Le droit à l’épreuve de l’innovation

Innovation juridique. Plus qu’un effet de mode, l’innovation est depuis plusieurs années au cœur des débats autour de l’accès au droit. C’est parce que le secteur juridique est très souvent lié à la notion de justice, que certains ont encore du mal à l’imaginer dématérialisé et automatisé. A l’heure du numérique et du digital, il était néanmoins impensable de laisser le droit dans son carcan intellectuel de l’éternel crayon/papier. Les principes fondamentaux, comme les règles déontologiques propres aux professions juridiques, demeurent les garde-fous permettant ce nouveau virage. C’est dans cet esprit que les années 2010 ont vu naitre de nombreuses tentatives de la part d’avocats comme de non avocats dans le sens d’un accès au droit renouvelé, retravaillé, retracé, rénové.

Les « Start-up du droit » innovantes :

Décriées ou encensées, les start-up du droit font parler d’elles. Le point commun de ces initiatives est la volonté de simplifier l’accès au droit. Un objectif que plusieurs d’entre elles ont bel et bien rempli.

Legalstart. Le site Legalstart permet de créer une entreprise ou une association, de protéger une marque, de devenir conducteur VTC, ou encore auto-entrepreneur en remplissant simplement quelques documents en ligne, qui seront envoyés directement à info greffe. Le site propose ces prestations pour un tarif très éloigné du taux horaire des avocats puisqu’ils oscillent entre 49 et 179 euros Les fondateurs de Legalstart connaissent bien le secteur juridique. Pierre AÏdan, un des trois fondateurs a d’ailleurs porté la robe avant de développer le projet.  « Tous les documents sont réalisés et mis à jour par des avocats. Nous avons d’ailleurs fait appel à un comité d’experts présidé par le professeur Xavier Boukobza », a d’ailleurs expliqué Pierre Aïdan sur Carrières-Juridiques.com. Legalstart est un bon remède au scepticisme quant au mélange du numérique et du droit.

Captain Contrat. La start up a vocation à rendre le droit accessible aux entrepreneurs. Pour cela il prévoit une mise en relation simplifiée avec un avocat. Toute la partie la plus simple des documents est automatisée via un logiciel, ce qui permet un gain de temps non négligeable à l’avocat. L’objectif est ainsi de permettre à l’avocat de se concentrer sur sa valeur ajoutée : le conseil juridique. Le site espère pouvoir développer le concept à d’autres professions règlementées. « Nous aimerions proposer un service similaire à destination des experts comptables qui font du juridique », précisait Maxime Wagner l’un des trois fondateurs du site.

DemanderJustice.com. C’est parce qui l’imaginaire collectif fait souvent de la procédure judiciaire un chemin long et complexe, que le site DemanderJustice.com s’est fixé pour objectif de démystifier l’accès à la justice. Ses fondateurs ont alors mis en place un logiciel permettant la saisie directe de la justice de proximité via un logiciel pour les préjudices inférieurs à 10 000 euros. La représentation par un avocat n’étant pas obligatoire devant le tribunal de proximité. Le site a bénéficié d’une certaine visibilité notamment par les attaques récurrentes de la part de certains avocats voyant le site d’un très mauvais œil. Selon son fondateur Jérémy Oinino, « si effectivement, les institutions représentatives des avocats se sont lancées dans une croisade dogmatique contre DemanderJustice.com, de nombreux avocats nous sollicitent chaque jour pour savoir de quelle manière ils pourraient travailler avec nous ». Ce dernier va même jusqu’à considérer le site comme un souffle nouveau de modernité que les avocats attendent depuis longtemps. DemanderJustice.com s’est récemment doté d’un petit frère avec le site ActionCivile.com qui vise à réunir les victimes de micro préjudices pour leur permettre d’agir collectivement. Le projet a été porté conjointement par Jérémy Oinino et l’avocat Jérémie Assous.

 

Testamento.fr. Créé en 2013, le site vise à démocratiser l’accès au testament. Alors qu’une grande majorité de la population française ne règle pas ses successions par testament, la start-up propose un modèle de testament olographe en ligne. L’utilisateur doit recopier le modèle à la main. Il peut s’il le souhaite, faire parvenir ce dernier à un notaire du réseau Testamento. Ce dernier inscrira le testament au Fichier Central des Dispositions des Dernières Volontés et conservera l’original, qu’il devra remettre au notaire responsable de la succession. S’il n’a pas forcément été bien accueilli par les notaires au début, le site séduit aujourd’hui, notamment par l’information qu’il diffuse. « Nous ne sommes pas là pour casser une profession, au contraire nous travaillons régulièrement avec les instances représentatives de la profession, et cela se passe très bien », explique Virgile Delporte, co-fondateur du site. Gage de succès, le site a récemment levé des fonds pour continuer son développement et espère pouvoir s’implanter à l’étranger.

Les cabinets d’avocats innovants :

Malgré la crise certains avocats travaillent et réfléchissent, pour toujours plus d’innovation. Récemment le Barreau de Paris a d’ailleurs récompensé deux cabinets pour leur innovation, mettant ainsi la question au cœur de l’actualité de la profession.

Bamboo & Bees. L’idée de la création du cabinet est née dans la tête de Mark Lipskier, le 15 septembre 2008 alors que le monde apprenait la faillite de la banque Lehman Brothers. « J’ai pensé que le monde changeait à ce moment. Le cabinet est né pour ceux qui veulent justement changer le monde » explique-il. Inspiré de la dynamique des abeilles, Mark Lipskier se présente comme un « avocat nomade », voguant entre les différents incubateurs de la capitale. Son concept original des « legal clinic » consiste à se rendre dans les incubateurs pour y rencontrer les entrepreneurs le temps d’un café. Si le courant passe, l’avocat propose une offre « satisfait ou remboursé ». Pour ce faire il leur propose de lister une dizaine de critères de qualité. Lorsqu’au terme de la mission, moins de 75% des objectifs fixés par cette liste sont remplis, le client est entièrement remboursé. Mark Lipskier a reçu le prix de l’innovation de l’incubateur du Barreau de Paris en janvier dernier.

AGN avocats. L’agence des nouveaux avocats propose à leurs clients une offre de proximité. Fini le cabinet rigide des quartiers les plus coquets de la capitales éloignant une certaine clientèle apeurée. Les bureaux de l’agence des nouveaux avocats prennent la forme de « boutiques », où les tarifs sont affichés noirs sur blancs. Le cabinet propose des prestations en matière d’affaires familiales, de responsabilité et assurances, en droit immobilier, en droit des contrats et de la consommation, en droit fiscal, en droit du travail et en droit des affaires. Bousculant les anciennes pratiques, l’agence ne fait pas forcément l’unanimité au sein de la profession. Le concept a cependant été plébiscité par l’incubateur du Barreau de Paris, qui lui a décerné une mention spéciale pour son nouveau modèle de cabinet, dans le cadre du prix de l’innovation juridique.

Oxygen+. Fondé par Stéphan Lefer, l’ancien directeur juridique de Sogeti (groupe Capgemini), Oxygen + est un cabinet au service des directions juridiques. Renversant la pratique, le cabinet s’adapte et s’organise par rapport au fonctionnement des directions juridiques et aux besoins des directeurs juridiques que Stéphane Lefer connait bien.  « Ils ont de moins en moins besoin de recourir à des experts seniors que les directeurs juridiques sont eux-mêmes devenus mais de plus en plus à des mid-levels pour apporter soutien et expertise ciblés», explique-t-il aux journalistes du Magazine Décideurs. Les avocats et juristes du cabinet se déplacent donc en « techniciens du droit », au cœur de la direction juridique cliente pour y dispenser des services au plus proche de la réalité de l’entreprise. Le cabinet offre ainsi un peu d’oxygène aux directions juridiques à bout de souffle.

Reveability. Ce cabinet autoproclamé « nouvelle génération », vise à rendre abordable l’accès à un avocat pour tout entrepreneur. Jusqu’ici rien de très innovant. Ce qui différencie ce nouveau cabinet, c’est l’offre simplifiée qu’il propose. Avec sa « Justart Box », la fondatrice du cabinet Sabah Boumesla propose une offre simple et complète de 1500 euros HT permettant aux entrepreneurs de lancer leur affaire avec un maximum de protection juridique.

Un incubateur : pourquoi faire ?

Plusieurs incubateurs, d’habitude réservés aux start-up, ont vu le jour pour aider les avocats à développer des pratiques innovantes.

  • L’incubateur du Barreau de Paris: comme tout incubateur, il permet d’accompagner les projets de création d’entreprises en proposant un appui en termes d’hébergement, de conseil et de financement. Le projet du Barreau de Paris a vu le jour le 1er janvier 2014. Il est réservé aux prestations de services juridiques et s’est fixé comme objectif d’héberger des travaux de réflexion et d’action en matière d’innovation au sein de la profession d’avocat et dans le monde du droit en général.
  • Avocap: dit aussi « l’espace commun des avocats », est un lieu de développement commun permettant à chaque avocat de profiter de la structure où les moyens sont mutualisés tout en restant libre. Avocap est implanté à Paris depuis 2006 et au Luxembourg depuis 2014.

Capucine Coquand

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