Participer à Koh-Lanta : un jeu ou un travail ?


Participer à Koh-Lanta vous fait rêver depuis longtemps ? Sachez-le, avaler des scarabées à longueur de journée et construire des cabanes en feuilles de bananier n’est pas de tout repos.

En outre, selon la récente jurisprudence de la cour de cassation, vous ne serez pas là pour vous amuser, mais bel et bien pour travailler ! En effet, le participant au jeu est lié à la société productrice par un contrat de travail.


 

Par un arrêt du 25 juin 2013 [1], la Cour de cassation a considéré qu’une candidate ayant participé au célèbre jeu de TF1 était liée à la société de production par un contrat de travail. Elle requalifie ainsi le « contrat de jeu » qui liait les participants à la production en « contrat de travail », en rejetant la qualification donnée au contrat par les parties (I) et en caractérisant l’existence d’un lien de subordination entre elles (II).

 

I – Le refus de la Cour de reconnaître l’existence d’un « contrat de jeu »

 

La juridiction prud’homale avait été saisie d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail par une candidate de l’émission Koh-Lanta. La société productrice de l’émission a alors soulevé une exception d’incompétence, arguant que la juridiction prud’homale n’était pas compétente pour connaître de la relation contractuelle, dans la mesure où cette relation était constituée par un « règlement candidats » signé par la candidate et définissant les règles du jeu, et non pas par un contrat de travail.

La société productrice, refusant la qualification de contrat de travail, faisait valoir une série d’informations visant à prouver qu’il s’agissait bien d’un jeu, auquel le candidat participait librement, tout en restant susceptible de gagner comme de perdre face à d’autres candidats, de manière aléatoire.

Elle relève de plus que la qualification du contrat doit être déterminée par l’obligation essentielle de ce dernier. En l’espèce, la prestation essentielle du candidat était, selon elle, la participation au jeu.

Pourtant, la Cour de cassation rejette ces arguments, en relevant que le jeu, s’il constitue bien l’une des obligations des participants, n’est pas leur seule obligation. Ces derniers doivent également participer à des scènes de tournage d’interviews sur leur ressenti, de portraits visant à les présenter aux téléspectateurs, de scènes documentaires dans lesquels ils pouvaient apparaitre (préparation de plats cuisinés locaux, découverte d’un volcan en activité…), ou encore de « conseils » au cours desquels ils étaient amenés à voter pour éliminer l’un d’entre eux.

Après avoir rejeté la qualification du contrat donné par les parties, la Cour de cassation démontre que celles-ci sont bien liées par un contrat de travail, du fait d’un lien de subordination existant entre le participant à l’émission et la société de production.

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II – La requalification du contrat en contrat de travail par la reconnaissance de la subordination des candidats à la société de production

 

Le contrat de travail peut être défini comme la « convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération. » (G. Lyon-Caen)[2]

En l’espèce, c’est la notion de subordination qui posait problème : la société de production contestait la reconnaissance par la Cour d’appel de la subordination des candidats à celle-ci.

Pour soutenir sa thèse, la société faisait valoir que les candidats restaient totalement libres de leurs comportements, puisqu’ils étaient filmés dans le simple déroulement de leur vie quotidienne, le tout étant tourné en une seule prise.

Pourtant, la Cour de cassation rejette cette interprétation pour confirmer celle de la Cour d’appel : les candidats sont bien sous la subordination de la société de production.

En effet, elle constate notamment que le candidat pouvait être sanctionné par la production en cas de manquement au « règlement candidats » (sanction pouvant aller jusqu’à l’élimination du jeu), et qu’il s’engageait à participer au jeu « pendant toute la durée où sa présence serait nécessaire à la production ».

En d’autres termes, les candidats n’étaient pas simplement filmés dans le déroulement de leur vie quotidienne, ils participaient activement à la réalisation de l’émission, en se soumettant pour cela à des activités imposées.

Cet arrêt n’est pas sans rappeler les jurisprudences « Île de la tentation », qui s’étaient déjà posé la question du statut éventuel d’artistes-interprètes des participants[3]. Ce statut leur avait été refusé, mais la Cour avait requalifié le contrat qui les unissait à la production en contrat de travail.

Cette solution ayant déjà appliquée à « L’île de la tentation », il était prévisible qu’elle soit appliquée à la plupart des jeux de téléréalité. Cependant, le doute était permis, en raison de la diversité des programmes de téléréalité proposés par les sociétés de production et de leur contenu.

La Cour apporte ici la confirmation d’une possible généralisation de cette solution en appliquant pour la première fois cette décision à propos du jeu Koh-Lanta.

On peut enfin souligner que cette jurisprudence ouvre la porte à des problématiques nouvelles découlant de la qualification de contrat de travail, et pose notamment la question des accidents subis par les participants au jeu, et de leur éventuel recours contre l’employeur fautif.

 

Clémence Zunino


[1] Cass. Soc., 25 juin 2013, n° 12-17.660

[2] B. Hess-Fallon, A-M. Simon, S. Maillard, Droit du travail, Aide-Mémoire Sirey, 2013, 23ème édition

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