Qualification d'un acte et abus de droit

 

L’administration peut-elle requalifier un acte ou une opération sans forcément avoir à invoquer la procédure de fraude ou d’abus de droit ?

 


 

La procédure de répression des abus de droit prévue aux articles L. 64 et L. 64 A du livre des procédures fiscales est une procédure contradictoire mise en œuvre exceptionnellement dans des affaires importantes ou particulièrement délicates qui permet d’écarter des actes juridiques dans les situations de fictivité juridique et de fraude à la loi, c’est-à-dire lorsque ces actes ont pour objectif la recherche d’un but exclusivement fiscal par le contournement de la norme [1] (I).

Cependant, l’administration peut également réaliser une requalification d’opérations ou d’actes par le biais d’une procédure non spéciale (II).

 


 

I.   La procédure de rectification spéciale : l’abus de droit [2]

 

L’administration se doit de respecter les situations de droit privé. Cela entraîne deux conséquences :

  •       –  les conventions sont réputées sincères ;

  •       –  les obligations contenues dans ces conventions sont réputées normalement équilibrées.

Cependant, le service des impôts peut, grâce à ses pouvoirs généraux de contrôle, rétablir l’appréciation des contreparties sous le contrôle du juge de l’impôt et restituer leur véritable caractère à certaines opérations aboutissant, sous couvert de contrats ou d’actes juridiques quelconques, à faire échec à la loi fiscale.

Pour ce dernier droit, l’administration s’appuie sur les dispositions de l’article L64 du LPF qui prévoit que les actes dissimulant la portée véritable d’un contrat ou d’une convention sous l’apparence de stipulations donnant ouverture au paiement de droits moins élevés ou permettant d’éviter, soit en totalité soit en partie, le paiement des impôts et taxes ou encore de déguiser des bénéfices ou des revenus, ne sont pas opposables à l’administration qui peut restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse.

C’est requalification a un caractère exceptionnelle et la charge de la preuve est mis à la charge de l’administration.

Notons que l’article L 64 du LPF n’interdit nullement au contribuable de choisir le cadre juridique qu’il juge le plus approprié d’un point de vue fiscal. Cet article ne sanctionne que, et c’est, selon nous, la clé de voûte de la compréhension entre procédure spéciale et non spéciale, la dissimulation juridique, la création juridique purement artificielle, qui camoufle une situation au titre de laquelle les impositions sont légalement dues et qui continuent d’exister en réalité derrière les apparences juridiques créées.

Les dispositions de l’article L 64 du LPF sont donc applicables uniquement dans le cas où l’administration entend déjouer des fraudes ou manœuvres qui visent à éluder l’impôt en masquant la situation réelle par un acte juridique apparemment régulier mais non sincère. A côté de cette procédure spéciale, il existe une procédure non spéciale visant à requalifier une opération ou un acte, sans avoir recourt à l’abus de droit.

 

BonhommeArgent

 

II.   L’utilisation par l’administration de la procédure non spéciale [3]

 

C’est la jurisprudence qui vient étoffer cette notion et qui permet à l’administration de procéder à des rectifications sans mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit.

 

A. Contestation de l’existence des actes

A la lecture des jurisprudences, cette faculté qu’a l’administration est utilisée par exemple en cas de contestation de l’existence même des actes juridiques. Ainsi, si l’existence même du contrat, de l’opération ou de l’acte n’est pas rapportée par le contribuable, l’administration pourra contester ces actes sans avoir à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit.

Ainsi, c’est le cas lorsque l’administration ne soutient pas qu’un contrat de prêt a eu un caractère fictif, mais conteste, préalablement, l’existence même du contrat (CE, 20 avril 1984 n° 20904).

 

B. Qualification des actes

Il ressort d’une jurisprudence constante que l’administration n’est pas tenue de mettre en œuvre l’abus de droit lorsqu’elle procède à des rectifications fondées sur une qualification des actes ou des faits différente de celle donnée par le contribuable, sans dénoncer les actes comme fictifs ni invoquer un montage destiné à éluder l’impôt.

Ainsi, L’administration peut taxer comme bénéfices commerciaux les revenus déclarés comme revenus fonciers par un contribuable qui assure la gestion d’immeubles appartenant à des SCI dont il est membre, sans mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit, dès lors qu’elle se borne à considérer que l’intéressé exerce une activité de nature commerciale et ne conteste ni la régularité ou la réalité des sociétés en cause ni la qualité d’associé du contribuable (CE, 10 novembre 1982 n° 25017).

 

C. Actes juridiques présentant un caractère anormal

L’administration peut procéder à des rectifications en se fondant sur le caractère anormal des clauses ou des conséquences d’un acte juridique sans recourir à la procédure de répression des abus de droit, dès lors qu’elle ne soutient pas que l’acte était fictif ou répondait à un objectif purement fiscal.

L’administration peut en particulier se prévaloir du caractère anormal d’un acte de gestion pour asseoir les rectifications.

L’article L 64 du LPF n’est pas applicable à un redressement fondé sur une pratique anormale dans l’exécution d’un contrat et non pas sur le caractère fictif de ce contrat (CE 9 décembre 1987 n° 55554).

 

D. Imposition selon la situation apparente

L’administration peut, sans invoquer même implicitement la procédure de répression des abus de droit, écarter comme ne lui étant pas opposable une convention de société en participation à laquelle les parties ont entendu conserver un caractère occulte. Dans cette affaire, le commissaire du gouvernement Bachelier avait precisé que “la société veut que vous reteniez une conception maximaliste de la théorie de l’abus de droit qui consisterait à estimer qu’elle est mise en oeuvre à chaque fois que le service écarte un acte ou un contrat dont le contribuable se prévaut. Ce qui reviendrait à absorber la théorie de l’apparence consacrée par votre décision Lemarchand et à étendre celle de l’abus de droit implicite au-delà de ce que vous avez entendu faire par votre décision Bendjador. Dans cette affaire votre commissaire avait mis l’accent sur la nécessité de ne pas retenir une telle conception et vous aviez partagé son analyse”(CE 29 janvier 2003 n° 233373, 8e et 3e s.-s., SNC Cidal, concl. G. Bachelier, BDCF 4/03 n° 53).

Le Conseil d’Etat conserve son analyse et suit le commissaire Bachelier et fait ainsi application de la théorie de l’apparence. En effet, “la théorie de l’apparence permet à l’administration d’établir l’impôt en se fondant sur la situation dont le contribuable s’est prévalu dans ses déclarations fiscales sans que celui-ci puisse soutenir utilement qu’elle est différente de la situation réelle. Le service a aussi le droit de tirer les conséquences fiscales de la situation réelle qui lui est révélée. Elle offre donc au service en présence d’actes occultes le choix entre la fiction et la réalité. Cette théorie n’a, ni le même champ d’application, ni le même objet que la théorie de l’abus de droit, laquelle est strictement réservée aux deux seules hypothèses précitées » (concl. G. Bachelier, préc.)

 

Bien que les deux situations soient proches, cette hypothèse se distingue de la mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit qui implique la démonstration qu’un acte est fictif ou qu’il a pour but exclusif d’éluder l’impôt.

 

 

Laurent Bibaut

Eleve avocat à l’EFB

M2 Droit du commerce international – Paris 1 Sorbonne

M2 Droit des affaires – Aix-Marseille III 

 

Pour en savoir plus

 

1.  Inst. 13 L-9-10, n° 2                                                                                                                                                                         

2.  D. adm. 13 L-153 n°1 à 4, 1er juillet 2002 

3.  Inst. 13 L-9-10

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