Le développement des énergies renouvelables vu de l’étranger

Alors que le projet de loi sur la transition énergétique devrait être présenté au printemps 2014, le développement des énergies renouvelables est aujourd’hui menacé en raison d’un cadre juridique et réglementaire qui ne parvient pas à encourager son développement. Les enjeux sont immenses au regard des investissements réalisés depuis 15 ans par les spécialistes (essentiellement européens) d’un secteur écologiquement et économiquement profitable pour l’Europe.

La décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 19 décembre dernier remet en cause la politique française conduite ces dernières années en matière d’énergie renouvelable. En effet, les juges de la Cour de Justice ont considéré que les tarifs de rachat de l’électricité d’origine éolienne étaient constitutifs d’une aide d’Etat et décidé, conformément à l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de son incompatibilité avec le marché intérieur. Par cette décision, ce sont les mesures destinées à encourager le développement des énergies renouvelables sur notre territoire qui sont remises en cause dans la mesure où le recours au mécanisme des tarifs de rachat ne concerne pas uniquement l’énergie éolienne. Face au craintes des professionnels du secteur, la Commission européenne a récemment annoncé « [avoir] conclu [que le] régime français octroyant un soutien à la production d’électricité à partir d’éoliennes terrestres était compatible avec les règles de l’UE en matière d’aides d’État ». Néanmoins,  la révision des Lignes directrices du 1er avril 2008 concernant les aides d’État à la protection de l’environnement est actuellement menée au sein de l’Union Européenne il n’est pas certain que la position adoptée soit aussi favorable aux mécanismes des tarifs de rachat.

Bien que comparaison ne soit pas raison, une courte étude comparative de différents cadres juridiques apportera des pistes de réflexion sur les mesures à (ne pas) adopter ainsi que sur leur (in)efficacité. Le regard porté sur les Etats-Unis, le Brésil et l’Inde se justifie de par la demande énergétique présente ou à venir au sein de ces pays mais également par le fait qu’ils disposent tous les trois d’un potentiel considérable en matière d’énergie renouvelable et sont ainsi appelés à devenir des leaders dans ce domaine ou du moins offrir de réelles opportunités pour les porteurs étrangers de projets d’énergies renouvelables.

Les obstacles au développement des énergies renouvelables doivent être envisagés avant d’analyser les mesures adoptées ainsi que leur efficacité. A cet égard, pour chaque Etat, seules certaines mesures seront envisagées, le développement des énergies renouvelables ne repose toutefois jamais sur une seule et unique mesure. Ce sont précisément celles qui sont le plus caractéristique de la politique menée qui seront brièvement étudiées dans cet article.

Les obstacles au développement des énergies renouvelables.

Partout dans le monde, l’investissement dans des projets industriels d’énergie renouvelable est source de « risques », ralentissant ainsi la construction d’installations de production d’énergie renouvelable. Ce risque s’explique tout d’abord par le coût des technologies requises utilisées pour produire une telle énergie et qui requiert un investissement considérable pour répondre notamment au coût fixes (à titre d’exemple, 75% du coût de l’énergie éolienne provient des coûts fixes de l’installation). En conséquence, les économies d’échelle réalisables sont moins intéressantes que dans le cadre d’un projet industriel d’énergie fossile. De plus, la production d’énergie renouvelable sollicite des technologies qui ne sont pas encore « matures » et une défaillance technique semble plus difficile à gérer, l’investisseur verra alors la rentabilité de son investissement menacée.

S’agissant des sources d’énergie renouvelable les plus « matures », leur caractère intermittent ne permet pas de répondre à la demande d’énergie. Sur ce point, c’est la capacité à stocker de l’énergie qui est déterminante mais il s’agit d’une technologie encore au stade de la recherche. Enfin, l’investissement dans un projet industriel requiert un cadre juridique et réglementaire stable pour que les sponsors, prêteurs et autres partenaires considèrent leur investissement comme sécurisé. Cette stabilité des règles ne semble pourtant pas assurée et la décision de la CJUE du 19 décembre 2013 ne fait que le confirmer… L’enjeu est dès lors de parvenir à financer ces projets d’énergie renouvelable.

Les mesures adoptées par les Etats-Unis

Avec une consommation de 25% de l’énergie mondiale, la part d’énergie renouvelable dans la consommation finale brute d’énergie aux Etats-Unis ne s’élève quant à elle qu’ 8%. Le cadre juridique américain s’articule autour de subventions et de très nombreuses mesures d’incitations relevant de la politique fiscale. Cependant, un instrument mérite une certaine attention à savoir le Public utility regulatory policy act (PURPA) adopté en 1978. Ce texte oblige le distributeur d’électricité assurant une mission de service public à émettre des offres d’achat d’électricité aux producteurs d’énergies renouvelables « qualifiés » par le gouvernement. L’originalité du mécanisme concerne la détermination du prix d’achat de cette électricité puisque celle-ci correspond au prix qu’aurait payé le distributeur à défaut d’énergies renouvelables (on parle d’avoided cost ). Autrement dit, le prix payé pour l’achat d’énergie renouvelable sera celui payé pour l’achat de gaz ou de pétrole. La mise en œuvre de cette mesure reposait sur le préposé que les prix du gaz et du pétrole augmenteraient, l’investissement dans la construction d’une installation de production d’énergie renouvelable étant alors rentable. Or depuis 2008, ces prix diminuent aux Etats-Unis. L’ensemble réglementaire américain se révèle également inefficace pour d’autres raisons.

En premier lieu, ces mécanismes ont contribué à rendre illisible la réglementation en vigueur. En effet, s’agissant du PURPA, les Etats ont chacun adopté leurs propres méthodes de calculs de  l’avoided cost. De plus, la durée du tarif d’achat a soulevé plusieurs difficultés comme le montre le cas californien.

La Californie prévit une hausse du prix du pétrole et le gouvernement fixa alors le tarif de rachat pour une durée de 10 ans, le recours aux énergies renouvelables devait alors devenir attractif en terme de prix et encourager les distributeurs à acheter ce type d’énergie. Cependant, le prix du pétrole baissa et pendant 10 ans, les distributeurs réglèrent une facture beaucoup plus élevée que ce qu’elle aurait été en cas de recours au pétrole. Les mesures fiscales destinées à encourager les investisseurs se sont, elles, avérées inefficaces puisque ces mesures ont fait l’objet de plusieurs modifications. Ainsi, suivant le Business Energy investment tax credit act, le renouvellement du crédit d’impôt dont bénéficiaient les investisseurs se faisait d’une année sur l’autre. Or, pour un investisseur, la rentabilité d’un projet industriel doit pouvoir être prévisible de façon certaine sur une plus longue période. La qualification même de projet d’énergie renouvelable varia d’une année à l’autre, les investisseurs ne sachant plus s’ils allaient bénéficier desdits crédits d’impôt sur une ou plusieurs années. Pour se prémunir des fluctuations, les investisseurs ont demandé des intérêts plus élevés, que seuls des projets d’envergure pouvaient assurer.

Aujourd’hui, ce cadre juridique semble offrir encore moins de stabilité puisque de nombreux recours sont exercés pour remettre en cause l’obligation qui incombe aux distributeurs d’électricité de se fournir à un certain niveau en énergie renouvelable. En effet, ce niveau étant fixé par les Etats eux-mêmes, certains y ont vu une violation de la « dormant commerce clause » qui interdit aux Etats d’adopter des règles protectionnistes et faisant obstacle au commerce entre Etats.

Les mesures adoptées au Brésil

Depuis les sècheresses de 2001, le Brésil cherche à diversifier sa capacité électrique qui repose encore aujourd’hui à 91% sur l’hydroélectricité. Avec un peu moins de 200 millions d’habitants, le besoin énergétique est considérable et le développement des énergies renouvelables a été encouragé par le gouvernement au début des années 2000 à travers le Programa de Incentivo às Fontes Alternativas de Energia Elétrica (PROINFA). Ce programme visait à développer plus particulièrement le recours aux énergies éoliennes, solaires et à la biomasse. La mesure centrale de ce programme consistait en une obligation à la charge d’ELETROBRAS, le premier distributeur d’électricité au Brésil, d’acheter dans un délai de 24 mois à compter de la publication de la loi, 3.300 MW de capacité électrique provenant d’installations de production d’énergie renouvelable devant être opérationnelles à compter du 30 décembre 2006. Le prix d’achat de l’électricité provenant desdites installations était fixé par le gouvernement en fonction de la technologie utilisée, il s’agissait donc d’un cout économique. Ce prix devrait être maintenu pour une durée de 15 ans. Il s’agit de la première phase du programme qui fut complété par des mesures d’ordre fiscales.

Incontestablement, le PROINFA offre un cadre juridique sûre pour les investisseurs. En effet, en assurant la fixité du prix d’achat de l’énergie renouvelable pour une durée de 15 ans au sein du contrat d’achat entre le distributeur et le producteur, les projets offrent une rentabilité plus prévisible et le risque attaché à l’investissement s’en trouve diminué.

Néanmoins, bien que ce programme ait pu être plébiscité par certains acteurs, un aspect essentiel du développement des énergies renouvelables n’est pas pris en considération par ledit programme, le coût des énergies renouvelables sur le long-terme. En effet, les technologies sollicitées expliquent le coût initial des installations de productions d’énergie renouvelable et il est indispensable d’investir dans ces technologies pour éviter d’avoir à recourir à l’importation, celle-ci conduisant à augmenter le coût d’une telle énergie. De plus, en bénéficiant d’une fixité du prix d’achat, les producteurs ne chercheront pas améliorer la compétitivité des prix de l’énergie renouvelable. On le voit, la fixation du prix d’achat est un enjeu central dans la mesure où il doit être suffisamment certain pour encourager l’investissement mais sur un trop long terme, il ne doit pas conduire à diminuer la recherche de compétitivité, les mécanismes de soutien devant demeurer temporaires.

Les mesures adoptées en Inde

C’est environ 12% de l’énergie indienne qui provient des énergies renouvelables et en 2010, le premier ministre de la Jawaharlal Nehru National Solar Mission (JNNSM) a affirmé l’objectif d’atteindre 20 000 MW d’énergie solaire connectée au réseau d’ici 2022. Pour y parvenir, le gouvernement a adopté un cadre juridique propice au développement des énergies renouvelables mais qui rencontre certaines limites et fait face à des obstacles institutionnels considérables.

En 2003, par l’intermédiaire de l’Energy Act, le gouvernement indien a obligé les autorités de régulation de l’énergie tant au niveau fédéral qu’étatique à mettre en place un système d’obligation d’achat d’énergie renouvelable. Il s’agissait, de façon assez classique, de fixer dans chaque Etat un pourcentage d’énergie renouvelable devant être acheter par les distributeurs d’électricité. En complément de cette obligation d’achat, le gouvernement eu recours aux tarifs de rachat et mit en place un mécanisme de « certificats renouvelables » pouvant être échangés pour satisfaire lesdites obligations. .

On le voit, les outils juridiques mis en place par le gouvernement indien sont similaires à ceux utilisés dans les autres Etats envisagés mais en pratique, l’application de ces mécanisme fit  face à des difficultés particulières. S’agissant des obligations d’achat dont le niveau devait être fixé par les autorités de régulation, seuls le Rajasthan et le Maharshtra ont instauré des pénalités en cas de non accomplissement desdits objectifs. De plus, un grand nombre d’Etats ont mis en place des objectifs relativement faible au regard de la capacité en énergie renouvelable dont ils disposaient. Le système des certificats n’a également pas été plébiscité d’autant plus que le distributeur d’un Etat ne peut acheter des « certificats renouvelables » dans d’autres Etats. Enfin, les tarifs de rachat ont fait l’objet d’une régulation différente d’un Etat à l’autre, diminuant ainsi la compréhension du système pour les producteurs et distributeurs.

De la même façon qu’aux Etats-Unis, le fédéralisme a neutralisé les effets attendus des outils juridiques mis en place. Cela résulte du fait qu’en 2003 la promotion et le développement des énergies renouvelables a été placé sur la concurrent list. De cette façon, à l’inverse du nucléaire qui relève uniquement du pouvoir fédéral, les énergies renouvelables sont du ressort de l’échelon fédéral mais également de l’échelon étatique. Cette situation est d’autant plus une source de difficultés que chaque Etat possède un cadre juridique souvent très lourd en ce qui concerne les autorisations administratives à obtenir pour réaliser une installation de production d’énergie renouvelable. A cet égard, l’ensemble des textes tels que le  Water act 1972,  le Forest Conservation Act 1978  ou encore le  Air Act 1980 ne font l’objet d’aucune rationalisation alors que ces textes contiennent tous des mesures qui concernent la production d’énergie renouvelable. Par ailleurs, l’absence de coopération et de consultation entre les différents acteurs institutionnels a conduit à un allongement considérable des délais pour obtenir ces autorisations, et ralentit l’investissement dans le domaine dans la mesure où les risques de pénalités de retard étaient souvent importants. Enfin, une autre difficulté doit être prise en considération dans l’appréciation de ces mesures, l’absence de réel marché de l’énergie en Inde. En effet, alors que le secteur de l’énergie est encore essentiellement public, les porteurs de projets d’énergie renouvelables proviennent essentiellement du secteur privé et ne disposent pas des moyens nécessaires pour financer des projets d’envergure.

CONCLUSION

Ce bref aperçu des mécanismes auxquels ont eu recours le Brésil, l’Inde et les Etats-Unis permet de cerner les contours d’un cadre juridique permettant la promotion des énergies renouvelables. En effet, l’expérience Indienne et américaine mettent tout d’abord en lumière les conséquences de l’absence de rationalisation du fédéralisme. De notre point de vue, il invite le législateur interne à ne pas contredire les dispositions communautaires ou même simplement les alourdir. Il apparait également indispensable, à l’heure ou l’Union européenne ambitionne la création d’un marché commun de l’énergie, d’harmoniser les législations en vigueur pour éviter les trop grandes disparités qui, aux Etats-Unis comme en Inde ont complexifié le cadre juridique et rendu inefficace certaines dispositions.

Concernant le financement des projets eux-mêmes, il apparait nécessaire d’offrir un cadre juridique rendant attractif l’investissement. Le maintien du prix d’achat de l’énergie renouvelable tel que cela fut le cas au Brésil semble nécessaire mais la question de subvention de ce prix pose problème avec la décision du 19 décembre 2013 de la CJUE. A l’inverse du PURPA, le prix d’achat ne devra pas être indexé sur celui d’une énergie fossile.

En attendant que l’Union européen clarifie le régime des aides d’Etat en matière d’énergie renouvelable, il est indispensable de conduire une politique visant à diminuer le coût des projets et rendre les prix plus compétitifs. Pour y parvenir, la recherche doit être soutenue et dans la lignée de la loi d’habilitation du 2 janvier 2014, le régime des autorisations requises pour construire des installations de production doit être rationalisé pour réduire les coûts et les incertitudes liées à certains projets comme l’a montré le cas indien. Ces mesures faciliteront le financement et réduiront les risques de remise en cause des projets aussi bien dans leur principe que dans leur exploitation. Nonobstant la pertinence de ces solutions, un soutien financier public demeure toutefois indispensable.

Enfin et c’est peut-être la tâche la plus difficile pour des gouvernements toujours en quête d’accomplir un « travail législatif », une fois le cadre juridique établi, celui-ci ne devrait pas faire l’objet de modifications régulières afin de présenter la stabilité nécessaire pour que la sécurité du financement soit assurée.

L’adoption de nouvelles lignes directrices concernant les aides dans le domaine de l’environnement et de l’énergie pour la période 2014-2020 est prévue pour le 9 avril 2014.

BENOIT PAPE 

POUR ALLER PLUS LOIN:

LEAH B. CHACON, «Long-term contracting the way to renewable energy investment: lessons from Brazil applied to the United States », 62 Emory L.J., p. 1563 (2012-2013)

P.CURNOW, L.TAIT et I.MILLAR, « Financing Renewable Energy Projects in Asia: Barriers and Solutions », 1 Renewable Energy L. & Pol’y Rev., p.101 (2010)

S.BRUCE, « International Law and renewable energy: facilitating sustainable energy for all? » , 14 Melb. J. Int’L., p. 18 (2013)

M.MEDDEB, « La sécurisation du financement est la clé du développement des énergies renouvelables », Décideurs stratégie finance droit, consultable à l’adresse suivante http://www.leadersleague.com/news/view/id/266ae1b29161d9fede6823c97e74a0d0

M.GULATI et P.TIWARI, « Development of Renewable Energy in India: Role and Effectiveness of Electricity regulators », Renewable Energy L. & Pol’y Rev., p. 107, (2011)

CJUE, 19 décembre 2013, Association Vent de Colère ! Fédération nationale c/Min. de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, aff.C-262/12.

P.THIEFFRY, « Un Vent de colère qui souffre au Palais-Royal à Luxembourg » : le tarif d’achat de l’électricité éolienne, aide d’Etat illégale », D.2014, p. 224.

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