L'article 309 du code civil est mort


 

Le 21 juin 2012 ne sera pas seulement le jour de célébration de la musique sous un ciel orageux puisque c’est aussi la date d’entrée en vigueur du Règlement Rome III mettant fin aux foudres doctrinales concernant l’article 309 du Code civil.
 
Jusque là la loi applicable au divorce international était régit par l’article 309 du Code civil qui permettait seulement de déterminer si la loi française était applicable selon divers rattachements. Ce n’est toutefois pas la première fois que le droit de l’Union s’intéresse à la question du divorce international puisque le règlement Bruxelles 2 bis entré en vigueur le 1er août 2004 a pour vocation de déterminer la « compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale », des juridictions des États membres de l’union.
 
Cependant la particularité du règlement Rome III vis-à-vis des autres règlements de l’Union en matière de droit international privé réside dans sa procédure d’adoption. La procédure de coopération renforcée a été en effet l’unique moyen d’adoption du règlement faute de consensus en la matière. Dès lors, l’harmonisation des règles de droit international privé au sein de l’Union n’est que relative et conforte l’idée d’une Europe à géométrie variable ou à plusieurs vitesses.
 
Si ce jour est propice à l’abrogation de l’article 309 du code civil et ses fausses notes dans le droit international privé, l’entrée en vigueur du règlement Rome III laisse interrogateur quant à l’harmonie souhaitée au sein de l’Union.
 

 
I.  La fin d’une règle de conflit unilatérale
 
L’article 309 du code civil était jusqu’à présent applicable pour déterminer la compétence de la loi française pour régir un divorce international (B), c’est-à-dire un divorce présentant au moins un élément d’extranéité, en retenant différents critères de rattachement (A)
 
A.   Les critères de rattachement de l’article 309 du code civil
 
La nationalité et le domicile des époux étaient les critères de rattachement de l’article 309 du Code civil. Il fallait que l’un et l’autre des époux aient soit la nationalité française, soit leur domicile sur le territoire français pour que la loi française régisse la divorce international en cause. En outre de ces critères, la loi française était compétente lorsque aucune loi étrangère ne se reconnaissait compétence, alors que les tribunaux français étaient compétents pour connaître du divorce. Ainsi l’article 309 prévoyait une compétence de la loi du for.
 
L’articulation de ces critères de rattachement ne se faisait pas par défaut contrairement au mécanisme prévu par les jurisprudences Rivière et Tarwid. Ces critères étaient donc exclusifs les uns des autre, l’article 309 ne prévoyant aucune hiérarchisation entre les rattachements à la loi nationale française des époux, la loi du domicile français des époux et le rattachement à la loi du for français. Toutefois concernant ce dernier rattachement, il impliquait l’étude des lois de conflit étrangères pour déterminer leur incompétence afin de donner compétence à la loi française.
 
Le rattachement à la loi du for pour palier l’absence de loi applicable au divorce international en cause relevait d’une démarche louable et souhaitable mais qui pourtant dans la rédaction de l’article 309 couplée à son caractère unilatéral résonnait comme une fausse note dans la détermination de la loi applicable aux divorces internationaux.
 
B.   Le caractère unilatéral de l’article 309
 
L’article 309 du Code civil n’avait pas vocation à déterminer la loi applicable au divorce international mais de déterminer seulement l’applicabilité de la loi française. Ce caractère unilatéral ressortait expressément de la lettre du texte puisque celui ci disposait que « Le divorce et la séparation du corps sont régis par la loi française lorsque (…) ». Ainsi l’article 309 n’avait pas à désigner une loi étrangère comme applicable au divorce.
 
Pourtant la désignation de la loi du for français applicable si aucune loi étrangère ne se reconnaît compétente posait une difficulté ou une lacune de taille. En effet, si une loi étrangère se reconnaissait compétente pour connaître du divorce international en question, elle évinçait l’application de la loi du for français. Or, l’article 309 du code civil, par son caractère unilatéral ne prévoyait aucunement l’application de la loi étrangère se reconnaissant compétence. Alors, en suivant la lettre du texte, la règle de conflit française ne permettait pas d’appliquer la loi française et ne prévoyait pas l’application de la loi étrangère. Le palliatif à la lacune de loi applicable par la loi du for français s’en trouvait donc radicalement limité.
 
Si l’adoption du règlement Rome III remplace un instrument mal accordé, l’objectif d’harmonie des règles de conflit au sein de l’Union européenne n’est pas atteint par le règlement Rome III car le mécanisme de coopération renforcée ne permet pas, par nature, d’atteindre l’unisson.
  
divorce
 
II.   L’avènement d’une règle européenne de conflit de loi
 
L’entrée en vigueur du règlement Rome III permet, plus qu’une rectification des faiblesses de l’article 309, une véritable rupture avec la règle de conflit de loi française classique en matière de divorce international. En effet le règlement Rome III est de structure bilatérale permettant la désignation d’une loi étrangère au for mais aussi d’une loi d’un pays tiers à l’union européenne, selon son caractère universel. De plus l’articulation des différents critères de rattachement prévus par le règlement se fait en cascade, c’est-à-dire par défaut.
 
En effet le règlement permet aux époux de choisir la loi applicable à leur désunion consacrant ainsi un caractère libéral au divorce et à la séparation de corps (A) et à défaut de choix le règlement prévoit différents critères de rattachement oeuvrant pour un renforcement de la loi du for (B).
 
A.   Le choix de la loi applicable
 
Parallèlement au choix de la loi applicable en matière contractuelle prévue dans le règlement Rome 1, le règlement Rome III permet aux époux de choisir la loi applicable à leur désunion. Toutefois le champ matériel du règlement est limité au divorce et à la séparation de corps excluant ainsi l’annulation du mariage et la rupture du PACS notamment. De plus le règlement n’est pas applicable aux effets patrimoniaux du mariage et aux obligations alimentaires. Cette limitation matérielle du règlement prend le contre pied de la grande liberté offerte aux époux quant au choix de la loi et la limite en donc dans le champ d’application de son exercice et se des effets.
 
Cette possibilité est offerte aux époux à l’article 5 du règlement. Toutefois cette liberté reste encadrée par l’exigence d’un lien entre la loi choisie et le litige. En effet la loi choisie peut être soit la loi de l’État de la résidence habituelle des époux, ou de la dernière résidence habituelle de époux si l’un d’eux y réside encore, soit la loi de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ou la loi du for. En outre, le choix de la loi peut être fait à tout moment avant la saisine de la juridiction ce qui conforte une vision contractuelle et libérale du divorce [1].
 
Cette conception novatrice et libérale du divorce emporte certaines conséquences procédurales notamment vis-à-vis du champ d’application spatial du règlement. En effet, si ce dernier est applicable aux pays participant à la coopération renforcée il a tout de même une incidence considérable sur les pays membres de l’Union Européenne et tiers à la coopération renforcée puisque ceux-ci, soumis au règlement Bruxelles 2 bis ne peuvent pas s’opposer à la reconnaissance et à l’exequatur d’une décision de justice des juridictions d’un pays membre sur le fondement du choix de la loi appliquée au divorce. En effet, le risque de la libéralité du règlement Rome III est le forum shopping [2] puisque le choix du for influencera la loi applicable (infra). Si cela est particulièrement vrai concernant les époux souhaitant, et ayant pu, choisir une loi applicable à leur divorce, cela reste vrai pour la loi appliquée à défaut de choix.
 
B.   Le renforcement de la loi du for
 
Ces critères ne sont applicables qu’à défaut de choix d’une loi par les époux sur le fondement de l’article 5 du règlement et sont prévus à l’article 8 du règlement. Le règlement retient quatre critères de rattachement fondés sur la résidence habituelle des époux, de la nationalité commune des époux et enfin un rattachement fondé sur le for. Ces critères doivent faire l’objet d’un traitement en cascade. Ainsi la loi du for n’est applicable qu’à condition que les critères fondés sur la résidence ne soient pas applicables et que le critère fondé sur la nationalité commune des époux fasse défaut.
 
Ce sont donc les critères fondés sur la résidence habituelle des époux qui sont privilégiés par le règlement. Or, une telle préférence renforce indirectement le recours à la loi du for. En effet, les critères multiples proposés par le règlement Bruxelles 2 bis relatif à la compétence des juridictions en matière matrimoniale et notamment en matière de divorce se fondent largement sur le critère de la résidence habituelle. Ainsi la correspondance des critères de détermination de la juridiction compétente et ceux de détermination de la loi applicable revient à appliquer la loi du for [3].
 
Faute de consensus assez large au sein de l’union, cette conception libérale du divorce ne s’inscrit pas dans une cohésion européenne, mais risque d’emporter des effets au delà des pays participants à la coopération renforcée. L’article 309 du Code civil est mort, une conception classique du divorce, est morte avec lui.
 
 
Lucas Vergnaud
Diplômé de Master 2 en droit international
  

Notes

 

[1] Jean-Pierre Laborde, professeur à l’université Montesquieu – Bordeaux IV, « La règle de conflit de lois applicable au divorce international : une longue histoire un nouveau départ » colloque du 8 juin 2012 « Le divorce international après l’entrée en vigueur du règlement Rome III » sous la présidence de maître Rosine Baraké, présidente de l’institut patrimoine et personnes du Barreau de Bordeau.

 

 

[2] Jean Sagot-Duvauroux, maître de conférences à l’Université Montesquieu – Bordeaux IV, « Le champ d’application spatial du règlement Rome III», Colloque du 8 juin 2012 « Le divorce international après l’entrée en vigueur du règlement Rome III » sous la présidence de maître Rosine Baraké, présidente de l’institut patrimoine et personnes du Barreau de Bordeaux.
 
[3] Jean-Pierre Laborde, professeur à l’université Montesquieu – Bordeaux IV, « La règle de conflit de lois applicable au divorce international : une longue histoire un nouveau départ » colloque du 8 juin 2012 « Le divorce international après l’entrée en vigueur du règlement Rome III » sous la présidence de maître Rosine Baraké, présidente de l’institut patrimoine et personnes du Barreau de Bordeaux.

 

Pour en savoir plus

  

Article 309 du Code civil 

 

Règlement Rome III

 

Article sur la coopération renforcée

 

Article : « Rome III est mort. Vive Rome III ! » Gwendoline Lardeux, Agrégée des Facultés de droit, professeur à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III), Recueil Dalloz 2011 p. 1835

 

Colloque du 8 juin 2012 « Le divorce international après l’entrée en vigueur du règlement Rome III » sous la présidence de maître Rosine Baraké, présidente de l’institut patrimoine et personnes du Barreau de Bordeaux, Pôle juridique et judiciaire de Bordeaux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.