutés et définitifs, se verront pourtant rétroactivement privés de leurs effets passés. Exécutés et définitifs mais privés d’effets. « La règle fondamentale du droit public »[7], s’il en est, que représente le caractère exécutoire des décisions administratives se trouve alors battue en brèche. Ce qui signifie incidemment que la catégorie des actes administratifs devra désormais comporter une nouvelle sous-section d’actes exécutoires, exécutés, puis détricotés, et pourtant, toujours existants. Comme s’ils avaient été renvoyés dans un univers de virtualité juridique d’où ils n’auraient jamais du sortir.

 

Ces dispositions ont, certes, le mérite de clarifier une jurisprudence pour le moins byzantine, aux applications délicates. Mais elle n’en ouvre pas moins une brèche, infime mais décelable, dans l’édifice titanesque que représente l’acte administratif unilatéral.

 

Mohamed Errache

 



[1]Req. n°334544

[2]CE, Sect., 6 novembre 2002, req. n°223041

[3]CE, Ass. 26 octobre 2001, req. n° req. n° 197018

[4]Cf  DIDIER (J.-P.), Rémunération des fonctionnaires territoriaux, JCl Fonctions publiques, Fasc. 390, , mai 2010, § 52 et s.

[5]Loi n°2011-1978 du 28 décembre 2011 de finance rectificative

[6]Loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

[7]CE, Ass., 2 juillet 1982, Huglo, req. n°25288

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.