Le paquet neutre : une atteinte justifiée au droit des marques et aux libertés fondamentales ?

Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) encourageait depuis plusieurs années les États à adopter le paquet de cigarettes neutre, la loi du 17 décembre 2015 a inséré dans le Code de la santé publique une disposition[1] prévoyant sa mise en circulation pour le 20 mai 2016. Malgré l’objectif de santé publique de cette mesure qui vise à rendre les paquets moins attractifs, celle-ci porterait atteinte au droit des marques et à la liberté d’entreprendre.

 

L’atteinte portée par le paquet neutre au droit des marques et à la liberté d’entreprendre

Une marque se définit comme « un signe susceptible de représentation graphique, servant à distinguer les produits […] d’une personne physique ou morale »[2]. Ce droit de propriété intellectuelle permet à son titulaire d’apposer son signe sur les produits ou services qu’il a désignés dans l’enregistrement afin de les distinguer de ceux proposés par ses concurrents.

Les fabricants ont tenté de donner à leurs paquets une certaine attractivité, d’autant plus qu’il leur est interdit d’en faire toute publicité, directe ou indirecte, depuis la loi Evin[3]. Une marque permet de fidéliser la clientèle, ce qui est particulièrement vrai pour les paquets de cigarettes qui sont devenus des outils de communication créant, à l’égard des acheteurs, de véritables habitudes de consommation. Cette mesure porte ainsi atteinte à la marque dans sa fonction de distinction et de promotion car on y retire de nombreux éléments distinctifs (logos, signes figuratifs, couleurs) protégés par la propriété industrielle. Un groupe de parlementaires a ainsi décidé de saisir le Conseil constitutionnel pour violation du droit de propriété intellectuelle par le paquet neutre.

Cette nouvelle mesure freine également la commercialisation des paquets de cigarettes et porte ainsi atteinte à la liberté d’entreprendre. Par ailleurs, cette règlementation remet aussi en question le respect du principe de libre circulation de marchandises au sein de l’Union européenne.

 

Une atteinte au droit des marques et à la liberté d’entreprendre justifiée par un objectif de santé publique

L’évolution de la conception de la propriété, consacrée comme un droit fondamental par l’article 17 de la Déclaration de 1789, a permis de reconnaître une protection constitutionnelle à la propriété intellectuelle.

Dans une décision rendue le 21 janvier 2016[4], le Conseil constitutionnel a jugé la mesure introduisant le paquet neutre conforme à la Constitution. Il a d’abord estimé que cette mesure ne constituait pas une privation de propriété au sens de l’article 17. Bien que ce droit soit « strictement encadré », en imposant une typographie, une police et une taille aux marques des fabricants, celles-ci peuvent toujours être utilisées et demeurent un droit opposable. Le consommateur sera, lui, toujours capable d’identifier l’appartenance du paquet à telle ou telle marque. Ensuite, au regard de l’article 2 de la Déclaration, les Sages ont estimé que le retrait d’un signe, qui est une forme de publicité susceptible de favoriser la consommation d’un produit ayant des effets nocifs sur la santé, trouve la même justification. Ils ajoutent à cela qu’aucune atteinte disproportionnée n’est portée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre puisqu’on n’empêche pas de produire ou de commercialiser les produits.

Avec l’imposition de règles strictes concernant l’apposition du nom de marque et l’interdiction d’apposer d’autres signes distinctifs qui contribueraient à la promotion du tabac, on peut considérer que le paquet neutre porte atteinte aux libertés fondamentales dans une certaine mesure qui, au regard des objectifs de santé publique poursuivis, nous semble justifiée.

 

Maxence REGNOUF DE VAINS

 

Pour en savoir plus 

Site Lesechos.fr – article du 10/12/2015 – « Le paquet de cigarettes neutre et les atteintes aux principes constitutionnels », Thomas PEZ.

Prop. Indus. no 4, Avril 2016 ; « Paquet neutre et propriété intellectuelle », Nicolas BINCTIN.

 

[1] Article L. 3511-6-1 du code de la santé publique

[2] Article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle

[3] Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme

[4] Décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016

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