Police, Justice, Médias

Police, Justice, Médias : entre secrets professionnels, secret de l’instruction, liberté d’expression et autres grands principes de notre droit, un équilibre doit être trouvé. Ces trois composantes de la démocratie se sont confrontées, voire affrontées, à la maison France-Amériques le 12 mai 2014.

La tribune est composée de spécialistes praticiens dans chaque domaine concerné : le Commandant Mohamed Douhane (secrétaire national du syndicat Synergie police officiers), Mme Sylvia Zimmermann (doyen des juges d’instruction du TGI de Paris), Me Christophe Ayela et Francis Szpiner (avocats au Barreau de Paris), M. Michel Deléan (journaliste à Médiapart) et Mmes Hélène Leconte (journaliste à LCI) et Dominique Simonnot (journaliste au Canard enchaîné) ont débattu sous la présidence de M. Jean-Claude Kross (avocat général honoraire).

Dans la société de l’immédiat, le constat suivant fait l’unanimité : le temps de la police et de la justice est aux antipodes du temps médiatique. Les intervenants se sont donc interrogés sur le traitement médiatique des affaires judiciaires dans toutes les phases de la procédure. Les réflexions apportées ont pu montrer que les points de vues divergent beaucoup.

 

1. Le point de vue de la police

Les relations entre police et médias n’a jamais été simple, ni cordiale.

Cela est dû, selon le Commandant Douhane, aux obligations auxquelles sont soumises les forces de l’ordre : secret professionnel, obligation de réserve et secret de l’instruction. Ces trois limites à la liberté d’expression des policiers sont sanctionnées par le Code pénal et le code de la déontologie.

Sur le terrain, le journaliste est perçu par les enquêteurs comme une difficulté à prendre en compte, notamment sur les scènes de crime. Par exemple, l’affaire Grégory a souffert du manque de délicatesse des journalistes qui, arrivés sur les lieux des faits avant les autorités, piétinaient les indices potentiels.

Pour le Commandant Dahoune, les fuites viendraient des cabinets d’instruction. Toutefois, il ne nie pas que certaines informations transpirent des commissariats. Il note que les pressions subies sont quotidiennes pour les grosses affaires. Ces fuites seraient motivées soit par des liens d’amitiés entre policiers et journalistes, soit par la volonté d’un haut fonctionnaire de servir sa carrière ou de redresser l’image de son service.

Ce sont globalement les mêmes raisons que pour les magistrats, les avocats, etc.

2. Le point de vue de la justice

2.1 Les magistrats

« Le secret de l’instruction est, par définition, le secret le bien moins gardé de France. On ne sait pas par qui, mais tout se sait », commence Mme Zimmermann.

Les sources ? C’est à la fois tout le monde et personne.

Les juges d’instruction ne sont pas les seuls à avoir accès au dossier de procédure : il y a ceux qui sont tenus au secret (magistrats, avocats, forces de l’ordre, interprètes, experts, etc.) et les parties au procès qui ne sont pas des parties « objectives ». Cette dernière catégorie composée, entre autres, des parties civiles n’est pas tenue au secret et ne peut voir ce dernier lui être opposé. Seuls les tiers (que sont, par exemple, les journalistes) ne sont pas tenus au secret mais on doit, en principe, leur opposer ce dernier.

Ainsi, il y a pléthore de situations possibles pour que des informations couvertes par le secret de l’instruction se retrouvent dans la presse.

On évoquera cette anecdote relatée par Mme Zimmermann qui, ayant mis en examen une personne ayant fait des pieds et des mains pour que cela se passe discrètement, la croise à la sortie de son cabinet en train d’annoncer au téléphone l’évènement à la presse… Les fuites sont parfois là où on ne les attend pas.

De plus, il y a un déséquilibre certain entre les devoirs imposés aux magistrats et la liberté accordée aux autres parties. Alors qu’un juge ne pourra donner à la presse que des éléments objectifs et des propos ne créant aucune polémique –ce qui n’est pas aguichant-, le prévenu ou la partie civile ont une marge de manœuvre qui leur permet de glisser vers plus d’émotions –ce qui est plus vendeur.

La relation justice/médias est le lieu de la confrontation entre deux groupes d’intérêts à préserver : d’une part, la liberté d’expression et le droit à l’information, et, d’autre part, le secret de l’instruction permettant l’efficacité des enquêtes et le respect de la présomption d’innocence.

Pour autant, cette confrontation n’est pas systématiquement stérile pour la Justice. En effet, lorsque les médias prennent la justice de vitesse, c’est parfois pour le pire, mais parfois pour le meilleur. Ainsi en est-il lorsque le travail d’investigation de la presse permet de faire émerger ou avancer des affaires. La Justice elle-même sollicite la presse à diverses occasions : transmission d’un portrait-robot, opérations alerte-enlèvement.

Quelles solutions ?

a- Supprimer le secret de l’instruction ? Impossible. Imaginons simplement que l’auteur d’une infraction soit arrêté mais que ses complices soient en fuite : l’absence de secret de l’instruction enlèverait tout espoir de retrouver les complices.

b- Reculer au maximum le moment où la personne suspecte est mise en examen, laquelle aurait pour effet de rendre publique la procédure. Mais, in fine, on en reviendrait au secret de l’instruction absolu puisque ladite mise en examen n’interviendrait qu’au moment où l’on est certain de la culpabilité de la personne concernée.

Ainsi est-il plus simplement nécessaire de trouver un équilibre.

2.2 Les avocats

Me Szpiner se rappelle être parvenu, jeune, à faire muter, par des pressions médiatiques, un magistrat indélicat qui jugeait des flagrants délits.

Les journaux sont bien des outils de pression dans ce combat qu’est la Justice.

Mais, il faut faire attention : dans la société de l’immédiat, les dommages causés peuvent être irrémédiables. Le garde-fou que constitue le droit de réponse est presque un leurre : complexe à mettre en œuvre dans certains médias (par exemple, à la télévision) et inefficace lorsqu’il est appliqué dans d’autres (par exemple, petits encarts suite à un article en Une).

Alors, c’est aux journalistes de faire très attention. D’ailleurs, que risquent-ils, s’interroge Me Szpiner ? Au mieux, une amende pour complicité (pas de peines de prison pour les délits de presse). L’auteur de l’infraction aux yeux de la loi étant l’employeur, le licenciement n’est pas sérieusement envisageable. En cas de récidive ? Pas de peine plancher.

Le journalisme est une profession qui permet l’impunité : « l’amnésie et l’amnistie permanente ».

3. Le point de vue des journalistes

3.1 Le secret des sources

Pour M. Deléan, le secret des sources demeure tout ce qu’il reste aux journalistes pour assurer leur mission de contre-pouvoir, « maigre » garde-fou. Les journalistes effectuent, en effet, une mission de service public.

Or, si le secret des sources venait à disparaître tout en maintenant le secret de l’instruction, il n’y aurait simplement plus de sources et donc, plus d’information. Les magistrats rencontrent des difficultés similaires avec le secret-défense dans les dossiers terroristes. Même combat : les businessmen voudraient introduire en droit la notion de secret des affaires pour protéger la matière première de leur travail.

Chacun se bat pour obtenir ou maintenir un privilège lié à l’information dans son domaine.

Mais, quelles sont ces sources pour les journalistes ? Il s’agit de lanceurs d’alerte, de citoyens, mais aussi de policiers, de magistrats, de mis en cause, d’avocats, de témoins, de fonctionnaires, d’hommes politiques, etc.

Semble-t-il, les ingérences des médias dans le travail de la police ou de la justice n’ont pas eu pour effet de porter atteinte au bon déroulement d’une procédure. Les révélations qui sont faites sont sélectionnées lorsqu’elles ont un intérêt pour le public.

Il faut, à juste titre, tempérer cette idée que la presse manipule la justice : ce ne sont pas les journalistes qui mettent en examen ou renvoient les justiciables devant les tribunaux. Ce sont des magistrats impartiaux.

Et, le traitement judiciaire des affaires laisse le temps d’oublier, du moins d’apaiser l’émoi qui peut saisir l’opinion à un moment T.

3.2 Le temps médiatique à la TV

Les temps de la police, de la justice et des médias ne sont pas les mêmes. Symptomatique de ce phénomène, la télévision entretient une relation de haine et d’amour avec la Justice.

D’abord, l’obstacle est technique : il faut des images et la Justice n’aime pas être photographiée, encore moins filmée. Les chaînes d’informations en continue permettent plus de souplesse à ce niveau.

Ensuite, la difficulté tient au format de l’information, notamment la place qui lui est accordée. Alors que la chronique judiciaire trouve encore beaucoup d’espace réservé dans la presse écrite, c’est un temps de l’ordre des 90 secondes qui est accordé au chroniqueur télévisuel.

Enfin et surtout, le choix médiatique n’est jamais simple : la télévision suppose plus d’émotion brute que l’écrit travaillé. Or, toutes les affaires ne font pas fondre en larme la population. Les procès les plus intéressants sont parfois purement juridiques, techniques.

La télévision n’en veut pas.

Antonin Péchard

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