Quel droit pour les îles du Pacifique?

Les manuels de droit comparé nous laissent penser qu’en plus d’être d’excellents juristes, les comparatistes sont de fins géographes qui ne laissent aucune partie du monde échapper à leur expertise. Cependant, nulle trace des Iles Fidji, de Nauru, du Palau ou encore des Samoa.

Cette lacune s’explique avant tout par des raisons scientifiques liées au peu d’informations relatives au droit en vigueur dans les Etats insulaires du Pacifique. Nonobstant ces difficultés encore bien réelles, le droit des Etats insulaires du Pacifique constitue pourtant un terrain de réflexion unique pour le comparatiste moderne mais aussi pour le nostalgique de la taxinomie Common Law-Droit civil en raison de l’influence coloniale britannique ainsi que française. Envisager le droit des Etats insulaires du Pacifique constitue une opportunité d’apprécier l’héritage juridique de la colonisation dans ces Etats et plus particulièrement l’influence des droits occidentaux dans la construction d’un Etat de droit. En particulier, le Vanuatu se fait l’exemple de ces multiples influences juridiques mais il nous invite également à envisager les enjeux juridiques communs aux Etats insulaires du Pacifique.

L’héritage juridique de la colonisation

L’influence des droits occidentaux dans les Etats insulaires du Pacifique a pu se manifester à deux reprises. Tout d’abord, la colonisation elle-même fut un agent de transmission du droit dans ces Etats. Les colons ont en effet très vite cherché à consacrer un droit écrit là où le droit coutumier était dominant. Rappelons en effet que le droit était alors perçu comme un instrument puissant pour la poursuite d’une colonisation.  Ce sont ensuite la décolonisation et l’indépendance qui furent à l’origine d’une influence accrue des droits occidentaux dans les Etats insulaires du Pacifique ; l’indépendance ne s’accompagnant pas d’un rejet de l’héritage juridique des colonies  (à l’exception du Tuvalu et des Fidji).

Cependant, l’héritage juridique de la colonisation n’est pas si manifeste dans la mesure où si les colons ont apporté les droits de traditions civilistes ou de Common Law, le partage et la transmission aux indigènes demeurèrent limités. Pour exemple, les indigènes ne participaient pas à l’administration de l’Etat et les colons réglaient les relations entre indigènes selon un droit qui était propre à ces derniers de telle sorte que s’est développé un droit spécial à côté d’un droit général, réduisant ainsi l’influence réelle des droits des Etats coloniaux. Un auteur (A.JOWITT) remarque d’ailleurs que ces circonstances expliquent la difficulté à ancrer la conception d’Etat de droit dans ces Etats.

Paradoxalement, l’indépendance a manifesté un regain d’intérêt pour les droits occidentaux mais cet intérêt doit être mesuré. En effet, c’est surtout dans les centres urbains que l’influence juridique a pu être caractérisée, les zones rurales restant soumises au droit coutumier et aux autorités coutumières. Les droits occidentaux et les concepts qui y sont attachés on en fait été utilisés de façon sélective. Un auteur résume ainsi que : « The struggle is not so much to get the « coloniser-style » state to provide the space for recognition of Indigenous interests, but rather to adjust the state so that it fits the needs of the indigenous dominated country ».

Ce phénomène met en lumière l’enjeu du droit dans les Etats insulaires du Pacifique et pose une question ne se limitant alors plus uniquement à la sphère strictement juridique: quel développement pour les Etats insulaires du Pacifique? Le droit de propriété du sol est à ce titre exemplaire. Ce domaine étant réglé par le droit coutumier, on peut y voir un frein pour l’investisseur étranger, à la recherche de sécurité juridique, se posant alors la question du développement économique des Etats insulaires. En période de crises économiques, financières et environnementales, cette question apparait centrale.

Le cas du Vanuatu

Le Vanuatu présente un intérêt en raison du caractère atypique de son administration qui résulte de la convention de Londres du 20 octobre 1906 modifiée par un protocole du 6 aout 1914 et qui confia celle-ci de façon conjointe à l’Etat français et au Royaume-Uni.

Sur le plan du droit, le protocole susvisé mettait en place un système où les ressortissants français se voyaient appliquer le droit français tandis que les ressortissants anglais se voyaient appliquer le droit anglais (l’article 1 du protocole dispose que : « (…) les mêmes droits de résidence de protection, de faire du commerce, chaque pays conservant sa souveraineté sur ses ressortissants et sur les personnes morales légalement constituées dans ces pays »). Tandis que les relations entre indigènes étaient réglées par la coutume, les autres ressortissants disposaient eux de la possibilité de choisir le droit qui leur était applicable. En conséquence, il existait quatre corps de règles applicables sur un même Etat avec pour originalité que des règles coutumières se voyaient applicables aux côtés de l’Equity et du Code civil.

Depuis l’indépendance toutefois, les règles françaises et anglaises ne continuent de s’appliquer que dans la mesure où elles n’ont pas fait l’objet d’une révocation expresse et qu’elles demeurent compatibles avec la coutume (art 95 de la Constitution). Il en résulte que la question du droit applicable devient un enjeu majeur pour le juge ni-vanuatu (National du Vanuatu) et constitue une source de complexité alors même que nous ne sommes pas dans une situation relevant nécessairement du droit international privé. Ainsi, il est juridiquement possible qu’une personne de nationalité congolaise et une personne de nationalité mexicaine s’étant mariés au Vanuatu voient leur divorce prononcé conformément aux règles de droit français. En effet, si ces derniers ont utilisé la possibilité offerte par l’article 1 du protocole et choisit la loi française comme loi applicable et dès lors que les conditions de l’article 95 de la Constitution sont remplies, le juge ni-vanuatu devra prononcer le divorce selon les règles de droit français. Cette position a d’ailleurs été confirmée par la Cour suprême du Vanuatu. (T v R [1980] VUSC 3; [1980-1994] Van LR 7).

En pratique, ces situations tendent à diminuer ; le gouvernement développant un droit propre au Vanuatu et venant remplacer la diversité de règles applicables. Par ailleurs, l’influence du droit anglais est aujourd’hui grandissante en raison du nombre important d’avocats et d’universitaires présents dans cet Etat et ayant une tradition de Common Law.

Les enjeux juridiques actuels

Ces commentaires mettent en lumière l’une des questions centrales pour les juristes du Pacifique: Comment assurer le respect de la règle de droit ? En effet, l’héritage juridique colonial n’ayant pu être véritablement reçu par les indigènes, l’investissement à réaliser par les Etats insulaires du Pacifique pour parvenir à assurer le respect des règles légales et jurisprudentielles par rapport à la coutume notamment est considérable et requiert de solides institutions. Par ailleurs, nous avons vu que la question sous-jacente à celle du droit est celle du développement économique et à cet égard, les Etats insulaires du Pacifique sont confrontés à un réel problème de corruption venant freiner le bon développement économique ainsi que le respect des droits humains. Cette difficulté constitue l’obstacle à la consolidation des institutions et par la même, le développement de règles juridiques dont la force n’est pas discutée.

La lutte contre les discriminations sexuelles ou encore la régulation de la pêche viennent compléter ce panorama des enjeux auxquels sont confrontés les Etats insulaires du Pacifique. Face à ces questions, le recours accrue à la règle d’origine légale ou jurisprudentielle semble inévitable sans pour autant mettre à mal les fondamentaux d’une société où les relations privées sont réglées encore majoritairement par des règles coutumières.

Benoît Pape

 

Pour aller plus loin:

D. LAMETHE et O.MORETEAU, “L’interprétation des textes juridiques rédigés dans plus d’une langue”, RIDC, n°2, 2006, p.327.

Y-L. SAGE, « Emergence et évolution du droit dans les petits états insulaires du Pacifique sud anglophone »,  RJP, 2001, p.24

A.JOWITT, «  The future of law in the South Pacific », Journal of South Pacific Law, n°1, 2008, p.43

 A.JOWITT, “The nature and functioning of Pacific legal systems”, Journal of South Pacific Law, n°1, 2009, p.1

A.ANGELO, “ L’application du droit français au Vanuatu”, RJP, n°3, 1997.

 T v R [1980] VUSC 3; [1980-1994] Van LR 7

 

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