Mise en danger : le risque immédiat n’est pas instantané

La notion d’immédiateté n’est pas aisée à définir positivement, on la saisit surtout par ce qu’elle n’est pas. Ainsi spontanément, on dirait qu’un risque qui se réalisera dans les 30 à 40 ans après son événement déclencheur n’est pas immédiat. Et pourtant, c’est bien en ce sens qu’a récemment statué la Cour de cassation[1].

Une société a accepté un marché public de construction en sachant que le site sur lequel elle interviendra comporte des sols amiantifères. Le délégataire chargé de la sécurité a négligé un certain nombre de textes régissant l’encadrement des travaux avec cette matière, de sorte que des ouvriers et des riverains en ont inhalé des particules. Or, et on le sait depuis les scandales relatifs à l’amiante, une telle exposition entraîne un risque de développer des cancers de la plèvre et du poumon, de façon certaine, mais dans les 30 à 40 ans après.

La Cour d’appel de Bastia a condamné le responsable du chantier et la société, sur le fondement de l’article 223-1 du Code pénal, pour mise en danger d’autrui. Le texte incrimine le fait « d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort […] par la violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ». Non sans raison, les intéressés ont formé un pourvoi en cassation arguant du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Toujours sans proposer de définition de l’immédiateté, ils ont affirmé qu’elle est exclue dans le cas d’un risque qui se réalisera, le cas échéant, dans les 30 à 40 ans après la faute qui leur est imputée. La Haute juridiction approuve néanmoins les juges du fond, en insistant sur le caractère certain du risque de mort ou de blessures graves auquel ont été exposées les victimes.

La solution ne manque pas d’interpeller, mais pouvait-on statuer différemment ? « Immédiat », en effet, signifie « dépourvu d’intermédiaire ». Ainsi en l’espèce, l’inhalation de l’amiante imposée aux victimes comporte bien, en elle-même, la probabilité élevée de mourir d’un cancer : ce risque mérite donc la qualification d’immédiat. L’analyse est d’autant plus légitime que le texte d’incrimination a vocation à fonder la sanction de l’auteur d’un risque causé et non le droit à réparation des victimes. Peu importe donc que le dommage intervienne dans longtemps, ou n’intervienne pas : l’article 223-1 de Code pénal sanctionne un comportement sans conséquences matérielles. Ainsi en pratique, on retiendra que dans la mise en cause d’une personne pour risque causé à autrui, la notion de dommage subi par la victime n’a pas sa place dans les débats, le risque étant à analyser de façon autonome.

Ekaterina Berezkina

[1] Cass. Crim. 19 avril 2017 n°16-80.695, F–P+B+I

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