Projet de loi de finances pour 2017 : menace sur l’attribution gratuite d’actions

A l’inauguration, ce jeudi 3 novembre 2016, du guichet unique « Choose Paris Region », le Premier ministre a appelé la majorité parlementaire à garantir « la stabilité fiscale » dans le cadre de la rédaction du projet de loi de finances pour 2017. Ce projet vise, dans le sillage du Brexit, à capter les capitaux étrangers et favoriser l’implantation de sociétés britanniques.

A l’occasion de cette inauguration, Valérie Pécresse, président de la région Ile-de-France,
a, explicitement, fustigé le durcissement des conditions d’attribution gratuite d’actions proposé par la Commission de l’Assemblée nationale chargée de l’examen du projet de loi.

I : La Loi Macron : la revitalisation d’un dispositif coercitif et désuet

La loi du 6 août 2015 pour l’activité, la croissance et l’égalité des chances économiques (dite « Loi Macron ») est venu assouplir le dispositif d’attribution d’actions gratuites aux salariés[1] dans ses aspects fiscaux et sociaux.

Applicables aux actions gratuites dont la distribution fût décidée par l’assemblée générale extraordinaire des associés postérieurement à la promulgation de la loi Macron, ce dispositif fiscal, d’inspiration anglo-saxonne, constitue un outil de rémunération et de fidélisation au bénéfice des salariés et dirigeants à l’exclusion des administrateurs et des membres du conseil de surveillance.

A noter que les bénéficiaires ne peuvent détenir plus de 10% du capital, avant comme après l’attribution. Cette interdiction a permis de déterminer la cible de cette réforme soit le salariat et l’actionnariat minoritaire.

S’agissant des charges sociales, la contribution salariale de 10% est supprimée pour le gain d’acquisition des actions gratuites. De même, le taux de contribution patronale est abaissé de 30% à 20% de la valeur d’acquisition des actions tandis que les sociétés répondant à la définition communautaire de PME[2], n’ayant pas distribué de dividendes depuis leur création, sont exonérées.

L’exigibilité des cotisations patronales est reportée du mois suivant la décision en assemblée au mois suivant la date d’acquisition des actions par le bénéficiaire.

Le gain d’acquisition, soit la valeur des titres à la date d’attribution était soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu du bénéficiaire dans la catégorie des plus-values mobilières après application d’un abattement pour durée de détention[3].

Plus encore, la plus-value résultant d’une éventuelle cession des actions était soumise à la même fiscalité que le gain d’acquisition.

Le bénéficiaire de l’attribution d’actions gratuites devenait, dès lors, propriétaire entier des actions au terme d’une période d’acquisition de deux années à compter de la décision collective des associés.

Il est apparu que cette attribution d’actions gratuites constituait une solution alternative aux options de souscription ou d’achat d’actions[4] (stock-options). En sus d’un régime social nettement plus avantageux, l’attribution d’actions gratuites constituait une véritable manne même en cas de chute de l’action depuis l’attribution contrairement aux stock-options constituant un gain pour le bénéficiaire à la condition que le cours de l’action excède le prix initialement prévu pour la levée d’option.

Il convient d’appréhender ce dispositif en le couplant aux avancées législatives introduites par la loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié. Celle-ci a notamment prévu la déductibilité des charges exposées du fait de l’attribution gratuite d’actions du résultat fiscal de la société[5].

Le courant législatif tendant à favoriser l’actionnariat salarié constitue une source viable de capitaux et une politique de fidélisation des talents de l’entreprise. De plus, l’émission de titres sociaux au salariat, couplée à la période d’acquisition minimale, permet d’assurer une présence pérenne des capitaux propres pour l’entreprise.

Ce dispositif constitue une solution de financement avantageuse pour les entreprises rechignant à ouvrir leur capital à des organismes de placement (OPCVM, fonds de pension américains …) ou à opter pour une capitalisation boursière.

II : La refondation du régime : un risque d’instabilité fiscale

Alors que le dernier décret d’application de la loi du 6 août 2015 pour l’activité, la croissance et l’égalité des chances économiques ne fût publié qu’en août 2016[6], l’amendement du député PS Romain Colas, voté par la Commission, projette une large refonte du régime introduit par l’article 135 de ladite loi Macron.

En ce sens, l’amendement se caractérise par deux mesures majeures susceptibles de réduire l’attractivité et le champ d’application dispositif :

  • L’assujettissement du gain d’acquisition à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires,
  • Le rehaussement de la cotisation patronale à 30%.

Cette nouvelle fiscalité des gains d’acquisition des actions gratuites évincerait, du bénéfice du salarié ou du dirigeant, les abattements pour durée de détention. Dès lors, ces actions deviendraient un véritable complément de rémunération soumis à une fiscalité plus désavantageuse.

Le rehaussement de la cotisation patronale doit être contrebalancé par le maintien de l’exonération au profit des PME ne distribuant pas de dividendes depuis leur création. Cette dérogation est au bénéfice des startups souhaitant pérenniser certains contrats de travail ou rémunérer les salariés compétents par une voie induisant un moindre coût social et fiscal. A noter qu’un amendement proposé par le député Pascal Cherki, refusé par la Commission parlementaire, prévoyait un rehaussement au taux de 50%.

L’argument défendu par les parlementaires pro-taxation se fonde sur les dérives du mécanisme.
En effet, de nombreux dirigeants des sociétés cotées au CAC 40 ont perçu des actions gratuites dites « de performance ». L’exemple des émoluments, au titre de l’année 2015, de Carlos Ghosn composés à 58% d’actions gratuites (4,2 millions d’euros) fût édifiant car largement médiatisé.

Il est nécessaire de mettre en perspective ce phénomène de dérive avec l’impact de la niche fiscale sur le salariat. Ainsi, près de 10 000 salariés du groupe Total, 5 000 salariés du groupe Sanofi et 6 000 salariés du groupe Société Générale bénéficient de l’attribution d’actions gratuites[7].

Comme le soulignait Michel Sapin, Ministre de l’Economie et des Finances, l’aménagement du dispositif fiscal apparaît prématuré en ce que les conséquences appréhendées demeurent de court terme. En effet, il est difficile d’analyser la politique d’attractivité et de fidélisation des talents de l’entreprise, objectif majeur du mécanisme, sur une période aussi restreinte. Notons que les premiers plans d’attribution d’actions gratuites ont été décidés lors des assemblées générales de 2016.

Il est approprié de rappeler le rehaussement, inscrit dans le projet de loi de finances pour 2017, de la taxe sur les transactions financières (cessions d’actions de sociétés cotées) de 0,2% à 0,3%. Dans ce contexte influencé par le Brexit, la place financière de Paris perdra, vraisemblablement, de son attractivité au profit de Francfort et Dublin.

Pierre Rougemond

Pour en savoir plus

http://www.efl.fr/actualites/fiscal/impot-sur-le-revenu/details.html?ref=ui-97f3c2a7-5e86-4cfc-a0eb-aa02e5044b30

ACCUEIL > Rubrique « AU COEUR DU DROIT » > Rubrique « FISCAL » > Rubrique « IMPOT SUR LE REVENU » > Article « La loi Macron relance les attributions gratuites d’actions »

http://www.agefiactifs.com/hommes-et-metiers/article/ne-touchons-pas-au-regime-des-actions-gratuites-75282

ACCUEIL > ACTUALITES  > « Ne touchons pas au régime des actions gratuites »

http://www.agefiactifs.com/hommes-et-metiers/article/couacs-et-coassements-75365

ACCUEIL > ACTUALITES  > « Couacs et coassements »

[1] Articles L. 225-197-1 et suivants du Code de commerce

[2] Annexe I au règlement (CE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité (RGEC)

[3] Article 150-0 D du Code général des impôts

[4] Articles L. 225-177 et suivants du Code de commerce

[5] Article 217 quinquies du Code général des impôts

[6] Echéancier – Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques

[7] Articles du site Agefiactifs dans la rubrique « Pour en savoir plus »

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