L’industrie du droit ? Un réservoir d’emplois !

Recherchez « marché du droit » à l’aide de votre moteur préféré : aucune étude disponible pour évaluer le poids économique de cette activité de service essentielle à la vie des Hommes ! Pourtant les législateurs, français comme européens, interviennent régulièrement sur ce marché composé pour une part significative par des professions règlementées ou à accès limité. Les études d’impact ne seraient que le privilège des fiscalistes ou de certaines professions structurées comme les notaires ou les avocats[1]? Noblesse du droit, expression politique et choix des urnes placent-ils ce secteur au-dessus de l’économie ? Ou tout simplement aurions-nous encore des difficultés à parler d’économie pour aborder les règles qui gouvernent la vie des Hommes ?

Dépasser le pilotage du Droit « à vue » !

Ce même constat d’absence d’outil de mesure et de comparaison avait été fait il y a plus de 10 ans dans le domaine des politiques fiscales[2] , de l’attractivité de la France, des directions fiscales, des directions juridiques et enfin de la formation Juridique & Fiscale. Cela avait justifié la création de la série des Observatoires, enrichie au fil des ans par les échanges réguliers avec notre réseau international d’avocats et de fiscalistes opérant dans 150 juridictions.

Contribuer à une première étude sur « l’industrie du droit en France »[3] avec nos partenaires de l’Observatoire des Directions Juridiques[4] et du programme de mentoring DJ au Féminin[5] pour combattre les idées reçues et ouvrir un débat rationnel autour de mesures qui facilitent le développement du marché du Droit s’inscrivait dans la même logique.

Voici quelques étonnements sur le volet emplois tirés de nos discussions durant la construction de l’étude pour introduire cette livraison du « Grand Juriste »: car le potentiel de développement et de transformation du Droit en termes de jobs n’a pas fini de nous étonner !

Aussi important que le transport aérien ! Voir plus ?

Avec près de 25 milliards d’euros, soit 1% du PIB français, et un minimum d’emplois directs de 243 000, le marché du droit possède un impact économique et social aussi fort que celui du transport aérien, secteur stratégique et d’innovation pour la France. Ces chiffres ont été évalués de manière prudente, en choisissant de segmenter l’écosystème du Droit entre secteur concurrentiel, professions règlementées et corps administratifs et judiciaires.

Si l’on considère, le secteur concurrentiel, force est de constater en terme d’emplois le poids significatif des avocats y compris au Conseil – 60 334 et 87 400 salariés des cabinets. Ces chiffres intègrent les experts-comptables pour leur activité accessoire, les conseils en propriété intellectuelle ou les conciliateurs de justice. Dans cette dernière catégorie les arbitres n’ont pas été recensés car souvent avocats. Les médiateurs n’ont pas plus été pris en compte. Or, le développement et la promotion des moyens de résolution alternative des conflits dans la vie des affaires, comme entre particuliers, pourraient entraîner un accroissement des perspectives d’emploi..

Hier des avocats, après demain des entrepreneurs du Droit ?

Nombreux sont aujourd’hui les entrepreneurs du Droit qui ont créé, souvent dans les 5 dernières années, un minimum de 4 662 emplois en France ! La centaine de sociétés répertoriées par Day One comporte aussi bien des acteurs historiques du droit – tels que les éditeurs de revues juridiques– que des activités venant en support de la profession juridique (agence de communication, traduction, secrétariat, ect). Certaines start up comme Captain Contrat, demanderjustice.com, actioncivile.com, legalease, legascope revisitent également les métiers du droit. Idem pour les agences de lobbying.

Dans cette estimation conservatrice du marché, vous ne retrouvez pas plus les chiffres des opérateurs de support des services juridiques externalisés ainsi que les cabinets qui pour une part de leur activité difficile à évaluer contribuent au support des procès, arbitrages ou conflits en matière de concurrence : agents immobiliers, syndics, architectes, banquiers, etc.

Complétez égalment ce chiffre de 176 000 emplois dans le secteur concurrentiel avec les services de protection juridique des compagnies d’assurance, les juristes, fiscalistes et « travaillistes » des centres de gestion agréés, rajoutez les gestionnaires de patrimoine et les « Family Offices » en forte croissance, anticipez les emplois créés par les start up … et vous mesurez la dynamique du secteur.

Et les entreprises dans tout cela ?

Avec 15 800 emplois identifiés dans le secteur concurrentiel, les juristes en entreprise représenteraient moins de 10% du segment. Cependant, force est de constater l’absence de prise en compte dans ces estimations d’un certain nombre de professionnels de l’entreprise qui ne sont pas rattachés aux directions juridiques ou font à titre accessoire du droit ! Fiscalistes ? Spécialistes du droit du travail ? Juristes achats ? Juristes en associations de protection ? Correspondants informatique et liberté ? Responsable environnement ? Responsable RSE ? Secrétaire du Conseil d’Administration ? Responsable qualité ? … et même directeur financier qui, notamment en filiale, ont souvent la responsabilité juridique et fiscale !

Le devenir du secteur réglementé ?

Les professions relevant de tarifs réglementés comme les notaires et leurs salariés, les administrateurs judiciaires, les commissaires-priseurs ou les greffiers des tribunaux de commerce pèsent 140 000 emplois. Leur devenir est directement lié à certaines mesures législatives en matière de liberté des services. Ceci explique la levée de bouclier des notaires en mars dernier. Concernant les notaires en particulier, dans une étude « Croissance et Activité », 9600 associés dont 10% salariés ont été identifiés comme sensibles aux décisions politiques sur le tarif ou la liberté d’installation. Cette même étude démontrerait la possible suppression de 5 400 à 9 400 emplois de collaborateurs dans les 5 ans, sur un total de 45 000 collaborateurs!

On peut donc considérer les chiffres de notre enquête minorés, puisque ces personnels des études ne sont pas pris en compte. De même pour les administrateurs judiciaires et les mandataires de justice : il reste une dynamique d’emploi sur ces secteurs, même s’ils sont en mutation comme les greffiers des Tribunaux de commerce et la justice en général.

Et toujours une valeur sûre ! Le segment administratif et judiciaire

53 000 emplois directs ont été répertoriés dont 34 200 liés directement au service de la justice, 11 400 à l’enseignement du droit et 6 765 aux Autorités Administratives indépendantes.

Ces chiffres s’entendent sans prendre en compte les personnels de la justice administrative pour lesquels Day One n’a pas trouvé de statistiques récentes auprès du Ministère de la Justice, mais intègrent par exemple les personnels de la Cour des Comptes, y compris les Chambres Régionales, soit 1 822 personnes et bien sûr les 21 000 employés des tribunaux des ordres judiciaires. Côté autorités administratives indépendantes les 3 651 emplois ont été identifiés dans un rapport d’octobre 2010 ! Or, leur augmentation en nombre et le renforcement de leurs pouvoirs sur ces dernières années, démontrent une sous-évaluation de leur poids en termes d’emplois.

Enfin les 11 000 enseignants à fin 2013 encadraient 208 407[6] étudiants en droit et en sciences politiques à la rentrée 2013. L’observation des amphithéâtres a permis d’identifier la nécessité de proposer aux étudiants en droit de l’entreprise des enseignements plus pratiques comme la gestion de projet, des cours de langue et d’informatique appliquée. Cette prise en charge améliorée nécessiterait une augmentation du nombre d’enseignants ou la création de nouveaux statuts de professeurs associés issu du monde concurrentiel comme en Ecole de Commerce.

Et ce n’est pas fini !

Cette carence sur l’évaluation du marché du droit en matière d’emplois, nous espérons l’avoir partiellement comblée avec cette étude. Mais d’autres challenges existent pour une meilleure lisibilité du marché : une meilleure connaissance du marché de l’emploi; des analyses indépendantes, autres que les « meilleurs Masters » des hebdomadaires grands tirages, qui ont cependant le mérite d’exister[7] ; l’impact de la nouvelle économie du droit … . Ce secteur en pleine mutation, si l’on se réfère au nombre croissant d’étudiants qui le rejoigne à la rentrée 2015 et dynamique par la création de nouveaux modèles pour diffuser l’accès au droit, gagnerait à plus de lisibilité pour attirer les talents et proposer encore plus de perspectives professionnelles encourageantes, voire de rêves à des étudiants éclairés.

Souvent, et c’est la magie du Droit, cette matière pour les étudiants est un « non choix », une « reconversion » ou un choix par défaut. Imaginez qu’elle devienne une passion dès les premières années ? Quelle force d’attractivité, de pouvoir de développement au service des humanités et de l’emploi !

Stéphane Baller – Associé – EY Société d’Avocats

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Créateur de la série des Observatoires Juridiques & Fiscaux

[1] Etude d’impact de la loi « Croissance et activité réalisée à la demande du Conseil National des Barreaux par EY avec l’institut CSA pour le – janvier 2015

[2] Observatoire des Politiques Budgétaires et fiscales en janvier depuis 1995, Observatoire des Directions fiscales en mai depuis 2003, Attractivité de la France en juin depuis 2005, Observatoire des Directions Juridiques en septembre depuis 2007, Observatoire des Formations Juridiques & Fiscales depuis 2011 en mai

[3] L’industrie du droit en France étude réalisée par Day One et Bruno Deffains Professeur d’Economie à l’Institut Universitaire de France et à l’Université Panthéon Assas à la demande de l’Association Française des Juristes d’Entreprise, du Cercle Montesquieu et d’EY Société d’Avocats – avril 2015

[4] L’ODJ 2013 et celui de 2015 dont l’interrogation démarre en jin sont réalisés en partenariat avec l’AFJE

[5] Programme de mentoring de 25 étudiantes en droit de niveau M2 de Paris 1, Paris 2, HEC, Sciences Po et HEAD par 25 directrices juridiques membres du Cercle Montesquieu pour lequel EY Société d’Avocats anime un programme de soft skills permettant de trouver son stage de rêve et mieux connaître le marché du droit

[6] Insee étudiants inscrits en Université par discipline à la rentrée 2013 www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=natnon07136

[7] La Clinique Juridique de Paris Saclay dirigée par Madame le Professeur Véronique Magnier et son laboratoire « Legal & Tax Market Intelligence » répondront à ces attentes dès la rentrée

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