Le droit de la protection sociale: Bien plus qu'une discipline juridique


 

Système de Sécurité sociale en déséquilibre, réforme des retraites, prise en charge de la dépendance,… Sans même le savoir, nous avons tous déjà entendu parler de protection sociale. Présentant des enjeux à la fois économiques, sociaux, politiques et juridiques, cette matière, pourtant omniprésente dans les débats actuels, demeure méconnue. Tirant parti de cette lacune, les étudiants du Master Droit de la Protection sociale d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne tenteront de partager l’intérêt qu’ils portent à cette discipline, en vous faisant découvrir, au fil de leurs chroniques, les mécanismes, enjeux et perspectives du droit de la protection sociale.

 


 

 

Peu importe le lieu ou l’époque, tout Homme aspire à sa protection, mais aussi à celle de ceux qui lui sont proches. Ainsi, afin d’assurer son intégrité physique, mais aussi réduire, voire supprimer les risques pesant sur sa sécurité économique et sociale, il a cherché à développer de multiples stratégies.

 

Alors que certaines se sont rapidement révélées inefficaces, car ne reposant pas sur l’idée de communauté et de partage du coût des risques[1], des formules axées sur une logique d’assistance et d’entraide ont pendant longtemps été pratiquées[2]. De cette manière, les individus se sont prémunis contre un ensemble d’aléas sociaux et plus particulièrement contre les conséquences économiques qui en découlent (perte de revenus professionnels, accroissement de charges, acquisition d’un revenu de remplacement,…).

 

Bien qu’économiquement viables, ces techniques se sont pourtant essoufflées en raison notamment de leur caractère facultatif. En effet, se fondant sur le volontariat, l’adhésion à ces communautés écarte naturellement les plus démunis d’une prise en charge, ces derniers étant souvent victimes d’exclusion sociale.

 

Aussi, une intervention spécifique de l’État en faveur d’une assurance obligatoire couvrant les différents risques sociaux semblait de plus en plus nécessaire. L’enjeu était d’autant plus fort que les Etats voisins, en particulier l’Allemagne et le Royaume-Uni, commençaient à développer leur propre système de protection sociale[3].

 

Malgré tout, ce n’est qu’après plusieurs tentatives timides du législateur français[4] que l’idée d’un système institutionnel de sécurité sociale s’est réellement imposée. Il a en effet fallu attendre la fin de la seconde Guerre Mondiale pour que la fragilité et l’insuffisance des législations existantes soient clairement reconnues. C’est donc en réaction à ces critiques que le régime général de la sécurité sociale est né[5], avec pour ambition de couvrir l’ensemble de la population.

 

Néanmoins, cette généralisation s’est très vite heurtée à des oppositions. En effet, que ce soit les assurés bénéficiant de régimes spéciaux, les travailleurs indépendants, les commerçants ou les artisans, tous souhaitaient éviter leur affiliation obligatoire au régime général. C’est la raison pour laquelle le système de protection sociale actuel s’est constitué en une mosaïque complexe de régimes de base.

 

 

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Partant de ce postulat, seules sont assujetties au régime général de sécurité sociale, les personnes qui ont la qualité de salarié ou celles qui sont assimilées par la loi à un salarié. A ce titre, elles bénéficient d’une couverture pour les risques de maladie, de maternité, d’invalidité, de vieillesse, de décès, ainsi que pour les risques professionnels (accidents du travail et maladies professionnels) et pour les charges familiales. En parallèle, ces personnes tiennent de leur affiliation une obligation de financer le régime. C’est pourquoi, elles sont codébitrices avec leurs employeurs de divers prélèvements (cotisations sociales et impositions de toute nature) assis sur les revenus du travail.

 

 Mais, malgré son étendue, ce système reste limité à plusieurs titres. Tout d’abord, il n’a pas pour vocation première de couvrir les risques dans leur intégralité. En effet, l’indemnisation par la sécurité sociale se borne souvent à un remboursement partiel, qui ne correspond donc que rarement à l’ensemble des sommes engagées et/ou perdues par l’assuré. Aussi, les revenus de remplacement versés par le régime général (c’est-à-dire ceux qui se substituent aux revenus du travail, tels que les pensions de retraite ou les indemnités journalières pour maladie) sont plafonnés, et donc plus faibles que ceux perçus durant l’exercice de l’activité professionnelle.

 

A cela, il faut ajouter que tous les risques sociaux qui menacent l’Homme dans son existence ne sont pas garantis par le système en place. Par exemple, à ce jour, la sécurité sociale ne garantit aucun versement de prestation en cas de perte d’autonomie d’une personne âgée.

 

En parallèle, sensible aux mutations économiques et sociales actuelles, le système français de protection sociale fait aujourd’hui face à des problèmes de financement. Globalisation, concurrence accrue, pression des marchés, vieillissement de la population, allongement de la durée de vie et chômage de masse sont autant d’évolutions qui viennent mettre à mal la pérennité de nos régimes, alors même que les besoins en la matière sont en constante augmentation.

 

C’est en vue de pallier ces insuffisances que les acteurs de l’assurance ont proposé des régimes facultatifs de protection sociale complémentaire, auxquels chacun est libre d’adhérer de manière individuelle, pour soi-même, voire pour l’ensemble de ses ayants droit. En effet, suivant la théorie des vases communicants, les organismes assureurs ont profité de la place laissée par l’État pour étoffer leur offre. Pour autant, la souscription de contrats individuels n’a pas été le seul vecteur de développement de ces garanties.

 

Voyant dans ces techniques de véritables outils de rémunération, beaucoup d’entreprises ont souscrit des contrats d’assurance de groupe et des régimes de retraite supplémentaire au profit de leurs salariés, qu’elles cofinanceraient, afin d’attirer les compétences et fidéliser leur main d’œuvre.

 

Ainsi, vient se superposer au régime de base de la sécurité sociale un droit de la protection sociale d’entreprise.

 

 

Luc Pierron

 

 

 

Notes

 

[1] C’est le cas de l’épargne individuelle : les personnes les plus précaires étant dans l’incapacité

de constituer les provisions nécessaires à la couverture d’un aléa et l’effort d’une seule personne ne suffisant

souvent pas à couvrir le risque qu’il encourt personnellement.

 

[2] Peuvent être pris comme exemples, la charité chrétienne, l’entraide familiale, les systèmes de solidarité

mis en place au sein des corporations professionnelles et des sociétés de secours mutuel.

 

[3] Les assurances maladies sont rendues obligatoires en Allemagne par Bismarck en 1880 et un rapport

dit « Beveridge » proposant une réflexion d’ensemble sur le rôle de la sécurité sociale fut publié au

Royaume-Uni en 1942.

 

[4] Loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail, loi du 5 avril 1910

instituant un régime d’assurance vieillesse obligatoire pour les salariés du commerce et de l’industrie, loi

du 30 avril 1930 instituant pour les salariés titulaires d’un contrat de travail un assurance pour les risques

maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès,…

 

[5] Ordonnance n°45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale.

 

Pour en savoir plus

 

-J-J. DUPEYROUX, M. BORGETTO, R. LAFORE, Droit de la sécurité sociale, Précis Dalloz, 2008

 

-F. KESSLER, « Réflexions sur les mutations récentes du droit de la protection sociale », Revue de droit sanitaire

et social, 2005, p°619

 

-F. KESSLER, Droit de la protection sociale, Cours Dalloz, 2009

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