L’affaire de l’Erika : définition des déchets & choix du responsable


 

 

Par l’arrêt du 10 avril 2009 « Commune de Batz-sur-mer », le Conseil d’Etat a rendu sa décision concernant l’Affaire Erika : Total ne sera pas tenu de procéder à la dépollution des déchets d’hydrocarbures échoués sur les plages.

 


 

Petit retour sur les faits.

 

La société Total Raffinage Distribution a vendu du fioul lourd à la société Total International Limited. Cette dernière en a cédé 30 000 tonnes à la société Enel et a fait affréter un navire (l’Erika) pour assurer le transport de cette marchandise. Mais le 12 décembre 1999 le navire fait naufrage au large des côtes bretonnes provoquant une pollution sans précédent du littoral Atlantique.

 

Le maire de la commune de Batz-sur-mer décide alors, par un arrêté du 18 février 2000 et sur le fondement des articles 2 et 3 de la loi du 15 juillet 1975 de faire usage de ses pouvoirs de police administrative relatifs au droit des déchets et de mettre en demeure, d’une part, la société vendeuse du fioul, et d’autre part, la société affréteuse et propriétaire, en leurs qualités de détenteurs et producteurs, d’éliminer ou de faire éliminer les déchets d’hydrocarbures échoués sur les plages.

La première société vendeuse du fioul saisit alors le tribunal administratif de Nantes qui, par un arrêt du 29 juillet 2004, décide de l’annulation totale de l’arrêté pris par le maire. La commune interjette appel et la Cour administrative de Nantes confirme l’appréciation des premiers juges le 14 novembre 2006 considérant que le fioul transporté ne pouvait être considéré comme un déchet puisqu’il avait été acheté par la société Enel (rappelons que, conformément à l’article L. 541-1 du code de l’environnement « Est un déchet tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon »). Un déchet n’est donc défini que selon le critère de la finalité : on s’attarde sur le fait de savoir si le propriétaire a l’intention de se détacher de son bien ou s’il en a l’obligation; or, en l’espèce le fioul avait une utilité pour ses détenteurs, il n’était donc pas un « déchet ». En revanche, le fioul déversé en mer devient un déchet à partir du moment où il cause la pollution du littoral. De plus, la CAA considère que les sociétés Total ne peuvent être considérées comme productrices ou détentrices de ces déchets pétroliers. Un pourvoi en cassation est alors formé par la commune.

Il convient de noter que deux conventions internationales règlementent l’indemnisation des dommages dus à une pollution par hydrocarbures : la Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, signée à Bruxelles le 29 novembre 1969 (dite convention CLC pour Civil Liability Convention) qui soumet au propriétaire du navire une obligation d’assurance, ainsi que la Convention FIPOL (Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures) qui assure un complément d’indemnisation aux victimes.

La CJCE, saisie pour avis, devait préciser si le producteur/vendeur du fioul (à savoir la société Total), pouvait être considéré comme producteur/détenteur du déchet alors qu’au moment de sa transformation en déchet (lors du naufrage), le produit était transporté par un tiers.

 

La juridiction de Luxembourg a finalement estimé qu’ « en cas de déversement accidentel d’hydrocarbures en mer, le propriétaire du navire qui les transporte, immédiatement avant qu’ils ne deviennent des déchets, peut être considéré comme ayant produit ces déchets, et être ainsi qualité de « détenteur » au sens de la directive, indépendamment de toute faute ».

Néanmoins, le détenteur antérieur peut tout de même être tenu de supporter le coût d’élimination s’il a contribué au risque de survenance de la pollution.

 

 

 

 

C’est donc ici que se joue toute la nuance entre les termes de détenteur antérieur et détenteur producteur qui a pour conséquence de faire varier le régime de responsabilité et par conséquent les obligations d’indemnisation tant matérielles que pécuniaires qui en dépendent. Les opérations matérielles d’élimination ne seront donc pas à la charge de Total en tant que « détenteur antérieur », par opposition au « détenteur/producteur », à savoir le propriétaire du navire.

L’action, également engagée sur le plan civil, avait pourtant abouti : la Cour de Cassation, réunie en sa troisième chambre civile avait admis la responsabilité de la société Total dans la pollution résultant du naufrage du navire.

 

Le Conseil d’Etat, quant à lui, a jugé que le responsable ne pouvait s’entendre qu’au seul « détenteur producteur », conformément à l’article L.541-3 du Code de l’Environnement. L’évincement de la société Total dans la mise en responsabilité est donc clairement établie. Cette dernière ne sera pas enjointe à participer aux opérations matérielles de dépollution en sa seule qualité de producteur du produit générateur de déchets.

 

 

Helene Viel


 

Pour en savoir plus

 

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