Il est intéressant de noter que dans sa longue note, le Venezuela explique les raisons pour lesquelles il se voit poussé à prendre cette décision, notamment eu égard à l´attitude tant de la Commission que de la Cour Inter-américaines à son égard et à l´absence de réponse des organes inter-américains à ses demandes de précisions, entre autres.
I. La dénonciation d’un traité relatif aux droits de l’homme comme le pacte de San José
La dénonciation par le Venezuela compte dans la région un précédent: la dénonciation du Pacte de San José par Trinité-et-Tobago, notifiée le 26 mai 1998 au Secrétariat général de l’OEA, et dont les effets juridiques restent toujours en vigueur [2].
Pour ce qui est d´Etats d´Amérique Latine, on se doit de rappeler que le 9 Juillet 1999, le Pérou avait déposé auprès du Secrétariat Général de l’OEA une note par laquelle il retirait sa déclaration d´acceptation de juridiction la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Dès la mise en place du nouveau gouvernement péruvien en l´an 2000, l´un des premiers gestes politiques fut de revenir sur cette décision. Le Ministre de Justice péruvien, aujourd´hui Président de la Cour Inter-américaine des droits de l´homme, avait alors tenu à faire le déplacement personnellement à San José pour officialiser le retour du Pérou dans le système interaméricain de protection des droits de l´homme.
Nombreux sont les auteurs à défendre ardemment depuis de longues années l’idée d’une spécificité particulière des traités relatifs aux droits de l’homme par rapport à d’autres traités, réduisant considérablement la possibilité d´émettre des réserves à leur encontre ou de les dénoncer. Cette position a été défendue par différents organes de contrôle en matière de droits de l’homme, tant universels que régionaux, notamment à partir de la décision de 1961 de la Commission Européenne des Droits de l’Homme dans laquelle elle a jugé que les obligations assumées par les États de la Convention Européenne des Droits de l´Homme sont essentiellement objectives, conçues pour protéger les droits fondamentaux des individus sous juridictions des Hautes Parties contractantes, et qu´ils ne s´agit nullement de créer des droits subjectifs et réciproques entre États (Décision Autriche contre l’Italie, demande no 788 / 60, European Yearbook of Human Rights, (1961), vol. 4, p. 140). Cette approche a été depuis l´objet de nombreux travaux de la part de la doctrine du droit international, Société Française pour le Droit International inclue [3].
II. Le retrait du Vénézuela et les réactions
La décision du Venezuela ne doit pas être considérée comme une surprise: le Venezuela avait annoncé le 30 avril, 2012 qu´il étudiait la possibilité de se retirer du système inter-américain des droits de l’homme, sans préciser le mécanisme choisi. La professeure Ligia Bolivar, directrice du Centre des Droits de l´Homme de l´Université Centrale Andres Bello de Caracas indique que dès 2008, le Venezuela avait fait part de cette possibilité. Les effets d’une éventuelle dénonciation de la CADH par le Venezuela furent même « minimisés » à l´occasion de déclarations publiques faites à la presse par certains juges de la Cour inter-américaine des droits de l’homme fin aôut 2012.
Au plan national, la décision du Venezuela donnera sûrement lieu à d´âpres débats dans la mesure où sa Constitution, comme beaucoup d’autres constitutions récentes d´ Amérique Latine, reconnaît une hiérarchie constitutionnelle aux traités relatifs aux droits de l´homme ratifiés par le Venezuela [4].
Suite aux regrets formulés par les organes de l’OEA ayant eu à peine connaissance de la position du Venezuela (par le biais de son Secrétaire Général [5], et par la Commission Inter -américaine des Droits de l´Homme [6]), ainsi que par le Haut Commissariat aux Droits de l´Homme des Nations Unies [7], on aurait pu s´attendre à ce que des Etats Parties à la Convention en fassent de même. Or, on se doit de reconnaître que les réactions on été fort peu nombreuses: si l´on considère que 24 Etats Membres de l´OEA sont parties au Pacte de San José, seuls le Mexique, le Costa Rica et le Paraguay ont fait référence à la décision du Venezuela. Le premier dans un communiqué officiel daté du 11 septembre [8], le second en insérant un paragraphe dans un communiqué officiel relatif à la tenue d’une conférence régionale sur le système de protection des droits de l’homme tenue à San José le même jour [9], el le troisième le 13 septembre [10].
De cette façon, le Venezuela rejoint un groupe d´Etats membres de l’OEA non parties à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, à savoir Antigua-et-Barbuda, Bahamas (Le Commonwealth des), Belize, le Canada, Cuba, les États-Unis, Guyana, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et Grenadines et Trinité-et-Tobago.
III. Un système régional de protection des droits de l’homme inachevé
Cette décision du Venezuela vient compliquer un peu plus l´état du système inter-américain des droits de l´homme, qui est fort loin de partager la situation dont jouit son homologue européen. Notamment par rapport à l´idée de son «universalisation» (traduction libre de l´expression que l´on retrouve dans de nombreuses résolutions du Comité Juridique Inter-américain ou de l´Assemblée Générale de l´OEA relative à « la universalisación del sistema»), c’est-à-dire l’idée selon laquelle, tous les États membres de l’OEA devraient faire partie du
système interaméricain sur un même pied d’égalité et soumis aux mêmes procédures de contrôle en matière de droits de l´homme [11].
Le système fonctionne de manière complète (États qui ont ratifié la Convention américaine relative aux droits de l’homme et qui ont reconnu la compétence de la Cour Inter-américaine des droits de l’homme) uniquement pour 21 des 35 États membres de l’OEA, dont 18 correspondent aux Etats d´Amérique Latine de culture juridique continentale, auxquels il faut ajouter Barbade et le Suriname.
Avec cette décision, qui pourrait éventuellement tenter d´autres Etats en difficulté devant les instances inter-américaines de protection des droits de l´homme, le Venezuela devient le premier pays d´Amérique Latine à dénoncer le Pacte de San José.
ETATS MEMBRES DE L´OEA: Antigua et Barbuda, Argentine, Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Canada, Colombie, Costa Rica, Chili, Cuba, Dominique (Commonwealth de), Equateur, El Salvador, Etats Unis, Grenade, Guatemala, Guyana, Haiti, Honduras, Jamaique, Mexique Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Saint Kitts et Nevis, Sainte Lucie, Saint Vincent y les Grenadines, Suriname, Trinidad et Tobago, Uruguay et Venezuela.
ETATS PARTIES AU PACTE DE SAN JOSE: Argentine, Barbade, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Dominique (Commonwealth de), Equateur, El Salvador, Grenade, Guatemala, Haiti, Honduras, Jamaique, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Suriname, Uruguay et Venezuela.
ETATS RECONNAISSANT LA COMPÉTENCE DE LA COUR INTERAMERICAINE DES DROITS DE l´HOMME: Argentine, Barbades, Bolivia, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Equateur, El Salvador, Guatemala, Haiti, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Suriname, Uruguay et Venezuela.
Nicolas Boeglin
Diplômé de l´Institut d´Etudes Politiques (IEP) de Strasbourg
LLM (Institut UniversitaireEuropéen de Florence, Boursier Lavoisier)
Docteur en Droit (Université de Paris II)
Actuellement professeur de droit international public à la Faculté de Droit, Universidad de
Costa Rica (UCR)
Note :
[1] Texte complet de la note du 9 septembre 2012 disponible sur : lien
[2] Cf. PASSRAMSAN CONCEPCION N., « The Legal Implications of Trinidad & Tobago’s Withdrawal from the American Convention on Human Rights”, 16, American University International Law Review (2001), pp. 848-889. Article, disponible sur : lien
[3] Voir par exemple FLAUSS J-F, « La protection des droits de l´homme et les sources du droit international », in La protection des droits de l´homme et l´évolution des droits de l´homme, SFDI, Colloque de Strasbourg, Paris, Pédone, 1998, pp.11-79, notamment le chapitre intitulé « le droit des traités à l´épreuve de la protection des droits de l´homme », pp.30-48.
[4] AYALA CORAO C., « Las consecuencias de las jerarquía constitucional de los tratados relativos a los derechos humanos”, article sans indication de date. Disponible sur : lien
[5] Communiqué de presse SG de l´OEA du 10 septembre 2012 : Disponible sur : lien
[6] Communiqué de presse de la CIDH du 12 septembre 2012. Disponible sur : lien
[7] Communiqué de presse du Haut Commissariat aux Droits de l´Homme des Nations Unies du 11 septembre 2012. Disponible sur : lien
[8] Communiqué de presse du Mexique du 11 septembre 2012, disponible sur : lien
[9] Communiqué de presse du Costa Rica du 11 septembre 2012 disponible sur : lien
[10] Communiqué de presse du Paraguay du 13 septembre, disponible sur : lien
[11] Par exemple, Resolution AG/RES. 2291 (XXXVII-O/07) de l´année 2007 .