L'affaire libyenne devant la Cour pénale internationale


 

Par sa Résolution 1970 (2011) du 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé de saisir le Procureur de la Cour pénale internationale de la situation dont la Libye est le théâtre depuis le 15 février 2011. L’évènement est marquant pour la justice pénale internationale.

 


 

I.   Une initiative historique du Conseil de sécurité

 

La Cour pénale internationale (CPI), organisation internationale indépendante du système des Nations Unies, est saisie de manière générale soit par un État Partie au Statut de la Cour, soit par le Procureur agissant de sa propre initiative. Le Conseil de sécurité des Nations Unies dispose également de cette prérogative en vertu du Statut de la Cour, mais n’en avait jusqu’alors fait usage qu’à une seule occasion, dans le cadre de la crise du Darfour (Rés. 1593 du 1er avril 2005).

 

Une nouvelle saisine de la CPI imposait de surmonter plusieurs obstacles. Le Conseil de sécurité ne peut saisir la Cour qu’en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire en constatant qu’une situation présente une « menace pour la paix et la sécurité internationales ». Le Conseil devait donc reconnaître que la situation libyenne dépassait le cadre du conflit purement interne.

 

En outre, la compétence de la CPI n’est pas reconnue de manière universelle : six membres du Conseil de sécurité, dont trois membres permanents disposant d’un pouvoir de veto (Chine, Russie et Etats-Unis), n’ont pas ratifié le Statut de la CPI, de même que l’Etat directement visé par la saisine, la Libye. La résolution 1970 est donc très significative, d’autant plus qu’elle a été votée à l’unanimité. Même la situation au Darfour n’avait pas recueilli un tel consensus.

 

Il faut enfin souligner la rapidité d’intervention du Conseil de sécurité dans l’affaire libyenne. Dans le cas du Darfour, la CPI avait été saisie plus de six mois après la constatation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par une Commission d’enquête créée par le Conseil de sécurité à cet effet. Dans le cas libyen, la méthode et les délais sont tout autres : le Conseil de sécurité a saisi la CPI moins de dix jours après le début du conflit, en se satisfaisant des premiers éléments de preuve amenés devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

 

II.   L’objet de l’enquête ouverte par la CPI


Suite à la résolution 1970, le Procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a ouvert une enquête sur la situation libyenne le 3 mars 2011. La Cour concentrera ses investigations sur les allégations de crimes contre l’humanité. Cette qualification correspond à une définition précise dans le Statut de la CPI. Le Bureau du Procureur devra notamment établir si les actes commis en Libye ont un caractère grave et massif, interviennent dans le contexte et en connaissance d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile, et ce en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation (article 7 du Statut).

 

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Fait important, le Conseil de sécurité saisit la Cour uniquement des actes commis depuis le 14 février 2011. On a pu regretter que la CPI ne s’intéresse pas à l’ensemble des crimes dont est accusé le régime libyen depuis l’arrivée au pouvoir de Mouammar Kadhafi en 1969. Le « guide de la Révolution » est en effet suspecté d’avoir commandité l’assassinat et la torture de nombreux opposants, sans oublier son implication dans plusieurs attentats terroristes dans les années 1980. Ce serait oublier que la compétence de la CPI est restreinte ratione temporis aux actes commis après le 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur de son Statut, et ratione materiae aux crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, dont la définition est relativement étroite.

 

L’enquête ouverte par la CPI devrait se focaliser sur les plus hauts responsables des exactions commises depuis le 14 février. Sont visés principalement Mouammar Kadhafi, ses fils et leur cercle rapproché, ainsi que le ministre des Affaires étrangères, le chef de la sécurité du régime et du renseignement militaire, le chef de la sécurité personnelle de M. Kadhafi. La qualité de chef d’État en exercice ne protège pas Mouammar Khadafi d’éventuelles poursuites (article 27 du Statut de la Cour). Omar El-Bechir, président en exercice du Soudan, fait d’ailleurs l’objet de deux mandats d’arrêts de la CPI pour crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide commis dans le cadre de la guerre civile au Darfour.

 

En revanche, le Conseil de sécurité a décidé que la CPI n’exercerait pas sa compétence sur les ressortissants des États non Parties au Statut de la Cour autres que la Libye. Le but est évident : éviter que des poursuites puissent viser des membres des forces armées américaines en cas d’intervention militaire des Etats-Unis en Libye. Sans cette restriction, les Etats-Unis auraient très certainement apposé leur veto à la saisine de la Cour.

 

III.   Les prochaines étapes devant la CPI

 

De manière opportune, la résolution du Conseil de sécurité oblige la Libye à « coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur et leur apporter toute l’assistance voulue ». La Libye n’a en effet aucune obligation envers la CPI elle-même, tandis qu’elle est juridiquement tenue par les résolutions du Conseil de sécurité prises en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

 

Mais l’enquête n’entraînera pas nécessairement de poursuites devant la Cour. Le Bureau du Procureur doit d’abord rassembler suffisamment d’éléments de preuves (images, vidéos, témoignages) sur les crimes commis en Libye, et identifier avec précision les niveaux de responsabilité dans le commandement des forces fidèles au colonel Khadafi. Les milliers de Libyens réfugiés en Tunisie pourraient apporter des témoignages précieux, de même que les hauts responsables repentis, en cas d’effondrement du régime.

 

Si des poursuites sont initiées, des mandats d’arrêts internationaux seront émis à l’encontre de Mouammar Kadhafi et des autres principaux responsables, les procès devant la CPI ne pouvant se dérouler qu’en présence des accusés. En espérant une coopération effective des autorités libyennes ou des Etats de refuge des accusés, il faudra peut-être attendre plusieurs années avant de voir les responsables des crimes libyens jugés à la Haye.

 

La saisine de la CPI jouera d’abord un rôle dissuasif non négligeable à l’égard des dirigeants libyens et des autres régimes touchés par la crise du monde arabe. La Cour n’interviendra que dans un second temps, et non sans connaître certaines difficultés pratiques. En particulier, l’absence de financement de l’enquête par les Nations Unies, fruit du compromis trouvé au sein du Conseil de sécurité pour pouvoir adopter la résolution. Mais qu’importe : La reconnaissance de la légitimité de la CPI par ses plus grands détracteurs constitue pour elle une première victoire dans l’affaire libyenne.

 

 

Jonathan Bourguignon

Master 2 de Droit international public (Université Paris II, Panthéon Assas)

 

 

Pour en savoir plus

 

La résolution 1970(2011) disponible sur www.un.org/french/docs/sc/2011/cs2011.htm

 

Questions/Réponses sur l’affaire libyenne, par Human Rights Watch, http://www.hrw.org

 

« Les relations entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité de l’ONU », La Lettre de la CPI, n°7, avril 2006, disponible sur www.icc-cpi.int/menus/icc/reports on activities/icc newsletter/

 

 

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