L’enfouissement des déchets radioactifs en couche géologique profonde

Le projet Cigeo, pour centre industriel de stockage géologique, suscite actuellement de nombreux débats partisans. Si sa création est autorisée, ce centre, qui sera implanté dans l’Est de la France, dans la commune de Bure, servira à stocker les déchets hautement radioactifs et à durée de vie longue, issus de l’exploitation et du démantèlement des installations nucléaires, ainsi que du traitement des combustibles usés utilisés dans les centrales nucléaires. Quel est l’encadrement juridique de cette solution qui se veut pérenne…mais réversible ?

La gestion des déchets radioactifs en France aujourd’hui

Nous incinérons, compostons, et recyclons nos déchets ménagers ; les déchets industriels conventionnels font l’objet de nombreuses filières de valorisation ; mais que deviennent les déchets radioactifs français ? Ces objets ou matières contenant des substances radioactives dont aucun usage ultérieur n’est envisagé[1] étaient, historiquement, immergés en mer. En raison des conséquences que ce mode gestion pouvait avoir sur le milieu marin, cette pratique fut interdite par la communauté internationale en 1983[2]. Dès 1969, la France expérimenta une nouvelle méthode de gestion : le stockage en faible profondeur, au sein du centre de stockage de la Manche, géré par le CEA[3] et définitivement fermé en 2003. Les déchets étaient alors enfouis au sein de tranchées en pleine terre qui étaient bétonnées par la suite.

 

Tous les déchets radioactifs ne peuvent, cependant, suivre une même filière d’élimination. Le mode de gestion est en effet fonction d’une classification établie selon la durée de vie du déchet et son niveau d’activité. Si les déchets de faible ou moyenne activité à vie courte (soit inférieure ou égale à trente ans) peuvent être stockés dans des centres en surface ou en faible profondeur, il n’existe actuellement aucune solution durable pour les plus radioactifs dont la période d’activité peut dépasser la dizaine de milliers d’année Aujourd’hui, ces déchets restent entreposés chez leurs producteurs sous forme vitrifiée[4].

 

La genèse du projet Cigéo

 

La loi du 30 décembre 1991[5] aujourd’hui abrogée, envisageait trois voies de recherche pour définir un mode de gestion satisfaisant pour la dernière catégorie de déchets : la séparation-transmutation, l’entreposage et le stockage en zone géologique profonde. Elle confia la mission de gestion des déchets radioactifs à l’ANDRA (l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), établissement public à caractère industriel et commercial également chargé de définir et de contribuer aux programmes de recherche et de développement concernant la gestion à long terme des déchets radioactifs français, ainsi que d’assurer la conception, l’implantation et la réalisation des centres de stockage à long terme.

 

Les deux premières voies de recherches n’ayant pas été jugées suffisamment intéressantes, le stockage en couche géologique profonde fut retenu[6]La loi du 28 juin 2006[7] codifiée en partie aux articles L. 542-1 et suivants du code de l’environnement, a confirmé l’orientation donnée en 1991 et a concrétisé le projet Cigéo de stockage en couche géologique profonde. Les attributions de l’ANDRA ont été modifiées : d’une structure orientée vers la recherche elle est devenue un établissement de maîtrise d’ouvrage d’un projet industriel de grande ampleur[8]

 

Le stockage en couche géologique profonde : état des lieux et incertitudes 

 

Pourquoi le Stockage en couche géologique profonde ? Le stockage en couche géologique profonde est la filière d’élimination retenue pour les déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Compte tenu des risques que présentent ces déchets, ce mode de gestion a été jugé le plus à même d’assurer la sécurité et de protéger l’environnement. L’intérêt de ce mode de gestion est de cumuler les effets liés à la profondeur de l’enfouissement avec les qualités des roches argileuses afin d’assurer un confinement optimal : les radiations émises par les déchets, même si elles dépassent les zones de confinement ne devraient pas atteindre la surface, ou ne le feront que dans des centaines de milliers d’années et dans des quantités très faibles.

 

Qu’est-ce que Cigéo ? Il s’agit d’un centre de stockage en couche géologique profonde unique en France. Au même titre qu’un réacteur nucléaire ou une usine de retraitement, Cigéo est qualifié d’installation nucléaire de base (INB)[9] Il est donc soumis à un régime juridique particulier assez proche de celui des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)[10]Ce corpus juridique permet à l’autorité administrative d’appréhender l’ensemble des enjeux relatifs à la sécurité, la santé, la protection de l’environnement et la dangerosité propre aux matières radioactives. Cigéo est une INB sui generis, sa qualification d’INB est expressément prévue par la loi à l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement et sa procédure d’autorisation est soumise à des règles spécifiques.

 

La procédure d’autorisation de Cigéo – La procédure d’autorisation de Cigéo, en raison du caractère très sensible du projet, prévoit de nombreuses consultations et des phases de concertation et de participation du public. L’article L. 542-10-1 du code de l’environnement prévoit ainsi qu’un débat public soit réalisé, que la commission nationale d’évaluation, l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) et les collectivités territoriales concernées soient consultées.

 

L’autorisation est également conditionnée par la réversibilité du projet, c’est-à-dire à la capacité pour les générations futures de revenir sur les décisions prises lors de la mise en œuvre progressive d’un système de stockage, en permettant, notamment, de récupérer les colis de déchets déjà stockés. Ce principe de réversibilité suscite de nombreuses interrogations quant à sa mise en œuvre. Un des articles de la loi Macron[11] qui devait préciser les conditions dans lesquelles cette réversibilité serait assurée, a été déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2015 en raison de son caractère de « cavalier législatif »[12] En conséquence, une proposition de loi a été déposée le 10 novembre 2015 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Elle est actuellement renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

 

Etat d’avancement du projet – Les différentes autorités compétentes ont déjà émis plusieurs avis ou notes sur le projet Cigéo[13] Le débat public s’est tenu du 15 mai au 15 décembre 2013. Aux termes de l’article L. 542-1-1-1 du code de l’environnement, la demande d’autorisation de création de Cigéo aurait dû être déposée en 2015, pour une mise en exploitation autour de 2025. Si aujourd’hui Cigéo est effectivement entré en phase de conception industrielle[14] le calendrier inscrit dans la loi du 28 juin 2006 ne sera pas respecté. L’ANDRA compte désormais préparer le dossier de demande d’autorisation de création en 2017, pour un dépôt mi-2018[15] La mise en exploitation, toujours fixée à 2015, commencerait désormais par une phase industrielle pilote qui précédera l’exploitation courante qui ne commencera pas avant 2030. La proposition de loi susmentionnée du 10 novembre 2015 précisera probablement ce nouveau calendrier.

 

 

Eléonore Laffay et Baptiste Cousseau ( LinkedIn)

 

 

[1] Article L. 542-1-1 aliéna 5 du code de l’environnement ;

[2] Résolution de 1983 de la septième réunion consultative des parties contractantes à la convention de Londres de 1972 sur la prévention des pollutions marines par l’immersion de déchet et autres matières ;

[3] Décret du 19 juin 1969 autorisant la création d’une installation pour le stockage des déchets radioactifs solides ;

 [4]nclusions C. Verot sous la décision du 4 aout 2006, Association de réflexion d’information et de lutte anti nucléaire et autres n° 254948 ;

[5]Loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs ;

[6]Avis de L’autorité de sûreté nucléaire du 1er février 2006 sur les recherches relatives à la gestion des déchets à HAVL ;

[7]Loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs ;

[8]Rapport de la Cour des comptes sur l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, 12 avril 2016 ;

[9]Article L. 593-1 et suivants du code de l’environnement ;

[10]Article L. 511-1 et suivants du code de l’environnement ;

[11]oi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ;

[12]Décision n° 2015-715 DC du Conseil constitutionnel du 5 août 2015 ;

[13]Voir notamment : Avis de l’ASN du 1er février 2006, Synthèse de l’IRSN du « Dossier 2009 » de l’ANDRA du 20 novembre 2010, Avis n° 2013-AV-079 de l’ASN du 16 mai 2013, note de positionnement de l’ANDRA de janvier 2016 ;

[14]Rép. Min. n° 65523 : JOAN Q, 25 nov. 2014, p. 9839 ;

[15]http://cigéo.fr/calendrier-debat-public

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