Sur la conformité de l’encadrement des peines perpétuelles au Royaume-Uni

L’arrêt Hutchinson c/ Royaume- Uni du 3 février 2015

« Nous n’en savons pas assez pour décréter que tel grand criminel soit ôté à son propre avenir, c’est à dire à notre commune chance de réparation. »[1] Cette phrase prononcée par Albert Camus afin de justifier l’abolition de la peine de mort aurait tout aussi bien pu être utilisée pour s’élever contre les peines perpétuelles incompressibles. Dans les deux contextes, c’est la question de la réintégration sociale du prisonnier qui est posée.

Peu de temps après avoir validé la perpétuité réelle française[2], la Cour européenne des droits de l’homme examine à nouveau ce type de peine, en droit britannique cette fois. Elle conclut, dans l’arrêt Hutchinson, à la non violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, jugeant que les peines perpétuelles font l’objet, dans l’arsenal juridique du Royaume-Uni, d’une possibilité réelle de libération.

Monsieur Hutchinson, ressortissant britannique né en 1941, est incarcéré dans la prison de Durham au Royaume-Uni.

En 1984, celui-ci est reconnu coupable de cambriolage aggravé, de viol et de 3 chefs de meurtre. Il est alors condamné à une peine de réclusion à perpétuité avec 18 ans d’emprisonnement comme peine punitive recommandée.

En 1994, le ministre de la justice lui fait savoir qu’il a décidé d’appliquer effectivement la perpétuité et, en 2008, la High Court juge la décision du ministre justifiée compte tenu de la gravité des infractions dont M. Hutchinson a été reconnues coupable.

Le recours formé par M. Hutchinson devant la Cour d’appel ne prospère pas.

En tout état de cause, il saisit la Cour européenne des droits de l’homme invoquant la violation de l’article 3 de la Convention relatif à l’interdiction des tortures et des traitements inhumains ou dégradants.

Le requérant estime que la peine qu’il subit constitue un traitement inhumain et dégradant en ce sens qu’elle ne lui laisse aucun espoir de libération.

Par un arrêt du 3 février 2015, la Cour conclut à la non violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Le précédent de l’arrêt Vinter

L’arrêt Hutchinson traite de l’encadrement des peines perpétuelles. En la matière, les juges de Strasbourg ont consacré un véritable droit pour les détenus à voir leur peine réexaminée.

La Cour a d’abord estimé qu’une peine perpétuelle qui n’est pas de facto et de jure compressible est incompatible avec l’article 3 de la Convention[3].

Puis, dans l’arrêt Vinter, la Cour est venue préciser les critères de compatibilité de la peine perpétuelle avec l’article 3. Elle juge que la peine perpétuelle doit offrir une chance de réexamen et d’élargissement au détenu[4].

Or, le droit du Royaume-Uni n’est pas suffisamment clair sur ce point d’après la Cour. En effet, avant l’entrée en vigueur de la loi de 2003 sur la justice pénale, la nécessité de la perpétuité réelle était automatiquement réexaminée par le ministre de la Justice au bout de 25 ans d’emprisonnement. Mais la réforme de 2003 a supprimé ce droit au réexamen prévu pour la perpétuité devant le pouvoir exécutif.

Subsistait simplement une loi applicable à tous les condamnés, complétée par une ordonnance de l’administration pénitentiaire permettant au ministre de libérer le condamné à perpétuité sur un fondement humanitaire très restrictif, celui de la maladie mortelle engageant le pronostic vital à très brève échéance.

Un arrêt de Cour d’appel R. vs. Bieber de 2009 avait même reconnu au ministre une possibilité d’élargissement plus importante compte tenu pour celui-ci de l’obligation de respecter l’article 3 de la Convention. Dès lors, la faculté d’élargissement du ministre n’était plus seulement cantonnée à l’hypothèse humanitaire prévue par l’ordonnance de l’administration pénale.

Néanmoins, l’absence de caractère clair du droit interne britannique en la matière conduisait la Cour européenne des droits de l’homme à condamner le Royaume-Uni sur le fondement de l’article 3 de la Convention.

En effet, la Cour a souligné le fait qu’il n’est pas possible de prévoir l’attitude du ministre : appliquera-t-il le fondement restrictif humanitaire issu de l’ordonnance de l’administration pénitentiaire ou s’en affranchira-t-il en appliquant l’arrêt Bieber ?

L’arrêt Vinter manifeste donc la rigueur à laquelle se livre la Cour lorsqu’elle contrôle la qualité de la loi organisant le droit au réexamen dès le commencement d’exécution de la peine.

 

La remise en cause de la jurisprudence Vinter

Monsieur Hutchinson estime son cas comparable à celui de l’affaire Vinter.

Toutefois, les juges de la Cour estiment que depuis l’arrêt Vinter les circonstances ont changé et, pour en juger ainsi, ils s’appuient sur un arrêt du juge national R v. Newell ; R v. McLoughlin [5] rendu postérieurement à l’arrêt Vinter.

La Cour d’appel britannique a en effet précisé dans cet arrêt que le droit interne fait obligation au ministre de la Justice de libérer tout détenu condamné à la perpétuité réelle dont il peut être établi que des motifs exceptionnels justifient la libération. Ces motifs doivent, d’après la Cour, être interprétés conformément à l’article 3 de la Convention.

Peu importe que les textes anglais n’entérinent pas cette jurisprudence, il appartient aux juridictions nationales de résoudre les problèmes d’interprétation de leur droit national.

Dès lors, les juges strasbourgeois estiment suffisant le contrôle du pouvoir du ministre de la justice opéré par les juridictions anglaises. La peine de perpétuité réelle fait donc l’objet d’un contrôle en droit national et ils concluent à la non-violation de l’article 3 de la Convention.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme estime que l’arrêt R v. Newell ; R v. McLoughlin a répondu aux préoccupations qu’elle avait exprimées dans l’arrêt Vinter. Elle précise que désormais le droit britannique offre aux détenus un espoir de libération si les circonstances font que la peine n’est plus justifiée.

Mais l’arrêt Bieber, antérieur à l’arrêt Vinter, ne permettait-il pas lui aussi aux détenus de bénéficier du même espoir ?

En effet, l’argumentation de l’arrêt Bieber était très similaire à celle de l’arrêt R v. Newell ; R v. McLoughlin. Les deux arrêts indiquent ainsi que les circonstances dans lesquelles le ministre de la Justice peut libérer un condamné à une peine perpétuelle doivent être interprétées en contemplation de l’article 3.

L’argument de la Cour européenne des droits de l’homme consistant à dire que l’arrêt R v. Newell ; R v. McLoughlin. a changé la donne depuis l’arrêt Vinter et permet d’établir la conformité du droit anglais à l’article 3 ne convainc pas puisque l’arrêt Bieber développait la même argumentation et ce dès 2009. Pourtant, l’arrêt Bieber n’a pas permis au Royaume-Uni d’échapper à la condamnation dans l’arrêt Vinter.

A défaut de logique juridique, peut être faut il voir dans l’arrêt Hutchinson une main tendue par la Cour européenne des droits de l’homme vers le Royaume-Uni dont les relations ne sont pas au beau fixe[6]. Quoi qu’il en soit, cet arrêt ne constitue pas un progrès dans la protection des droits des détenus. La Cour, en jugeant suffisant le contrôle des décisions du ministre de la Justice par les juridictions anglaises, marque un coup d’arrêt à sa jurisprudence ambitieuse qui visait à contrôler que la Loi permette de mettre en œuvre un droit au réexamen efficace.

La perspective offerte par l’arrêt Hutchinson est la suivante : à défaut d’une loi claire, il faudra désormais attendre du juge britannique qu’il fasse preuve de discernement dans le contrôle du l’office du Ministre de la Justice lorsque celui-ci réexaminera les peines perpétuelles.

 

Bibliographie :

  • CEDH, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, n°57592/08, Communiqué de presse du Greffier de la Cour
  • Dalloz actualité, 17 février, obs. M. Léna
  • Laurent Mortet, Que reste-t-il de l’arrêt de Grande chambre Vinter ? (à propos de CEDH, sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, req. n°57592/08, déc.), Blog « Le droit de la privation de liberté ».

 

Pour aller plus loin :

  • Evelyne Garçon, Virginie Peltier, Droit de la peine, Lexis Nexis, 2015

 

Pierre LANNE

 

[1] Albert Camus, Réflexion sur la guillotine, Paris, Calmann-Lévy, 1957, p. 166

[2] CEDH, sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req. n°40014/10

[3] CEDH, gde ch, 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, n°21906/04, RSC 2008 p692

[4] CEDH, gde ch, 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, n°66069/09, 130/10 et 3896/10, Dr. Pénal 2013. 165, obs. Bonis-Garçon

[5] Court of Appeal, 18 févr 2014, R v. Newell ; R v. McLoughlin

[6] Pour un autre débat houleux, celui du contentieux du droit de vote des détenus, voir l’arrêt récent : CEDH, 10 févr 2015 McHugh et autres c. Royaume-Uni, n°51987/08

 

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