Vers des exigences fiscales agressives de la part de l’OCDE

Contexte – Dans son rapport Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices1 , l’OCDE revient sur l’objet initial des conventions fiscales et sur le développement d’une planification fiscale agressive en résultant. Il est incontestable que le droit fiscal international est un outil indispensable à l’appui de la croissance économique mondiale. En effet, la mondialisation est une source de double imposition. Lorsque qu’une entité économique est présente dans plusieurs juridictions fiscales, la collision entre les règles de fiscalité directe respectives à ces dernières est inéluctable. Les entités économiques se heurtent à la souveraineté fiscale de chaque juridiction. Ainsi, dès 1920, il est apparu nécessaire d’éliminer la double imposition en adoptant « des règles internationales qui soient claires, prévisibles et porteuses de certitude pour les pouvoirs publics comme pour les entreprises ». Il est important de noter que, de manière sous-jacente à l’éradication de la double imposition, il y avait un objectif de sécurité et de prévisibilité juridique pour tous les opérateurs économiques. Actuellement, tel ne semble plus être le cas avec le plan d’action que propose l’OCDE. Si l’OCDE reconnaît les bienfaits de la mondialisation et du libéralisme économique, elle en perçoit également les effets pervers. En effet, les entreprises ont développé des stratégies d’implantation reposant sur le phénomène d’un tax shopping. Concrètement, les entreprises ont délocalisé leurs activités génératrices de profit, et donc de base taxable, dans des pays à fiscalité plus douce.

Ce phénomène s’est amplifié avec la dématérialisation de l’économie et le développement de l’économie numérique. Le méfait ultime en résultant étant une situation d’imposition insuffisante, voire de double non-imposition.

Rétablir un partage équilibré de l’imposition – Partant de ce constat, et d’un manque de prise en compte des législations fiscales préférentielles par les conventions fiscales internationales, l’OCDE propose que les décideurs publics doivent se concerter afin de résoudre les difficultés de l’économie mondiale via une union multilatérale. Il ne s’agit pas de remettre en cause le partage de l’imposition entre l’Etat de source et l’Etat de résidence, mais simplement de rétablir un équilibre juste et équitable de l’imposition et de palier au retard d’évolution des règles d’imposition par rapport aux modèles économiques et aux progrès technologiques. Dans la présente étude, nous allons essentiellement nous intéresser à trois actions ciblées reposant sur la transparence et la communication de mesures fiscales. Si deux de ces trois actions concernent les entreprises en les soumettant à l’obligation de faire connaître leurs dispositifs de planification fiscale agressive ainsi qu’à élaborer des méthodes d’analyse de ceux-ci, l’une concerne un acteur auquel on pourrait ne pas directement penser. Cette action concerne les Etats en tant que créateurs de régimes fiscaux préférentiels.

L’échange de renseignements spontané de la mise en oeuvre d’un régime préférentiel – L’action 5 est intitulée « Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ». Ce combat n’est pas nouveau pour l’OCDE puisqu’elle a publié en 19982 un rapport consacré aux méfaits de l’immunité de la souveraineté fiscale en tant qu’alibi pour attirer les capitaux. Sont donc visés par cette action les paradis fiscaux et les régimes fiscaux préférentiels dommageables. Ils sont dits « dommageables » puisqu’ils peuvent cacher un taux effectif d’imposition nul, rendre plus difficile – voire inexistant – l’échange de renseignements entre administrations fiscales, donner une définition artificielle de la base d’imposition, ou encore promouvoir les activités ou arrangements à motivations exclusivement fiscales. L’OCDE tente ainsi de faire cohabiter le principe de la souveraineté fiscale et l’interconnexion croissante des économies nationales. Sur ce point, nous ne pouvons qu’avoir un avis convergent.

L’antidote que prescrit l’OCDE est très ciblé et devrait porter ses fruits. Est-ce à dire que les Etats devront donc rendre des comptes avant d’établir un régime fiscal préférentiel ? Suivant la lettre du plan d’action, la réponse semble positive, jusqu’à un certain degré à tout le moins. Sous l’argument de la transparence des politiques fiscales, les Etats devront instaurer un « échange spontané et obligatoire d’informations sur les décisions relatives à des régimes préférentiels ».

D’après les commentaires de l’OCDE3 sur la clause numéro vingtsix du modèle OCDE des conventions fiscales, l’échange de renseignement peut prendre trois formes4. L’échange peut être sur demande, lorsque, à l’occasion d’un contrôle, une administration a besoin d’un renseignement précis. L’échange peut aussi être spontané, lorsqu’une administration a connaissance d’une information qui pourrait être utile à l’autre Etat5. Enfin, l’échange peut être automatique (également dit « échange d’office »), en cas de transmission automatique, sans demande préalable, d’informations relatives à certaines catégories de revenus. A l’occasion de l’instauration d’un nouveau régime fiscal préférentiel, l’Etat concerné devra donc en avertir les autres administrations. Cependant, le degré de contrainte, concernant l’obligation d’en informer les autres administrations fiscales, qui repose sur l’Etat créateur du régime fiscal préférentiel est relatif. En effet, l’échange spontané induit une certaine subjectivité puisque que l’Etat à la source du régime fiscal préférentiel devra décider ou non de l’utilité que pourra potentiellement avoir le renseignement dévoilant l’existence d’un nouveau régime. Sur ce point, il est regrettable que l’OCDE ne recommande pas un échange automatique de l’information.

Certes cela aurait été plus contraignant, mais au combien plus efficace. A ce stade, nous percevons bien que l’OCDE ne veut pas s’ingérer de manière agressive dans un domaine qui relève de la souveraineté de chaque juridiction. La condition d’une activité substantielle dans la mise en oeuvre d’un régime préférentiel – Les Etats devront également respecter une seconde obligation, liée à la première : « l’obligation de requérir une activité substantielle pour l’instauration de tout régime préférentiel ». Cette obligation illustre un mal bien connu dans le domaine de la fraude et de l’évasion fiscale : celui des coquilles vides que représentent certains sièges de multinationales. On peut imaginer que l’octroi du régime préférentiel ne se fera que si la preuve est faite que l’implantation n’ait pas un but exclusivement fiscal et qu’elle soit révélatrice d’une activité effective sur le territoire. L’approche adoptée est donc profondément économique et non plus uniquement juridique. La transparence fiscale des entreprises et les nouvelles mesures de contrôle fiscal – Les actions 11 et 12 concernent directement les contribuables et sont sujettes à plus d’appréhension de notre part. Si l’une oblige les contribuables à faire connaître leurs dispositifs de planification fiscale agressive6, l’autre propose de « mettre au point des méthodes permettant de collecter et d’analyser des données sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices ainsi que les mesures prises pour y remédier (7) ».

La mise en oeuvre de ces deux actions reste à déterminer : « il est important d’identifier le type de données que les contribuables doivent communiquer à l’administration fiscale, ainsi que les méthodologies qui peuvent être employées pour analyser ces données, et d’estimer les conséquences économiques probables des pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices, ainsi que l’impact des mesures prises pour les combattre »8. La seule certitude est que les moyens utilisés reposeront sur les résultats afin de créer une clef d’allocation économique permettant de répartir les revenus imposables entre l’Etat de résidence et l’Etat de source. L’action 12 a pour vocation d’appliquer le principe de transparence fiscale aux entreprises usant de la technique de la planification fiscale. Toujours d’après le plan d’action, les administrations fiscales auront un accès à des informations complètes et pertinentes sur les stratégies de planification fiscale. Il s’agit d’une mesure facilitant le ciblage des mesures fiscales agressives par les pouvoirs publics. En effet, au sujet des administrations fiscales, l’OCDE a indiqué, dans son rapport Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (9), que les contrôles fiscaux actuels mobilisent trop de ressources, ne sont pas adaptés aux montages à haute complexité fiscale du fait de délais trop restreints, et interviennent a posteriori par rapport à la mise en oeuvre de la planification fiscale. Il sera donc possible pour les pouvoirs publics d’intervenir en amont des agissements des entreprises. Incertitudes quant aux nouvelles méthodes de collecte et d’analyse de données basées sur le résultat – Il n’est pas question, ici, de démonter le constat de l’OCDE ni d’émettre des idées divergentes.

Cependant, comme nous l’avons évoqué lors de l’introduction, le but de l’outil fiscal international était de promouvoir une certaine sécurité juridique et fiscale pour tous les opérateurs économiques (Etats et entreprises). Or, à la lecture de ces deux actions, nous ne pouvons que nous inquiéter des conséquences dommageables qu’elles pourraient faire naître. Sans aucune prétention d’exhaustivité, nous allons dresser quelques hypothèses révélatrices de craintes potentielles. Avant toute chose, rappelons l’existence du principe de liberté de gestion des entreprises que le Conseil d’Etat a affirmé à plusieurs reprises. En effet, la décision du 7 juillet 195810 reconnaît au contribuable la faculté de ne pas rechercher obligatoirement l’optimisation maximale du profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser. Dès lors, l’administration ne peut s’immiscer dans la gestion des entreprises, à l’exception d’un acte anormal de gestion.

Il faudra donc être très prudent lors de la détermination des types de documents que le contribuable devra délivrer à l’administration fiscale. De surcroit, il ne faudrait pas que le jugement que porte l’administration repose sur des critères imprécis et subjectifs. Plus gravement encore, il ne faudrait pas que l’administration puisse délivrer des jugements d’opportunité sur les mesures de gestion de l’entreprise. De manière rassurante, cette fois-ci, les obligations documentaires devraient être rationnelles quant aux coûts administratifs pour les services fiscaux et les entreprises. De plus, les obligations en matière de documentation de prix de transfert devraient être moins contraignantes et mieux ciblées. Tout laisse à penser que de nouvelles données seront difficiles à identifier. Dès lors, ne serait-il pas plus efficace de rendre les mesures existantes dans les conventions fiscales plus contraignantes.

En effet, de nombreuses mesures anti-abus existent tant sur le plan international que national. Pour ne faire que les citer à titre principal : les « conventions d’assistance administrative » 11 , « conventions d’assistance administrative permettant l’accès aux renseignements bancaires », droit de communication de l’administration12, la déclaration de transferts de capitaux (13), les transferts indirects de bénéfices à l’étranger (14), les transferts d’actifs hors de France (15), les bénéfices provenant de sociétés établies dans un pays à régime fiscal privilégié16. Sur ce point, nous pouvons émettre un bémol. En effet, la philosophie de ce rapport est de permettre un meilleur dialogue entre le contribuable et les pouvoirs publics, de le rendre spontané, par la mise en place de nouvelles données de contrôle. De plus, tout laisse à penser que les contrôles fiscaux classiques seront moins nombreux si les difficultés sont prises en amont, sous réserve du respect des principes énoncés ci-dessus. La lutte contre la planification fiscale agressive : une technique à définir – Quant à la lutte contre la planification fiscale agressive, elle est définie comme une technique consistant à tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre deux systèmes fiscaux ou plus afin de réduire l’impôt à payer (17).

De ce point de vue, nous pouvons tout à fait comprendre la nécessité et la faculté qu’aurait l’administration fiscale à avoir accès à des informations complètes et pertinentes sur les stratégies de planification fiscale. Sans être redondant, nous pouvons encore émettre quelques craintes quant à cette action. L’adjectif qualifiant la planification fiscale n’est-il, ou ne va-t-il, pas être interprété de manière subjective ? L’administration fiscale ne va-t-elle pas faire usage d’un raisonnement téléologique, à savoir la seule réduction de l’impôt à payer deviendrait constitutive d’une planification fiscale agressive ? Quid d’une planification fiscale n’étant pas exclusivement fiscale ? De ces interrogations, nous attendons une prise de position de la part des Etats venant circonscrire ces nouvelles armes anti-abus.

A ce stade, les entreprises ne peuvent que craindre une insécurité juridique. Une fois ces premières barrières franchies, nous pouvons également nous demander quels seront les délais concernant, à la fois, les entreprises pour constituer et transférer une telle documentation, et l’administration pour « évaluer » de la consistance de la documentation. Enfin, il serait réconfortant de connaître les sanctions s’afférant à de telles obligations documentaires. Calendrier – Les recommandations concernant les données à collecter, les méthodes d’analyse et les recommandations concernant la conception de règles nationales devraient être disponibles dès septembre 2015 selon le calendrier prévisionnel du plan d’action contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices.

1 OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le http://dx.doi.org/10.1787/9789264203242-fr

2 OCDE (1998), Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial, Editions OCDE

3 Commentaires OCDE, C (26) n° 9

4 Les différentes formes d’échange de renseignements sont citées en respectant un degré de contrainte croissant

5 Ayrault L., Lamarque J., Negrin O., Droit fiscal général, Lexis Nexis, 2011, 2e édition

6 Action 12, OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Editions OCDE. http://dx.doi.org/10.1787/9789264203242-fr

7 Action 11, OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Editions OCDE.

http://dx.doi.org/10.1787/9789264203242-fr

8 Page 25, Action 11, OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Editions OCDE. http://dx.doi.org/10.1787/9789264203242-fr

9 OCDE (2013), Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, Editions OCDE. http://dx.doi.org/10.1787/9789264192904-fr

10 CE, 7 juillet 1958, 35977

11 Gouthière B., Les impôts dans les affaires internationales, Editions Francis Lefebvre, 2012, 9e édition

12 Article L. 96 A du LPF

13 Article L. 1649 quater A CGI

14 Article 57 CGI

15 Article 238 bis-0 I CGI

16 Article 209 B CGI

17 Décret 2013-509 du 17-6-2013, art. 1 : BF 8-9/13 inf. 745

 

Nicolas Mardelle
Etudiant en Master 2 Opérations et Fiscalité Internationales des Sociétés
Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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