Quel avenir pour les droits du conjoint survivant ?

À l’aube des 20 ans de la loi du 3 décembre 2001, portant notamment sur les droits du conjoint survivant, il convient d’apprécier le succès de cette réforme mais aussi les perspectives d’évolution proposées par le rapport du groupe de travail portant sur la réserve héréditaire en date 13 décembre 2019.

Aujourd’hui, le conjoint survivant succédant ab intestat a des droits renforcés dans la succession à concurrence des autres héritiers dont les modalités varient selon que les héritiers en concours soient des enfants issus ou pas du même lit (1). En outre, le conjoint survivant a des droits au logement voire droit à une pension alimentaire.

Antérieurement à la loi du 3 décembre 2001, les droits du conjoint survivant ab intestat étaient très marginaux, ce dernier ne pouvait recueillir qu’un quart en usufruit en présence d’enfant du même lit ou un demi en pleine propriété en cas de concours avec un enfant adultérin (2). Par ailleurs, en absence d’enfant, le conjoint survivant en concours avec les parents du défunt a vu ses droits nettement revalorisés passant du droit à un demi de la succession en usufruit à un demi en pleine propriété. Ces droits étant majorés en l’absence d’un père ou d’une mère pour atteindre les trois quarts en pleine propriété.

Par analogie, les droits du conjoint survivant jadis en usufruit pour un demi ont été revalorisés lorsque ce dernier est en concours avec des frères et sœurs du défunt en absence de père et mère. Le conjoint survivant ayant alors droit à la totalité de la succession en pleine propriété, sauf droits de retour. 

Cependant, malgré une nette amélioration de la situation du conjoint survivant, le rapport du groupe de travail portant la réserve héréditaire estime qu’il faut accroître les droits du conjoint survivant. Cette revalorisation porterait plus particulièrement sur les droits au logement dont le corollaire serait la perte de la qualité d’héritier réservataire lorsque le conjoint survivant à cette qualité.

Vers une protection accrue des droits portant sur le logement du conjoint survivant. 

Afin de maintenir le cade de vie du conjoint survivant, le législateur a prévu en 2001 un droit temporaire au logement et un droit viager au logement. L’article 763 du Code civil pose le principe du droit temporaire au logement pendant un an à compter de l’ouverture de la succession. Le conjoint survivant a droit à la jouissance gratuite du logement sur la résidence principale et le mobilier qui garnit ce logement dès lors que le bien appartient aux époux ou dépend de la succession.  Dans l’hypothèse où l’habitation est assurée par un bail, la succession remboursera les 12 mois de loyer et si c’est un bien en indivision l’indemnité d’occupation sera acquittée par la succession. 

Ce droit est d’ordre public de sorte que le défunt ne peut pas priver son conjoint de ce droit. Or le groupe de travail ayant remis un rapport à la garde des Sceaux sur la réserve héréditaire (3) pense que ce droit est perfectible. 

 

D’une part, si les époux sont tenus à la cogestion de l’article 215 alinéa 3 du Code civil concernant le logement de la famille et les meubles meublants, il n’en demeure pas moins la possibilité pour l’époux propriétaire d’avoir la faculté de disposer de ses propres biens à causes de mort (4). Cependant le droit temporaire devra être respecté pendant un an indépendamment des testaments réalisés par l’époux décédé.

D’autre part, le rapport explique que le droit temporaire au logement est un droit impératif mais qui connaît cependant un « angle mort » (5). Lorsque l’époux prédécédé a disposé du logement avec une réserve d’usufruit sans avoir fait une clause de réversion d’usufruit au profit de son conjoint. Ayant disposé du logement, le bien ne se retrouve plus dans l’actif de la succession, c’est le nu-propriétaire qui devient immédiatement propriétaire du bien au décès du conjoint disposant. 

Ce schéma semble donc être une faille, puisque la Cour de cassation dans son arrêt du 22 mai 2019 énonce que l’article 215 alinéa 3 « procède de l’obligation de communauté de vie d’époux, ne protège le logement familial que pendant le mariage » (6). Le principe de cogestion semble donc inopérant. Dans cette hypothèse, le conjoint pourrait donc être privé du droit temporaire au logement.

Considérant cette possibilité, le groupe de travail a formulé une proposition législative (7) visant à assurer le droit temporaire au logement du conjoint survivant, indépendamment des dispositions prises par le conjoint prédécédé qui n’a pas stipulé de clause de réversion d’usufruit au profit du conjoint survivant.

Le second droit au logement est le droit viager au logement qui n’est finalement que le relais du droit temporaire au logement. L’article 764 du Code civil dispose en effet que le conjoint survivant qui hérite en propriété a un droit viager d’usage et d’occupation sur la résidence d’habitation principale qui appartient aux deux époux ou qui dépend totalement de la succession.  

Mais, à la différence du droit temporaire, le défunt peut priver le conjoint survivant de ce droit dans l’hypothèse où il exprime explicitement sa volonté dans un testament authentique.  Cependant, comme le souligne le Rapport sur la réserve héréditaire, la question se pose de savoir s’il est possible de priver le conjoint survivant de son droit viager au logement alors même que la résidence appartient aux deux époux. Face à cette imprécision du législateur, le groupe de travail plaide pour que le défunt ne puisse priver le conjoint survivant de son droit viager au logement que dans l’hypothèse où c’est un bien personnel ou propre mais pas lorsque le bien appartient aux deux époux (8).

Vers une remise en cause de la réserve héréditaire du conjoint survivant.

Depuis la loi du 3 décembre 2001, le conjoint survivant a la qualité héritier réservataire. Mais attention, c’est un héritier réservataire subsidiaire. En principe, ce sont les descendants en ligne directe qui ont la qualité d’héritier réservataire (9). Mais en leur absence, c’est le conjoint survivant qui acquiert cette qualité (10), et ce même en cas de séparation de corps, depuis la loi du 23 juin 2006. La loi lui réserve alors un quart de la succession en pleine propriété (10).

Cependant « une majorité du groupe de travail » (11) estime qu’attribuer cette qualité au conjoint survivant est « une erreur qu’il convient de réparer aujourd’hui en proposant au législateur de la supprimer » (11). Ce qui ressort du rapport c’est un constat, celui que le mariage est un lien juridique qui peut se rompre par le divorce. L’analogie n’est donc pas permise avec les descendants qui ont la qualité d’héritier réservataire mais dont le lien de filiation est « juridiquement indissoluble » (12). 

Il ressort des conclusions du rapport s’agissant de la réserve héréditaire du conjoint survivant que son fondement semble fragile. Il est par ailleurs énoncé que les mécanismes existant à l’instar des régimes matrimoniaux, des libéralités entre époux ou encore des gains de survies comme la pension de réversion, sont autant d’instruments plus efficaces pour assurer la protection du conjoint survivant que la réserve héréditaire. Ainsi, sa suppression est proposée (13).

Par ailleurs, à défaut de la suppression de la réserve héréditaire du conjoint survivant, il est proposé par le groupe de travail de « tenir compte du relâchement avéré du lien conjugal » (14). Dans l’hypothèse d’une séparation de corps, les époux ne sont pas considérés comme divorcés, le conjoint survivant peut donc avoir la qualité d’héritier réservataire. Il est donc proposé de « priver le conjoint séparé de corps de sa réserve héréditaire » (15).

Arnaud Stevens, en M2 ingénierie patrimoniale à l’université de Tours

(1) L’article 757 du Code civil pose le principe que le conjoint survivant peut, lorsqu’il est en concours avec des enfants issus de son union avec le défunt, opter soit pour un quart en pleine propriété soit la totalité de l’usufruit. Il perd l’option en présence des enfants non communs, il a alors droit à un quart en pleine propriété en concurrence des héritiers qui sont en concours avec lui. 

(2) La qualification d’enfant adultérin a disparu avec la réforme du 3 décembre 2001. Il n’est plus fait de distinction selon l’état des personnes, article 733 du Code civil.

(3) Rapport du groupe de travail « La réserve héréditaire » sous la direction de Cécile Pérès Professeur de droit privé à l’Université Panthéon-Assas et Philippe Potentier, Notaire à Louviers et Président du 108ème Congrès des notaires de France. Le rapport fut remis à Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice le 13 décembre 2019.

(4) Première Chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 octobre 1974, n°73-12402.

(5) Expression énoncée dans le rapport du groupe de travail « La réserve héréditaire », page 134.

(6) Numéro de pourvoi 18-16666

(7) Proposition numéro 12 du Rapport sur la réserve héréditaire, 13 décembre 2019.

(8) Proposition numéro 8 du Rapport sur la réserve héréditaire, 13 décembre 2019.

(9) Article 913-1 du Code civil.

(10) Article 914-1 du Code civil.

(11) Rapport sur la réserve héréditaire, page 128 §1, 13 décembre 2019.

(12) Rapport sur la réserve héréditaire en date du 13 décembre 2019, page 93.

(13) Proposition numéro 11 du Rapport sur la réserve héréditaire, 13 décembre 2019.

(14) Rapport sur la réserve héréditaire en date du 13 décembre 2019, page 131.

(15) Proposition numéro 11 bis du Rapport sur la réserve héréditaire, 13 décembre 2019.

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