Lumières sur la Directive 2012/13/UE concernant l’accès au dossier pendant la garde à vue

Le 22 mai 2014, la Délégation des barreaux de France de Bruxelles organisait un séminaire intitulé : « Droit pénal et Droits fondamentaux : Le renforcement de la place de l’avocat »[1].

Comme attendu, dès le premier jour du séminaire, la loi de transposition de la directive 2012/13/UE[2] devant réformer le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, prit place au cœur des débats.

Certains avocats avaient cru que cette directive permettrait d’accéder à l’intégralité du dossier dès le début d’une mesure de garde à vue (demande fort récurrente des barreaux). La loi de transposition n’en fit cependant rien. Une partie des débats de la Délégation des Barreaux de France, porta donc sur la comparaison des deux textes, et sur l’interprétation a minima que fait le gouvernement de la directive. Se posait ainsi la question de la conformité de la loi au Droit de l’Union et de l’éventualité de nouveaux recours.

Le droit français demeure réfractaire à l’accès au dossier pendant la garde à vue

La loi de transposition promulguée le 27 mai 2014[3], n’innove, en ce qui concerne l’accès au dossier pendant la garde à vue, qu’en permettant au gardé à vue de connaitre les éléments déjà fournis à son avocat (article 3 modifiant l’article 63-4-1 CPP). Les éléments d’enquête demeurants hors de leur portée.

Ainsi, L’avocat  (et désormais son client) ne peut consulter que les procès-verbaux d’audition, la notification du placement en garde à vue,  des droits qui y sont attachés, et le certificat médical établi en application de l’article 63-3 du même code. Aucun des éléments de l’enquête ne lui sont accessibles. En d’autres termes, l’avocat ne connait que la version de son client, et ignore tout de ce que les policiers ont réussi à établir ou non. De ce fait les policiers confrontent les dires du gardé à vue, avec la réalité d’un ensemble de fait qu’ils sont seuls à maîtriser pendant la garde à vue. Il en résulte que nombre d’avocats conseillent à leurs clients de garder le silence jusqu’au complet accès au dossier lorsque les poursuites sont engagées.

De nombreux recours ont par ailleurs été déposés sur la question, essentiellement au regard de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Source : Les EchosAinsi, l’arrêt Danayan contre Turquie du 13 octobre 2009[4], a inscrit dans les mémoires l’idée que la consultation de l’ensemble des éléments à charge contre une personne arrêtée par la police était intrinsèquement liée à l’exercice du droit au procès équitable garanti par la Conv. EDH. Mais dans cet arrêt la Cour européenne des droits de l’Homme s’est gardée de préciser si l’accès au dossier devait avoir lieu dès le début de la mesure ou s’il pouvait être différé dans le temps, par exemple, après la garde à vue. Ce détail révélant l’une des différences majeures entre les procédures à tendance inquisitoire et celles à tendance accusatoire, la Cour a laissé, en l’absence de consensus, une certaine marge de manœuvre aux Etats[5].

Ancrées dans notre tradition inquisitoire, les juridictions internes ont dès lors refusé d’étendre l’accès au dossier.  Ainsi, le Conseil constitutionnel a estimé que l’objectif des dispositions actuelles de la garde à vue n’était pas de « discuter de la légalité des actes d’enquête, ou du bien-fondé des éléments de preuve »[6]. Il faut donc comprendre que l’accès doit être réservé aux éléments permettant de contester la légalité procédurale de l’arrestation et de la détention, ce qui exclut les éléments de preuve.

Le Conseil d’Etat est allé dans le même sens,[7] et  la Cour de cassation a refusé d’invalider une procédure à la suite d’un défaut d’accès au dossier complet pendant la garde à vue[8].

Le droit français s’étant ainsi cristallisé contre l’accès immédiat et complet au dossier pendant la garde à vue, le débat est demeuré en suspend jusqu’à l’introduction de l’article 7 de la directive 2012/13/UE précisant les modalités d’accès au dossier.

Les différentes interprétations qui peuvent être faite de la Directive

De façon claire, cet article rappelle que « les documents qui sont essentiels pour contester de manière effective, conformément au droit national, la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat ». Il précise aussi, dans la logique de la jurisprudence Danayan, que « les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient accès au minimum à toutes les preuves matérielles, à charge ou à décharge, des suspects ou des personnes poursuivies qui sont détenues par les autorités compétentes, afin de garantir le caractère équitable de la procédure et de préparer leur défense ».

Mais passés ces acquis,  la grande innovation du texte vient de ses précisions sur le moment où l’accès au dossier doit avoir lieu. Le paragraphe 1er de l’article 7 dispose ainsi que l’accès aux « éléments essentiels » du dossier doit avoir lieu « à n’importe quel stade de la procédure pénale ». En complément, le paragraphe 3 indique que le dossier doit être donné « en temps utile pour permettre l’exercice des droits de la défense… ».

Pendant le séminaire de la Délégation des Barreaux Français à Bruxelles, les avocats présents[9] se sont fondés sur le paragraphe premier et sur cette partie du paragraphe 3, pour affirmer que les droits de la défense ne peuvent être séquencés selon le moment de la procédure. De ce fait si la directive précise que tous les documents essentiels doivent être remis pour « préparer la défense », l’exercice des droits de la défense doit se faire dès le début d’une mesure coercitive, notamment d’une garde à vue, dont personne ne conteste qu’il s’agit d’un stade de la procédure.

Cependant, des questions sont soulevées par l’emploi de l’expression « en temps utile », dont deux interprétations sont possibles.

Si l’on considère qu’il s’agit de l’utilité de l’enquête, il est aisé de justifier un délai pendant lequel l’avocat et son client n’ont pas accès au dossier.

Mais, si l’utilité concerne l’exercice des droits de la défense, et donc de la personne suspectée par les services de police[10], il devient évident que l’accès au dossier est utile dès le début de la mesure. De la même façon, un débat peut également être engagé sur ce qui fait qu’un élément est « essentiel » ou ne l’est pas.

Toutefois la seconde partie du paragraphe 3 donne du relief aux arguments des partisans d’un accès restreint au dossier en précisant que l’accès peut avoir lieu « … au plus tard lorsqu’une juridiction est amenée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation », ce qui autorise qu’il soit effectif après la garde à vue. La seconde partie du paragraphe 3 semble donc contradictoire au reste de l’article. La formule « au plus tard » pouvant alors être considérée comme une précision de l’expression « en temps utiles »[11] par les défenseurs d’un accès restreint.

Là encore, les tenants de chacune des thèses ont trouvé matière à discussion.

Par ailleurs, d’autres arguments sémantiques ont été mis en avant pendant les débats u séminaire. Entre autres exemples, ce fut le cas du  paragraphe 4 de l’article 7, qui prévoit qu’une « dérogation peut être faite pour certains éléments du dossier [… ] Lorsque le refus d’accès est strictement nécessaire en vue de préserver un intérêt public important, comme dans le cas où cet accès risque de compromettre une enquête en cours ».

Ce paragraphe traduit à première vue l’idée que l’utilité de l’enquête peut justifier un retard dans l’accès à certaines pièces. Ce qui renforce la possibilité d’un accès restreint au dossier.

Mais dans une analyse a contrario, qualifier cette disposition de « dérogation […] strictement nécessaire » induit que la norme serait d’autoriser un accès aux éléments essentiels dès le début de la garde à vue. Cet accès ne devrait donc  être restreint que par exception. Une interprétation téléologique  du texte soutiendrait ainsi qu’un certain nombre d’éléments essentiels, parmi lesquels des éléments de preuve qui ne mettraient pas en péril la suite de l’enquête, doivent être divulgués. Là encore la réflexion peut être nourrie.

Notons malgré tout que si l’on prend du recul sur le texte, les rédacteurs, en jouant sur l’ambiguïté des mots, n’ont apparemment pas souhaité trancher le débat. Ils semblent plutôt avoir aménagé une porte de sortie pour les Etats attachés à leur tradition inquisitrice en posant l’accès immédiat au dossier comme principe et en tolérant des exceptions limitées dans le temps.

Voulant alors passer outre les arguments lexicaux, certains avocats ont rappelé, pendant le séminaire, que le gouvernement n’avait aucune obligation d’interpréter la directive a minima. Nombre d’entre eux auraient ainsi souhaité d’avantage d’audace dans la rédaction du texte, qui ne s’oppose en rien à ce que la protection des Droits de la défense s’étende au-delà des impératifs de la directive.

Mais malgré l’adoption en Commission des lois d‘un amendement autorisant un accès complet au dossier pendant la garde à vue, la loi du 27 mai 2014 conserve in fine le statu quo[12].

Malgré tout il conviendra de noter que la Directive donne une orientation claire pour l’avenir. Même si la liberté des Etats demeure, le fait de rendre dérogatoire l’accès restreint au dossier confirme l’idée que, tôt ou tard, les institutions de l’Union fermeront la porte de sortie qu’elles ont entrebâillée. Dans une logique empirique, la Cour européenne, de son coté, pourrait tout aussi bien prendre les devants en précisant sa jurisprudence Danayan et en clarifiant le moment où l’accès au dossier doit être effectif. Ne doutons donc pas que la question soit de nouveau débattue.

Charles Ohlgusser

[1] Le programme du séminaire est consultable à l’adresse suivante : http://www.dbfbruxelles.eu/wp-content/uploads/2014/05/PROGINSCRIPTIONDROITPENALETDROITSFONDAMENTAUX.pdf

[4] L’arrêt Dayanan précise que « Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (pour les textes de droit international pertinents en la matière, voir Salduz, précité, §§ 37-44). En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ; (lien vers l’arrêt : http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-94940#{« itemid »:[« 001-94940 »]}) ; V. aussi plus récemment l’arrêt Emilian-George Igna c. Roumanie du 26 novembre 2013, fondé sur l’article 5 de la Conv.EDH (lien vers l’arrêt http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx?i=001-138554#{%22itemid%22:[%22001-138554%22]}).

[5] Il s’agit d’une marge d’appréciation ou d’interprétation, dans laquelle la Cour tout en donnant son inclination choisi de rappeler un grand principe sans enter dans le détail. Cet exercice de pesée entre différents intérêts étatiques tend à chercher des lieux de convergences dans les divers pratiques juridiques,ou encore les acceptations morales et sociales qui guide la conduite des gouvernements ; V. en ce sens les illustrations de Laurence Burgogue-Larens, dans son article  sur« La vision critique de Françoise Tulkens » (juge européen) (lien vers l’article : http://www.univ-paris1.fr/fileadmin/IREDIES/Contributions_en_ligne/L._BURGORGUE-LARSEN/Fran%C3%A7soie_tulkens_s_hommage.LBLpdf.pdf).

[6] Lien vers la QPC du 18 novembre 2011 :

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/actualites/2011/qpc-decision-du-18-novembre-2011.103779.html ; V. également le commentaire de cette décision par le Conseil National des Barreaux :

http://cnb.avocat.fr/La-decision-du-Conseil-constitutionnel-du-18-novembre-2011-valide-plusieurs-dispositions-de-la-loi-garde-a-vue-du-14_a1180.html

[7] Dans un arrêt du 11 juillet 2012, le juge du Palais Royal, estime que  la communication tardive des autres pièces ne saurait porter « atteinte au principe d’égalité des armes, au rôle de défenseur de l’avocat ni à l’effectivité des droits de la défense garantis par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Sont donc exclus les éléments d’enquête et de preuve.

[8] Dans son arrêt du 6 novembre 2013 la Cour estime que « l’absence de communication de l’ensemble des pièces du dossier à l’avocat assistant une personne gardée à vue, à ce stade de la procédure, n’est pas de nature à priver la personne d’un droit effectif et concret à un procès équitable, dès lors que, d’une part, l’accès à ces pièces est garanti devant les juridictions d’instruction et de jugement et, d’autre part, l’article 63-4-1 du code de procédure pénale n’est pas incompatible avec l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme » (lien vers l’arrêt sur le site de la Cour de cassation : http://courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/5362_6_27718.html)

[9] Cet argument a notamment été repris par le bâtonnier Leborgne pendant son exposé.

[10] La directive emploi à ce titre le terme de « suspect » là où nous employons le terme de garé à vue, ou de mis en cause.

[11] L’accès a minima étant défendu pendant les exposés par le représentant du Secrétariat Général pour les affaires européennes David Touvet.

[12] Devant l’Assemblée nationale, le gouvernement a finalement fait voter un amendement annulant la disposition qui avait été proposé par la Commission parlementaire (lien : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1895/AN/37.pdf).

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