Nouvel élargissement du champ d’application de l’abus de confiance en matière de construction

Dans un arrêt du 6 avril 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation a qualifié d’abus de confiance le non-accomplissement de travaux après remise de fonds pour avances.

En l’espèce, un entrepreneur chargé de la construction d’une maison individuelle s’est fait remettre des fonds en guise d’avances sur les travaux, qui n’ont jamais été effectués en raison de la situation financière du prévenu. Pour condamner ces faits au titre de l’article 314-1 du code pénal, la chambre criminelle estime que  « le caractère précaire de la remise de ces fonds découle de la nature de la convention conclue entre les parties ».
La caractérisation de l’abus de confiance suppose au préalable une remise à titre précaire de l’objet de l’abus, son auteur se voyant remettre des fonds, des valeurs ou un bien à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.  Ainsi la jurisprudence rejette classiquement la qualification d’abus de confiance, faute de précarité de la remise, pour les cas où une tâche n’est pas effectuée en dépit du versement d’avances pour leur réalisation. Tel est le cas pour un expert n’ayant pas effectué sa mission après avoir reçu des sommes à cet effet (Cass. Crim., 17 mars 1976 n° 75-90.174), ou pour un avocat n’exécutant pas son mandat après en avoir perçu des honoraires (Cass. Crim., 26 janvier 2005, n° 04-81497), ces deux hypothèses entrainant un transfert de propriété exclusif de l’abus de confiance, le bénéficiaire ayant la libre disposition des fonds, ce qui exclut tout détournement de ceux-ci.
Dans les contrats de construction de maison individuelle, les fonds remis au constructeur à titre d’avance constituent des acomptes sur le prix et sont ainsi remis en pleine propriété. La précarité de la remise semble dès lors également faire défaut, ce qui devrait contraindre à l’exclusion de l’abus de confiance.

Pourtant, cela n’empêche pas la chambre criminelle de condamner des constructeurs sur le fondement de l’article 314-1 du code pénal, comme elle l’a fait dans une espèce similaire, dans laquelle des avances avaient été versées à un entrepreneur au titre de travaux inexécutés. Toutefois, ces avances avaient préalablement été qualifiées d’illégales au regard du Code de la construction et de l’habitation, qui plafonne leur montant, illégalité sur laquelle se fondait la chambre criminelle pour établir la précarité de la remise, dès lors dépourvue de fondement (Crim., 24 fév. 2010 – n° 08-87.806).
En l’espèce, un pas de plus est franchi en faveur de l’élargissement du champ d’application de l’abus de confiance en matière de construction. L’illégalité de la remise au regard des dispositions du code de l’urbanisme n’était pas soulevée, et la chambre criminelle décide pourtant de condamner le constructeur pour abus de confiance. Alors que la constitution de la condition préalable de remise précaire laisse dubitatif, la Cour se contente de motifs évasifs, affirmant que la précarité « découlait de la nature de la convention en cause ».
Par cet arrêt, la chambre criminelle élargit à nouveau les hypothèses d’abus de confiance, s’éloignant un peu plus de la lettre de l’article 314-1 du code pénal, au détriment du principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

Chloé DEBERG

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