Une nouvelle arme dans la lutte contre la rémunération excessive des dirigeants de société


Suite à une affaire d’une certaine complexité, l’ancien président-directeur général de la société Vinci a été condamné pour abus de pouvoirs dans la fixation de sa rémunération. L’occasion de revenir sur une affaire où les juges ont su faire preuve d’audace pour intervenir sur la rémunération du PDG d’un grand groupe français.


Dans cette espèce, le président de la société française cotée Vinci avait demandé au comité des rémunérations de déplafonner sa rémunération et de la déterminer de manière variable. Le comité a cependant refusé cette modification, et le PDG réussit en réaction à obtenir le remplacement de ses membres. Le nouveau comité accepta alors que la rémunération soit fixée de manière variable, ce que le conseil d’administration entérina sans discussion.

Suite à cette décision, le président avait obtenu une augmentation significative de ses rémunérations, de son indemnité de départ et du montant annuel de sa retraite, ainsi que des stock-options. Tout cela résultait de la variabilité du revenu fondée sur les dernières années de l’exercice de ses fonctions. La recherche d’un enrichissement personnel ne semblait faire aucun doute.

Une poursuite fut engagée contre le PDG devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour abus de biens sociaux, la rémunération paraissant excessive. Afin de qualifier cet abus, il faut démontrer qu’une partie de la rémunération attribuée n’est pas méritée. Or, cela apparaît très compliqué car il est toujours facile de mettre en place un lien entre l’action du dirigeant et des résultats positifs. Et de fait, les résultats de l’entreprise concernée étaient excellents, la somme à verser au dirigeant était largement supportable par la société, et la rémunération avait été fixée dans les règles de l’art, par le conseil d’administration dont c’est la fonction. Le tribunal prononça logiquement la relaxe.

Le parquet fit appel et soumit cette fois à la juridiction la qualification d’abus de pouvoirs. Ce délit est très rarement appliqué, et consiste à utiliser ses propres pouvoirs dans son intérêt propre. La cour d’appel de Versailles requalifia les faits en abus de pouvoirs, et condamna la personne poursuivie à une peine d’amende maximale de 375 000 €[1]. Il est en effet notable que la nouvelle formule de calcul de la rémunération du président ne présentait fondamentalement aucun aléa en raison des résultats financiers constamment en hausse de la société et des prévisions financières.

Un pourvoi fut formé. A l’appui de celui-ci, le PDG soutenait que le délit n’était pas qualifié car sa rémunération relevait des pouvoirs du conseil d’administration, et qu’il était donc impossible pour ce dernier d’abuser de pouvoirs qu’il ne détenait pas, ou encore qu’une simple demande de changement de calcul de rémunération ou de modification d’un comité n’était pas un abus. La Cour de cassation rejeta le pourvoi, estimant que le président avait bien abusé de ses pouvoirs en s’assurant le contrôle du comité des rémunérations[2].

Pour la première fois, la Haute juridiction admet l’application du délit d’abus de pouvoirs en matière de rémunération des dirigeants, alors même qu’il est rare que les juges répressifs prononcent des condamnations sur le seul fondement de ce délit. Cette arme peut s’avérer d’autant plus efficace que la Chambre criminelle a retenu en l’espèce une conception large des pouvoirs dont il a été abusé, car les membres du comité des rémunérations étaient nommés par le conseil d’administration, certes sur proposition du président, mais seulement sur proposition.

L’abus de pouvoirs apparaît ici comme une nouvelle arme pour le juge dans la lutte contre les rémunérations excessives des dirigeants. Il lui suffit de démontrer qu’ils ont mis en œuvre des manœuvres grâce à leurs pouvoirs pour modifier les rémunérations, sans avoir à rechercher l’excès de celles-ci. Il sera intéressant de voir si cette jurisprudence bouleversera le paysage juridique en ce qui concerne les rémunérations abusives.

Julien KOCH

 

Pour en savoir plus : Paul Le Cannu, Abus des pouvoirs : la Cour de cassation approuve la condamnation de l’ancien président-directeur général de Vinci, Revue des sociétés 2012, p. 697

 


 

Notes:[1] CA Versailles, 19 mai 2011, n° 10/01523

[2] Crim., 16 mai 2012, n° 11-85.150 ; AJ pénal 2012. 540, note B. Bouloc

 

 

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