Rémunération des dirigeants : quelles limites ?


 

Souvent présentées comme corollaire de la révocabilité ad nutum ainsi que des lourdes responsabilités pesant sur les dirigeants d’entreprises, les rémunérations attribuées à ceux-ci ont parfois pris, sous l’égide de la loi du contrat, des proportions démesurées. Face aux excès de certains, la représentation nationale a présenté les cadres d’une législation limitant les rémunérations des dirigeants. Au cœur d’un débat politique d’importance, est posée la question d’un nouveau droit de la rémunération.



 

 

« Impose ta chance, sers ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront »1. Devise de l’ancien PDG de Vivendi Universal, Jean-Marie Messier, ce célèbre mot a pu prêter à polémique lors du départ du groupe de ce dernier avec un montant d’indemnités avoisinant les 21 millions d’euros. Encore et particulièrement à l’heure actuelle, où pour beaucoup finance rime avec abus, la question de la rémunération des dirigeants d’entreprise et opérateurs du monde financier demeure ténue et l’on s’interroge sur la possibilité de limiter celle-ci. C’est dans ce contexte qu’est intervenu sous la direction de l’élu UMP, Philippe Houillon, en collaboration avec les députés socialistes, un rapport d’information sur la rémunération des dirigeants d’entreprises. Ce rapport rendu à l’Assemblée Nationale le 7 juillet 2009 envisage un grand nombre de mesures visant à mieux réglementer l’attribution des différentes formes de rémunération, ainsi qu’à poser un cadre juridique plus strict à la gouvernance d’entreprise.

 

Il importe de souligner la grande diversité des modes de rémunération perçus par les dirigeants de sociétés commerciales. Des jetons de présence attribués à l’occasion de réunions du conseil d’administration aux salaires versés aux mandataires sociaux également salariés, en passant par l’attribution d’actions gratuites, stock-options et autres rémunérations exceptionnelles pour missions particulières, les sources de rémunérations des dirigeants ne cessent de se démultiplier et de s’accumuler au gré des fantaisies du législateur et de l’ingénierie des praticiens du droit et de la finance.

 

 

 

 

Mais pour mieux cerner le problème, il faut envisager ces différents émoluments perçus par les dirigeants durant l’exercice de ses fonctions à la lumière des avantages qui leur sont consentis par la société lors de la cessation de leurs fonctions : retraites complémentaires et indemnités de départ (« retraites chapeau » et « parachutes dorés » pour les intimes).

 

Autant d’éléments de rémunération qui, sous la pression populaire, ont conduit le législateur à mieux vouloir encadrer les dirigeants d’entreprise, surtout lorsque ces dernières avaient bénéficié de l’aide de l’Etat.

 

C’est sur la question de la justification des jetons de présence que le rapport Houillon entame les hostilités. Il suggère, dans un premier temps, de revoir la rédaction de l’article L225-45 du Code de commerce, afin d’interdire l’attribution de jetons de présence au président du conseil d’administration, directeur général et directeurs généraux délégués pour leur poste d’administrateur dans la société qu’ils gèrent. Rappelons que les jetons de présence constituent le mode de rémunération traditionnel des administrateurs, qui de part leur qualité perçoivent ceux-ci au titre de leur participation aux réunions du conseil d’administration (effective ou pas). Plus encore, est envisagé de revoir le mécanisme d’attribution de ces jetons de présence et ce, afin de les attribuer au prorata temporis de participation effective de chacun selon les dossiers. Il faut saluer cette proposition qui pourrait permettre de restituer l’intérêt que chaque administrateur devrait trouver à la participation aux réunions du conseil d’administration, tâche essentielle de leur fonction.

 

Le rapport Houillon invite également le législateur à revoir les modalités d’attribution des stock-options. Initialement2 réservées aux salariés des entreprises nouvellement établies, ces droits consentis par la société permettant à leurs bénéficiaires d’en devenir actionnaires à des conditions préférentielles par un mécanisme de levée d’option, avaient fini par être accaparées par les dirigeants sur leur propre proposition3. Corroborant le rapport, une récente proposition de loi en date du 2 septembre 2009 demande la limitation des stock-options aux seuls salariés des sociétés créées au cours des cinq années précédentes. La proposition de loi étend l’interdiction à toute personne y compris salariée, pour les sociétés ayant bénéficiées d’une aide publique4.

 

 

 

 

Mais au surplus, la refonte du droit de la rémunération des dirigeants semble s’orienter vers une pleine transformation des principes de la corporate governance.

 

Longtemps « droit des forts » fait par les forts, le droit des sociétés commerciales s’est construit pour grande partie sur le principe d’autorégulation. Prônée par les rapports Vienot et Bouton, la corporate governance sur fond d’autorégulation est aujourd’hui décriée par l’ensemble de la gente politique et ce, malgré une défense acharnée par Laurence Parisot du Code de bonne conduite des dirigeants adopté par le MEDEF en 2008.

 

Suivant les constats d’un échec relatif des recommandations faites par le MEDEF et d’une liberté contractuelle aux résultats parfois outranciers, le législateur est invité à repenser le contrôle d’une détermination abusive des rémunérations. Car, là où la liberté contractuelle a failli, c’est à l’institution qu’il incombe de prendre la relève.

 

Dans le cadre de cette réfaction, est demandée la suppression de la possibilité de cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail, empêchant le mandataire social d’être rémunéré comme salarié. S’il faut saluer la volonté de séparation des fonctions au sein de la société, il n’en demeure pas moins que cette possibilité, ouverte par le Code de commerce à son article L225-225, avait pour mérite de ne pas alourdir et de faciliter la création de petites entreprises.

 

Outre la clarification des fonctions de dirigeant, le rapport Houillon insiste également sur le problème de la transparence dans la fixation de la rémunération de ceux-ci. Élément clef de la corporate governance à la française, les comités de rémunération avaient été largement salués lors de leur création, bien qu’il fut regretté que ceux-ci n’aient pas un rôle plus décisif dans la détermination des émoluments attribués aux dirigeants, celle-ci restant un processus guidé par la logique contractuelle. La question du rôle à attribuer aux comités de rémunération est donc un point majeur dans le débat d’espèce. Est ainsi proposée une forme de comité rénové et indépendant, constitué, au sein du conseil d’administration, de six membres et d’un commissaire aux comptes. Au titre de ses attributions, il devrait notamment définir, dans un rapport annuel à l’assemblée générale, les règles de fixation de toute rémunération des mandataires sociaux, y compris variable, pour le présent ainsi que la politique de rémunération à venir.

 

Enfin, les projets de réforme évoquent la possibilité d’inscrire dans divers articles du Code de commerce, une mention selon laquelle la rémunération des dirigeants ne saurait contrevenir à « l’intérêt général de l’entreprise ». Si l’on peut convenir qu’une référence proche existe déjà en droit positif6, il n’en demeure pas moins qu’une telle rédaction pourrait prêter à débat. Qu’est-ce que l’intérêt général de l’entreprise ? Le juge judiciaire doit-il se voir reconnaître une telle faculté d’appréciation ? Et surtout, qu’est-ce que l’intérêt général de l’entreprise ? Il serait tentant de rapprocher ce concept de celui « d’intérêt de l’entreprise » développé par l’école de Rennes. Serait ainsi inclus, en plus de l’intérêt des actionnaires, celui des créanciers, tels les salariés. On ne pourrait que regretter l’introduction de cette notion floue permettant au juge de s’introduire toujours plus arbitrairement dans la politique de la société.

 

Outre le sentiment d’injustice auquel il renvoie en cette période tourmentée, il apparait que le thème des rémunérations excessives soit devenu un problème social devant lequel le législateur est invité à se prononcer.

 

Il semblerait que l’antienne ait menti et qu’à te regarder, ils ne se soient pas habitués.

 

 

Alexandre Balat

 


Notes

[1] Mot emprunté à René Char.
[2] Les stock-options furent introduites en droit français par une loi du 30 décembre 1970 en tant que forme hybride d’intéressement et de participation au capital.
[3] Mécanisme d’attribution des stock-options prévu à l’article L225-177 du Code de commerce.
[4] Les articles 6 et 7 de la proposition de loi du 2/09/2009 visent les stock-options et attributions gratuites d’actions.
[5] Voir les trois conditions du cumul posées par l’article L225-22.
[6] Voir la notion de « conséquence dommageable » (article L225-41) ainsi que d’ « intérêt social » sur la déductibilité d’une indemnité attribuée à un ancien dirigeant (CE ; 9 avril 1999).

 


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