Mythes et réalités des études en droit

Les privatistes s’habillent-ils vraiment mieux que les publicistes ? Stoffel et Munck seraient-ils les nouveaux Aubry et Rau ?

Autant de questions existentielles que l’étudiant en droit s’est un jour déjà posé. Avec l’aide de Bruno Dondero, Professeur de droit des affaires à Paris I, Le Petit Juriste bat en brèche toute idée préconçue et s’attelle à séparer mythes et réalités des études en droit.

P. 12 Photo Bruno Dondero LPJ

Le Petit Juriste : Le droit, est-ce « tout apprendre par cœur » ?

Bruno Dondero : Absolument pas ! Apprendre par cœur c’est bien pour chanter. Donc si on se destine à une carrière de chanteur d’articles du Code (une idée jamais exploitée et c’est bien dommage), ce peut être utile. Sinon, comme le droit change tout le temps, si on apprenait systématiquement par cœur on serait ensuite obligé de « désapprendre ». Mais est-ce seulement possible ? Mon avis est clair : un professeur qui oblige ses étudiants à apprendre par cœur est un mauvais enseignant. Il y a tellement de choses à découvrir, à connaître … Si on doit s’arrêter de lire et d’apprendre pour se forcer à retenir par cœur, on perd du temps. Le seul moment où cela est utile, c’est lors d’un exposé pour se passer de ses notes. Et puis, on retient les dates des lois ou des arrêts incidemment parce qu’on travaille sur ces sources, mais nul besoin de faire un effort particulier pour apprendre par cœur, c’est à mon sens contre-productif.

LPJ : Suffit-il d’un Code bien surligné pour réussir un partiel ?

B.D. : Alors là, tout dépend de la couleur du surligneur. Bon, ça c’est la mauvaise réponse ! La bonne réponse prend plutôt la forme d’un avertissement : des enseignants vont parfois considérer que surligner, c’est annoter. De mon point de vue de professeur, et je le dis toujours en début d’année, c’est bien de pouvoir surligner car ce qui est surligné dans un Code c’est ce qu’on y a vu. Et quand on observe que le Code de commerce comporte 2750 pages, surligner certaines choses pour s’y retrouver paraît assez utile. Impossible par contre : noter « Attention cet arrêt est important ! Bien penser à souligner que … » Donc surligner peut avoir une utilité, quand ce n’est pas tricher. En fait, on interdit souvent aux étudiants de surligner pour leur éviter la tentation d’insérer en plus des éléments du cours.

LPJ : Un professeur d’amphithéâtre a-t-il déjà corrigé une copie de partiel ? (Mis à part quand il était chargé de TD).

B.D. : Eh oui, forcément ! En temps que responsable de la matière, il corrige ou revoit la correction d’un certain nombre de copies, très régulièrement. Surtout, lorsqu’il y a un problème concernant la notation d’un travail, c’est bien le professeur d’amphithéâtre qui tranche et a le dernier mot.

LPJ : Peut-on être juriste sans être austère et ennuyeux ?

B.D. : C’est sûr que le droit en tant que tel n’est généralement pas drôle. Il y a des arrêts cocasses, mais souvent un arrêt amusant ne fait pas rire tout le monde. Certains arrêts semblent divertir à l’unanimité (peut-être peut-on citer la décision du TGI de Paris du 1er juin 2011 sur l’atteinte à la vie privée d’une protagoniste de Secret Story). Mais il n’en va pas de même, pas exemple, pour l’arrêt « Junior le poney » (Cass. Crim. 4 septembre 2007, publié au bulletin) : où un homme est condamné à un an de prison avec sursis pour sévices sexuels sur « Junior », son poney. Les observateurs ont pu s’amuser de cet arrêt, mais Junior, lui, en rit-il ? Plus sérieusement, le droit en temps que tel n’est pas fait pour distraire. S’il l’était, ce serait inquiétant. Une décision très drôle cache souvent des souffrances bien réelles chez les protagonistes. Un droit drôle se ferait donc forcément aux dépens du justiciable.

En revanche, le juriste, lui, a la nécessité de prendre du recul face à cette manière ardue, complexe (et non austère !). Humaniser le droit est très important, et cela peut notamment passer par l’humour. On fera tout de même abstraction des blagues de juristes un peu fumeuses telles que « je suis comme un immeuble, complètement grevé … ».

LPJ : Les professeurs morts écrivent-ils encore dans les revues juridiques ?

B.D. : La question mérite d’être posée ! Aujourd’hui, on a parfois l’impression qu’il serait possible d’attribuer n’importe quelle idée à un professeur mort depuis longtemps sans que personne ne daigne le vérifier ! Comme désormais les savoirs circulent très vite par le biais d’Internet, on ne vérifie plus systématiquement chaque information. Dans leurs accroches de dissertation ou de commentaire d’arrêt, les étudiants en droit ont alors pu faire dire beaucoup de choses au Doyen Carbonnier…

Et puis, il est d’autant plus dur de s’assurer de la véracité des citations attribuées à tel ou tel professeur que certains n’existeraient peut-être même pas ! On peut citer le cas du professeur Max Verbier (Professeur émérite à l’Université de Montpellier 1, que l’on n’a jamais vraiment rencontré) ou celui du professeur Pascal Puig, dont certains soutiennent qu’il serait doyen de la Faculté de droit à la Réunion …

LPJ : Faut-il se fiancer à son Code Civil pour réussir la fac ? En d’autres termes, l’étudiant en droit peut-il avoir une vie sociale ?

B.D. : L’étudiant en droit DOIT avoir une vie sociale. De façon pragmatique tout d’abord : il est en train de constituer son premier réseau. Les avocats avec qui il travaillera, les juristes d’entreprise qui lui apporteront des dossiers ou les juges devant qui il plaidera … sont peut-être déjà avec lui à l’université !

Et puis, on va aussi à l’université pour profiter du groupe que constituent les étudiants, sans même parler de la probabilité de rencontrer dès l’université son futur conjoint … En fin de compte, mieux vaut se fiancer à un(e) autre étudiant(e) qu’à son Code civil !

LPJ : Que pensez-vous de cette citation : « Si je mourais et que l’on m’envoyait droit en enfer, ça me prendrait une bonne semaine pour réaliser que je ne suis plus en fac de droit » ?

B.D. : Je ne connaissais pas cette citation, mais à partir d’un certain niveau de stress, toutes les études supérieures peuvent prendre un aspect infernal, de type « travaux forcés ». En même temps, il est difficile de réussir ses études supérieures sans un certain niveau d’exigence et de pression. Après, il faut garder une certaine décontraction. Il y a une devise qui n’est pas très originale mais que je trouve assez bonne, c’est « être sérieux sans se prendre au sérieux ». Les études, ce sont des années précieuses : la jeunesse, des rencontres, des découvertes … Ajouté aux soucis matériels que rencontrent beaucoup d’étudiants tous les jours, subir des études ennuyeuses et contraignantes peut vite transformer la vie en un enfer.

La solution pour ne jamais « subir » l’université, c’est de ne pas faire du droit si on n’a pas un minimum d’intérêt pour. Mais il n’y a pas encore de moyen de « goûter » aux études de droit, à part la capacité en droit, trop peu connue, et il est difficile de savoir à l’avance si on va vraiment aimer le droit ou pas. Il faut aussi savoir prendre son mal en patience : les premières années de faculté sont difficiles, c’est vrai, mais plus on progresse, plus on comprend l’utilité d’avoir peiné sur le droit administratif ou d’avoir pris le temps de maîtriser le droit des obligations. Mais à chaque âge suffit sa peine ! Moi-même en temps que professeur, je me dis parfois que l’enfer ce sont les lois qui changent tout le temps : on n’a pas fini d’en appréhender une qu’une autre vient la modifier. Mais, et cela vaut aussi pour les étudiants, le droit est très souvent passionnant, parce qu’il nous fait voir, sous l’angle juridique, beaucoup d’aspects de la vie personnelle, familiale, économique des hommes et des femmes, et qu’il pose beaucoup de challenges intellectuels.

LPJ : Le Code du Domaine public fluvial et de la navigation intérieure a-t-il réellement des lecteurs ?

B.D. : Le fameux CDPFNI ! Un Code qui, commençant directement à l’article 38, ne comporte pas moins de 232 articles. Clairement, s’il est un Code que tout étudiant en droit se doit de connaitre par cœur, c’est bien celui-là. Plus sérieusement, il arrive que la Cour de cassation cite des Codes qui n’existent pas. Certains de ses arrêts citent ainsi un certain « Code des sociétés », mais il faut savoir que ce Code est uniquement l’œuvre d’éditeurs ayant regroupé des articles des Codes civil, de Commerce et Monétaire et financier. C’est même un avertissement qu’on donne aux étudiants en droit de troisième année : ne jamais citer le « Code des sociétés » !

LPJ : Le Livre de procédure fiscale a-t-il réellement des lecteurs consentants ?

B.D. : [Rires, mais pas de réponse.]

Propos recueillis par Delphine Sitbon.

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