La relation juridique entre Russie, Abkhazie et Ossétie du Sud : stratégie, discours et traités

Les traités sont des accords consensuels entre deux ou plusieurs sujets du droit international et ont pour objectif d’être considérés par les parties comme contraignants, et contenant des règles de conduite régies par le droit international pour au moins une des (normalement toutes les) partie(s)[1]. Cette définition ne pose pas de problème tant que les « sujets » du droit international sont des Etats souverains, établis, reconnus, et dont le statut n’est pas remis en question. Pourtant, il existe des entités politico-administratives dans le monde qui, bien que ressemblant sous bien des aspects à des Etats, ne sont pourtant pas reconnues comme tels par les 193 membres des Nations Unies, ou dont le statut est fortement disputé.

Un des cas les plus connu de la littérature scientifique internationale est celui du Kosovo, mais il y en a d’autres[2]. Un peu plus à l’est, sur le territoire de l’ex-Union soviétique, quatre entités politico-administratives ont proclamé leur indépendance au début des années 1990 et deux en 2014. Il s’agit de la Transnistrie, de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Sud et du Haut-Karabakh, et plus récemment des Républiques de Donetsk et Lougansk. Bien que ces entités rassemblent en grande partie les trois critères constitutifs de l’Etat généralement reconnus en droit international (une population, un territoire et un gouvernement)[3], leur statut reste disputé, et leur degré d’indépendance vis-à-vis de la Russie (et de l’Arménie pour le Haut-Karabakh) reste très discutable.

Parmi ces entités, seules deux ont été reconnues par des Etats membres de l’ONU. Il s’agit de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Concrètement, fin août 2008, la Fédération de Russie suivie de quelques Etats (le Nicaragua, le Venezuela et Nauru) reconnait officiellement l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme des Etats indépendants et souverains. Et elle ne s’arrête pas à la reconnaissance car le 17 septembre 2008 elle signe avec la « République d’Abkhazie » d’une part, et la « République d’Ossétie du Sud »[4] d’autre part, deux traités bilatéraux identiques d’amitié, de coopération et d’aide mutuelle. Ces traités, conçus en moins d’une semaine, ainsi que la reconnaissance, ne constituent pas des actes juridiques anodins, mais plutôt un réel revirement de la position russe à l’égard de la Géorgie.

[1] « A treaty is a consensual agreement between two or more subjects of international law intended to be and considered by the parties as binding and containing rules of conduct under international law for at least one (normally for all) of the parties. » Rudolf Bernhardt (dir.), Encyclopedia of public international law – Max Planck Institute for comparative public law and international law, Elsevier, London, 2000, vol. 4, p. 227.

[2] Toutefois, il existe de grandes différences entre les Etats non-reconnus, ou à reconnaissance limitée. Le Kosovo est reconnu par plus que la moitié des Etats au monde et il est membre de certaines organisations internationales et la Palestine est un Etat observateur de l’ONU. En revanche, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ne sont reconnus que par un nombre très réduit d’Etats et ne participent pas aux organisations internationales, et la Transnistrie et le Haut-Karabakh ne sont reconnus par aucun Etat au monde.

[3] Dans son rapport de 2009, la Commission d’enquête indépendante du Conseil de l’Union Européenne en Géorgie conclut, au sujet du statut de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, que la première peut être considérée comme une « state-like entity », bien qu’elle ne satisfasse pas aux exigences en matière de respect des droits de l’Homme, et que la deuxième a presque atteint en 2008 les critères de l’étaticité – statehood- mais qu’elle n’a pas complètement atteint celui de l’effectivité, notamment en raison de son niveau de dépendance vis-à-vis de la Russie. Report of the Independant international Fact Finding Mission on the Conflict in Georgia, septembre 2009, Volume II, pp. 134-135.

[4] La terminologie employée pour qualifier ces entités est très sensible. Utiliser le terme de « République » ou d’ « Etat » même si on ajoute une qualificatif tel que de facto ou autoproclamé(e) suggère que l’on soutienne la version abkhaze, sud-ossète ou russe, au détriment de la Géorgie. Pourtant, nous choisissons de le faire tout de même, non pas car nous souhaitons prendre position dans ce conflit, mais pour des raisons de simplicité ainsi que parce que ce mémoire traite la relation avec la Russie, qui n’est pas ambigüe et pour laquelle l’emploi des termes n’est pas conflictuel.

Ariane Bachelet

Doctorante à l’Institut de Géographie de Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, cotutelle avec l’Académie des Sciences de Russie à Moscou

Mémoire effectué dans le cadre de l’IHEI sous la direction de Mme Martin-Bidou

Note du mémoire : 15/20

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