L’interdiction des signes religieux par l’employeur : le principe de laïcité (dé)voilé

 

Le conseil de prud’hommes de Mantes-la-jolie a jugé le 13 décembre dernier qu’était constitutif
d’une « faute grave » justifiant son licenciement le fait pour une employée de crèche de porter sur
son lieu de travail un voile islamique en méconnaissance du « principe de neutralité » fixé par le
règlement intérieur de l’établissement.
Le port du voile islamique continue, semble-t-il, de susciter certaines interrogations et polémiques
malgré les interventions des pouvoirs publics qui ont largement contribué à forger, au gré des
martèlements législatifs successifs, son régime d’interdiction.
Retour sur les faits à l’origine de la décision.
Une association privée en charge de la gestion d’une crèche employait celle qui deviendra quelques
temps plus tard la demanderesse.
De retour d’un congé parental, celle-ci fit part à son employeur de sa décision de venir travailler en
portant le voile. Malgré les mises en garde de la direction de la crèche, l’employée persista dans
son refus de se conformer au règlement intérieur lequel prévoyait l’interdiction du port de signes
ostensibles d’appartenance religieuse.
Suite à l’échec des tentatives de rupture conventionnelle du contrat de travail, la relation prit fin à
compter du jour où la directrice décida du licenciement de l’employée insubordonnée.
Considérant son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’ancienne employée saisit la
juridiction prud’homale.
Une controverse juridique
Si la prohibition du port du voile ne fait plus réellement débat au sein des établissements à caractère
public, au for desquels préside le principe de neutralité des agents, le milieu de l’entreprise privée
(comme c’était le cas dans l’affaire du 13 décembre 2010) apparaît comme étant le théâtre du
nouveau bras de fer juridique qui oppose les partisans de la liberté religieuse à ceux de la laïcité.
Les premiers tirent argument de l’absence d’un quelconque principe général de neutralité régissant
le fonctionnement des établissements privés et considèrent que l’employeur ne saurait être légitime
à interdire le port de signes religieux.
Les seconds se prévalent bien au contraire de la faculté, pour l’employeur, de fixer via notamment le
règlement intérieur de l’entreprise, un devoir disciplinaire de neutralité à l’égard de ses salariés.
Le port de signes religieux est, par principe, autorisé au sein de l’entreprise privée.
Quels arguments juridiques invoquer à l’appui d’une interdiction, par l’employeur, du port de signes
religieux ?
La solution : la validité de la clause d’interdiction sur le fondement du « principe de
neutralité »
La juridiction prud’homale a cette fois-ci donné raison aux partisans de la laïcité.
Elle a effectivement retenu, contrairement à l’avis rendu par la Halde saisie par la demanderesse,
la validité de la clause du règlement intérieur par laquelle l’employeur prohibe au sein de
l’établissement le port de signes manifestant l’appartenance religieuse… au nom du « principe de
neutralité » de l’établissement.
Une solution remarquable au sens propre du terme, tendant à l’application du principe de laïcité au
sein d’un établissement privé.
Une solution innovante (au regard des fondements classiques d’interdiction)
La solution du Conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie n’est pas particulièrement originale en
ce qu’elle reconnaît la validité d’une clause du règlement intérieur interdisant le port de signes
manifestant une appartenance religieuse. Elle tire son originalité du fondement sur lequel elle
s’érige.
Jamais une juridiction n’avait ainsi mis en avant le principe de neutralité à l’appui de la validité d’une
clause du règlement allant en contresens de l’exercice de la liberté religieuse.
En effet, le Code du travail institue un mécanisme de protection des libertés fondamentales contre
l’exercice, par l’employeur, de son pouvoir disciplinaire.
L’article L. 1321-3, 2° interprété a contrario subordonne la validité des clauses du règlement
apportant des restrictions « aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives » à
deux conditions cumulatives :
– Leur justification au regard de « la nature de la tâche à accomplir »
– Leur proportionnalité face au but recherché.
C’est sur le fondement de cette disposition et par la mise en oeuvre du contrôle qu’elle prescrit que
la jurisprudence a pu retenir, antérieurement au jugement du 13 décembre 2010, tant la validité que
l’illicéité de telles clauses.1
Si certaines décisions se référaient expressément à « l’exigence de neutralité », celle-ci
n’apparaissait que comme étant le « but recherché » au sens de l’article L. 1321-3 du Code du Travail
dans toute activité en contact fréquent avec un large public. 2
En retenant comme principe la neutralité religieuse, le Conseil de prud’hommes va plus loin puisqu’il
ouvre la porte à la généralisation de l’interdiction.
Selon les conseillers prud’homaux, tout employeur peut désormais prévoir l’interdiction des signes
ostensibles d’appartenance religieuse au nom du principe de neutralité sans avoir à justifier, d’une
part, de l’opportunité de la mesure au regard de la nature de la tache à accomplir, d’autre part, de sa
proportionnalité eu égard au but recherché.
Il est évident que s’il s’agit bien de l’interprétation à donner à la solution ainsi mise en avant, le
système de protection des libertés mis en place par l’article L. 1321-3 du Code du Travail sera réduit
en peau de chagrin.
La portée du jugement doit être relativisée : reste en effet à voir si la position du conseil de
prud’hommes parviendra à modifier la « religion » des cours d’appel et de la Cour de cassation.
Elie Lounis
Le conseil de prud’hommes de Mantes-la-jolie a jugé le 13 décembre dernier qu’était constitutifd’une « faute grave » justifiant son licenciement le fait pour une employée de crèche de porter surson lieu de travail un voile islamique en méconnaissance du « principe de neutralité » fixé par lerèglement intérieur de l’établissement.

Le port du voile islamique continue, semble-t-il, de susciter certaines interrogations et polémiquesmalgré les interventions des pouvoirs publics qui ont largement contribué à forger, au gré desmartèlements législatifs successifs, son régime d’interdiction. Retour sur les faits à l’origine de la décision.

 

I   Les faits


Une association privée en charge de la gestion d’une crèche employait celle qui deviendra quelquestemps plus tard la demanderesse.

 

De retour d’un congé parental, celle-ci fit part à son employeur de sa décision de venir travailler enportant le voile. Malgré les mises en garde de la direction de la crèche, l’employée persista dans son refus de se conformer au règlement intérieur lequel prévoyait l’interdiction du port de signes ostensibles d’appartenance religieuse.

 

Suite à l’échec des tentatives de rupture conventionnelle du contrat de travail, la relation prit fin à compter du jour où la directrice décida du licenciement de l’employée insubordonnée.

 

Considérant son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’ancienne employée saisit la juridiction prud’homale.

 

II   Une controverse juridique

 

Si la prohibition du port du voile ne fait plus réellement débat au sein des établissements à caractère public, au for desquels préside le principe de neutralité des agents, le milieu de l’entreprise privée (comme c’était le cas dans l’affaire du 13 décembre 2010) apparaît comme étant le théâtre d’unouveau bras de fer juridique qui oppose les partisans de la liberté religieuse à ceux de la laïcité.

 

Les premiers tirent argument de l’absence d’un quelconque principe général de neutralité régissantle fonctionnement des établissements privés et considèrent que l’employeur ne saurait être légitime à interdire le port de signes religieux.

 

Les seconds se prévalent bien au contraire de la faculté, pour l’employeur, de fixer via notamment lerèglement intérieur de l’entreprise, un devoir disciplinaire de neutralité à l’égard de ses salariés.

 

Le port de signes religieux est, par principe, autorisé au sein de l’entreprise privée.

 

Quels arguments juridiques invoquer à l’appui d’une interdiction, par l’employeur, du port de signes religieux ?

le petit juriste laïcité

 

III   La solution : la validité de la clause d’interdiction sur le fondement du « principe deneutralité »

 

La juridiction prud’homale a cette fois-ci donné raison aux partisans de la laïcité.

 

Elle a effectivement retenu, contrairement à l’avis rendu par la Halde saisie par la demanderesse,la validité de la clause du règlement intérieur par laquelle l’employeur prohibe au sein de l’établissement le port de signes manifestant l’appartenance religieuse… au nom du « principe de neutralité » de l’établissement.

 

Une solution remarquable au sens propre du terme, tendant à l’application du principe de laïcité au sein d’un établissement privé.

 

IV   Une solution innovante (au regard des fondements classiques d’interdiction)

 

La solution du Conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie n’est pas particulièrement originale en ce qu’elle reconnaît la validité d’une clause du règlement intérieur interdisant le port de signes manifestant une appartenance religieuse. Elle tire son originalité du fondement sur lequel elle s’érige.

 

Jamais une juridiction n’avait ainsi mis en avant le principe de neutralité à l’appui de la validité d’uneclause du règlement allant en contresens de l’exercice de la liberté religieuse.

 

En effet, le Code du travail institue un mécanisme de protection des libertés fondamentales contrel’exercice, par l’employeur, de son pouvoir disciplinaire.

 

L’article L. 1321-3, 2° interprété a contrario subordonne la validité des clauses du règlementapportant des restrictions « aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives » à deux conditions cumulatives :

  •  

    Leur justification au regard de « la nature de la tâche à accomplir »

  •  

    Leur proportionnalité face au but recherché.

     

C’est sur le fondement de cette disposition et par la mise en oeuvre du contrôle qu’elle prescrit quela jurisprudence a pu retenir, antérieurement au jugement du 13 décembre 2010, tant la validité quel’illicéité de telles clauses1.

 

Si certaines décisions se référaient expressément à « l’exigence de neutralité », celle-cin’apparaissait que comme étant le « but recherché » au sens de l’article L. 1321-3 du Code du

Travail dans toute activité en contact fréquent avec un large public2.

 

En retenant comme principe la neutralité religieuse, le Conseil de prud’hommes va plus loin puisqu’il ouvre la porte à la généralisation de l’interdiction.

 

Selon les conseillers prud’homaux, tout employeur peut désormais prévoir l’interdiction des signes ostensibles d’appartenance religieuse au nom du principe de neutralité sans avoir à justifier, d’unepart, de l’opportunité de la mesure au regard de la nature de la tache à accomplir, d’autre part, de saproportionnalité eu égard au but recherché.

 

Il est évident que s’il s’agit bien de l’interprétation à donner à la solution ainsi mise en avant, le système de protection des libertés mis en place par l’article L. 1321-3 du Code du Travail sera réduit en peau de chagrin.

 

La portée du jugement doit être relativisée : reste en effet à voir si la position du conseil deprud’hommes parviendra à modifier la « religion » des cours d’appel et de la Cour de cassation.

 

 

Elie Lounis

 

Notes

 

 

[1] Sur la reconnaissance de la validité de l’interdiction proportionnelle : au but d’hygiène recherché (analyste

médical) ● CA Versailles, 23 novembre 2006 ; au but de neutralité recherché dans le cadre d’un contact avec

un large public ● CA Paris, 16 mars 2001 ● C. prud’h, Lyon, 16 janvier 2004 ● CA Versailles, 23 novembre 2006 ;

au but de respect de l’image de marque de l’entreprise (mode) ● CA, Saint-Denis de la Réunion, 9 septembre

1997.

 

Sur la reconnaissance de l’illicéité de l’interdiction : ● CA, Bourges, 7 Août 2007 ● CA, Paris, 19 juin 2003.

 

 

[2] Frappant en ce sens : ● C. prud’h, Lyon, 16 janvier 2004 ● CA Paris, 16 mars 2001.

 

Pour en savoir plus

 

 

Le monde.fr, « Le licenciement d’une salariée de crèche voilée validé aux prud’hommes »

 

L’express.fr. « ce que l’affaire Baby loup va changer dans les entreprises »

 

Code du travail, articles L. 1321-1 et suiv.

 

Gazette sociale Tripalium, Audrey Marchand, « Clauses licites et illicites du règlement intérieur »,

 

Avens, Lehman & associés, « brèves juridiques, n°49, janvier 2007 »

 

 

 

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