Zoom sur la réforme des professions réglementées

Fuites ou mises en scène ? A plusieurs reprises, des extraits des versions provisoires du projet de réforme sur les professions réglementées ont circulé sur les réseaux sociaux, ne cessant d’alimenter la polémique. Le 18 novembre dernier, circulaient en effet encore sur internet 123 pages du texte provisoire.

Plus officiellement, le rapport Ferrand rendu le 3 novembre dernier, éclaire d’ores et déjà l’étendue de la réforme quant aux professions juridiques réglementées.

« Ne pas moderniser et ne pas adapter les professions dites réglementées serait les condamner » : ainsi débute le rapport du député PS Richard Ferrand, remis aux ministres de l’Economie et de la justice le 3 novembre 2014, sur les professions réglementées du droit et de la santé. La notion de professions réglementées est définie par la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, à l’article 3) 1.a) comme étant une « activité ou [un] ensemble d’activités professionnelles dont l’accès, l’exercice ou une des modalités d’exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ; l’utilisation d’un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives aux détenteurs d’une qualification professionnelle donnée constitue notamment une modalité d’exercice. » Un annuaire en ligne recense ces professions en France parmi lesquelles figurent entres autres les avocats et les notaires  [1]. Les chiffres sont parlants : le secteur des professions réglementées emploie 218 000 personnes en France pour 72 milliards de chiffre d’affaires, soit 1,6 % du PIB.

Ce rapport intitulé « Professions réglementées – Pour une nouvelle jeunesse » a pour origine l’opposition suscitée par le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) rendu en mars 2013 [2] : 37 professions et activités réglementées y étaient analysées. L’IGF mettait en cause des monopoles d’activités parmi lesquels la publicité des actes soumis à publicité foncière par les notaires, la gestion des liquidations par les mandataires judiciaires ou bien la délivrance de médicaments délivrés sans ordonnances par les pharmaciens. Au-delà de ce constat, l’IGF proposait la suppression de certains tarifs réglementés, tels que ceux des notaires sur les négociations immobilières, et recommandait le principe de liberté d’investissements et d’installation. Pour finir, ce rapport soulignait un enjeu économique non négligeable : l’IGF affirmait que cette réforme permettrait de créer des emplois (environ 120.000) tout en générant un surcroit d’activité équivalent à 0.5 point de PIB.

L’on aperçoit aisément les raisons qui font de cette modernisation des professions réglementées, un sujet fort délicat. C’est justement face à une vive opposition suscitée par le rapport de l’IGF, que le Premier ministre avait mobilisé M. Ferrand le 3 octobre dernier, pour formuler 28 propositions, dont 22 relatives aux professions du droit, visant à « renouveler, moderniser et innover ». Ainsi, après des mois de tensions entre le gouvernement et les professionnels, ce rapport de 93 pages était très fortement attendu. Or, l’on ne peut que constater la prudence avec laquelle le député a établi ses 28 propositions. Deux autres rapports seront rendus sur le sujet avant la présentation du projet de loi en Conseil des ministres en décembre prochain, ce qui laisse par conséquent une grande incertitude sur les arbitrages qui seront faits par le Gouvernement. Pour l’heure, il convient de présenter les 28 propositions du député socialiste et le compromis dont il semble s’en dégager.

 Notaires

I. Libéralisation et modernisation: les fers de lance du gouvernement.   

  • Des arguments d’ordre social

Devant une mission d’information de l’Assemblée Nationale, le Ministre de l’Economie Emmanuel MACRON dénonçait le 21 octobre 2014 « le blocage à l’égard des femmes et des plus jeunes » dans les professions juridiques réglementées. Chiffres à l’appui, ce dernier déplorait le constat suivant: parmi les greffiers de tribunaux de commerce, 77% ont plus de 50ans, 85% des notaires associés gagnant plus de 17 000€ sont des hommes. Chez les huissiers, le bilan était guère différent : 73% sont des hommes. Comparativement, le Ministre affirmait en revanche, que dans « la seule profession du droit totalement ouverte et régie par une totale liberté d’installation,[il] parle ici des avocats, ce sont 52 % de femmes et une moyenne d’âge de 43 ans« . [3]

Ainsi, il s’agirait entre autres, de lutter contre le manque de féminisation dans les professions réglementées juridiques, tout en favorisant par la même occasion une ouverture de ces branches aux plus jeunes.

Mais ce n’est pas tout. Le rapport lui-même dénonce la rigidité de certaines professions liées à « l’encadrement règlementaire de ces dernières et inhérentes à leur statut, qui remontent pour certaines d’entre elles à la loi sur les finances de 1816. » Cette rigidité engendre par ailleurs des coûts importants.

  • Des motivations également économiques

Le député PS explique que « dans le contexte européen et français d’atonie de la croissance et de stagnation du pouvoir d’achat, le Gouvernement souhaite moderniser les règles en vigueur, qui pourraient trouver leur traduction dans les projets de loi portés par le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, par la ministre de la justice, Garde des Sceaux et par la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Il s’agit, dans le strict respect des impératifs de sécurité juridique et sanitaire, de reconsidérer les paramètres légaux et réglementaires qui peuvent freiner l’activité économique, alors même que les barrières existantes ne paraissent plus motivées par des considérations d’intérêt général. Il résulte de cette situation des difficultés d’accès pour les jeunes générations et pour les salariés de ces professions à un exercice totalement indépendant ».

En effet, lors du conseil des ministres du 15 octobre 2014 [5], le leit motiv d’Emmanuel MACRON pour appuyer la réforme était bien la modernisation de l’économie française, avec en ligne de mire la suppression des obstacles au développement de l’activité. Or une des grandes priorités de cette réforme générale de l’économie passe par ce que le Ministre appelle « la levée des freins à l’activité », elle-même passant, en partie, par la modernisation du cadre des professions réglementées du droit et de la santé.

Ainsi, Emmanuel Macron résumait-il ces enjeux par cette série de mesures envisagées : « une réforme équilibrée et pragmatique des professions réglementées du droit et de la santé permettra la modernisation de ces professions. L’exclusivité de leurs missions de service public sera confirmée. La modernisation se fera sur plusieurs axes : installation et implantation facilitée, en particulier pour les jeunes professionnels, pour créer de l’activité ; ouverture de l’accès au capital pour encourager l’investissement, rendre l’activité plus efficace et encourager l’interprofessionnalité ; enfin, une réglementation des tarifs reflétant davantage les coûts réels. La loi prévoira notamment la fusion des professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire et de commissaire-priseur judiciaire dans une profession unique de l’exécution judiciaire. La concrétisation de ces principes bénéficiera des conclusions des deux missions parlementaires en cours : la mission d’information sur les professions juridiques réglementées présidée par Cécile Untermaier, et la mission auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique sur les professions réglementées confiée à Richard Ferrand. Les dispositions relatives aux professions de la santé seront reprises dans le projet de loi relatif à la santé. »

Ainsi, pour des raisons avant tout économiques et sociales, le gouvernement s’est engagé dans la réforme épineuse d’un système enraciné, et auquel la plupart des représentants reste très attaché.

II. Les grands axes de la réforme concernant les professions du droit

  • Concernant les avocats

En ce qui concerne les mesures sensibles affectant les avocats, le nouveau rapport semble aller moins loin que ce que préconisait l’IGF. Entre autres tout d’abord, la proposition 16, préconise l’ouverture du capital des sociétés d’exercice libéral entre les professions juridiques ou judiciaires et la profession d’expert-comptable, sous réserve du respect des règles d’incompatibilité.

Le rapport Ferrand tente par cette proposition 16 de trancher entre d’une part le ministère de l’Economie, largement favorable à l’ouverture du capital des cabinets d’avocats, et l’opposition d’une large partie de la profession qui craint de perdre son indépendance vis-à-vis d’actionnaires de poids tels que les banques ou les assurances. Ainsi, le député socialiste opte-t-il pour un compromis en proposant l’ouverture du capital des cabinets uniquement à d’autres professions juridiques.

La proposition n° 22  concerne quant à elle l’élargissement, en première instance, de la territorialité de la postulation au niveau du ressort de la cour d’appel et non pas la suppression de la territorialité de la postulation.

A nouveau, le député socialiste ne propose finalement pas de supprimer la « postulation », ce qui aurait eu pour effet d’obliger le justiciable à s’adresser à un avocat rattaché au ressort de son TGI, mais simplement de l’élargir au niveau du ressort de la cour d’appel. Ainsi, les petits cabinets provinciaux seront rassurés : leurs confrères parisiens ne pourront plaider où bon leur semble. Le président du Conseil National des Barreaux, Jean-Marie Burguburu, a exprimé toute sa satisfaction quant à ces préconisations. En effet, il s’est ainsi dit prêt à « s’efforcer de faire accepter par ses troupes » la postulation au niveau du ressort de la cour d’appel. »

Enfin, la proposition 23, propose d’étudier la possibilité d’accorder la confidentialité aux échanges et communications (legal privilege) entre les juristes d’entreprise et leurs employeurs. Ainsi, contrairement à ce que souhaitait Bercy, le rapport ne préconise donc pas de créer un statut d’avocat en entreprise.

  • Concernant les notaires et autres officiers publics et ministériels

Une interview [4] de Richard Ferrand, faisant suite à la publication du rapport, est assez parlante quand au compromis également établi au sujet des points de réforme complexes qui pourront toucher les notaires. A la question « Vous n’allez cependant pas jusqu’à préconiser la liberté d’installation des notaires que défendait le rapport de l’IGF. Pourquoi ? » Ce dernier répondait en disant que : « les notaires exercent entres autres des activités de service public. La nature de ces missions et les devoirs qui y sont attachés justifient que la puissance publique assure une forme de régulation de ces offices. De plus, les interlocuteurs de la mission ont très majoritairement estimé que la liberté d’installation serait de nature à déséquilibrer le maillage territorial au bénéfice de concentrations sur les villes centres ou chefs-lieux au détriment des autres territoires. »

Alors que cette mesure était l’une des plus contestées lors des manifestations du 30 septembre dernier, l’on voit à nouveau se dessiner un léger recul gouvernemental.

Cependant, bien que le rapport préconisant dans ses mesures une modernisation plus apaisée que prévu avec les professions réglementées juridiques, la proposition n°4 du rapport Ferrand propose d’ouvrir aux concours l’accès aux offices de notaires. La mission estime en effet qu’il « pourrait être opportun de substituer l’intérêt général et l’égalité républicaine à l’esprit du législateur de 1816. » Il s’agit ainsi de tenter d’éliminer les procédures de cooptation fréquentes en supprimant le droit de représentation en vigueur depuis 1816. Or, inconcevable pour certains, plus symbolique qu’autre chose pour d’autres, cette mesure ne recueille pas l’assentiment de tous les professionnels.

Faisant preuve d’encore plus d’audace, une autre mesure phare touchant à la fois les notaires mais aussi les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice, est recommandée par le député Ferrand dans la proposition n°5. Il s’agit de « la suppression du droit de présentation des officiers publics et ministériels » et la création d’un nombre significatif de postes et d’offices pour les notaires, les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice, dont la régulation serait confiée à une instance indépendante.

Or cette instance indépendante suscite l’inquiétude de la profession. Le président de la Chambre nationale des huissiers de justice en appelle à la plus grande prudence : « L’instance indépendante qui serait amenée à créer des offices doit exercer sa mission d’identification et de régulation à partir de critères objectifs ».

Ce rapport n’est cependant qu’une étape menant au projet de loi de décembre. Bien que le rapport Ferrand ait opté pour une voie de compromis, il reste difficile d’établir quels seront les arbitrages pris par le gouvernement, et les critiques des professionnels restent importantes.

III. Un projet décrié par les professions visées

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Les grèves des professions libérales auront été nombreuses au mois de septembre dernier. Le point culminant du 30 septembre, dénommé « la journée sans professionnels libéraux », aura donné lieu à des rassemblements dans plusieurs métropoles telles que Lilles, Paris, Bordeaux, Saint-Denis de la Réunion, Metz, Nancy, Dijon ou bien encore Besançon…Retour sur les principales critiques avancées par les professions libérales juridiques :

Qu’entendait-on parmi les grévistes ? « Sécurité juridique !». En touchant et aux tarifs, et aux règles d’installation, la réforme ne risque-t-elle pas en effet d’avoir quelque effet pervers sur la sécurité juridique ? C’est l’argument phare que les professions juridiques réglementées brandissent dans leur lutte contre ce projet. Selon elles, les offices s’apparenteraient ainsi à ceux d’outre-Atlantique, où pression et qualité des actes ne fonctionnent pas toujours en harmonie parfaite, le risque étant que les notaires soient moins regardants quant à la qualité des actes qu’ils instrumentent, ce qui engendrerait ainsi potentiellement une explosion des contentieux dont le taux est en effet bien plus élevé dans les systèmes concurrentiels d’inspiration anglo-saxonne que le nôtre. Là où une vente immobilière sur trois est contestée en justice aux Etats-Unis, à ce jour encore seul un acte de vente immobilière notarié sur 1100 fait l’objet d’une telle contestation. De plus les notaires dénoncent cette baisse des tarifs de 20% en ce que, dans le cas d’un mariage ou d’un décès, la fixation tarifaire de l’Etat engendrerait une rémunération à perte.

Parallèlement, selon le Conseil national des barreaux (CNB), justifier la réforme par une orientation d’ordre économique visant à développer la concurrence serait injustifiée en ce que la profession serait déjà très ouverte à la concurrence via la négociation libre des honoraires entre le client et l’avocat. Or comble de cette justification économique, l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), qui avait appelé au mouvement du 30 septembre, a présenté via son président Michel CHASSANG le vendredi 7 novembre, un rapport6 évaluant les conséquences économiques de la réforme des professions réglementées. Parmi les premiers points qui ressortent de ce rapport, une forte critique est brandie à l’encontre du rapport qui a initié tout ce mouvement réformiste : le rapport de l’IGF. Selon l’UNAPL, les justifications économiques d’une telle réforme ne seraient pas si certaines que ce qui avait été allégué, les conclusions de l’IGF n’étant que partielles et « partiales » : le problème tiendrait entre autres à ce que l’analyse repose sur la prise en compte de la moyenne des revenus des professions dites réglementées alors que les écarts entre ces revenus sont parfois très conséquents.

Pour finir, le rapport fustige la méthode même du gouvernement en parlant « d’opacité ». Selon l’UNAPL, le gouvernement aurait engagé la réforme sans même prendre la peine de se concerter avec ces professionnels en cause, ni même dessiner les contours exacts du coût même de cette réforme, qui à ce jour, demeurent en effet toujours inconnus.

Il faudra attendre le 10 décembre pour que le rapport soit définitivement présenté en Conseil des Ministres. De son côté, le même jour, le CNB a déjà appelé l’ensemble des professions juridiques réglementées à faire une grève nationale.

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Julie Martinez

Licence 3

Université Paris II Panthéon-Assas

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Notes:

[1] : http://www.ciep.fr/profession-glossary/A

[2] :Le rapport de l’IGF: http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000569-les-professions-reglementees

[3]:http://www.lepoint.fr/economie/professions-reglementees-juridiques-les-chiffres-accablants-d-emmanuel-macron-22-10-2014-1874759_28.php

[4] : Droit et Patrimoine l’Hebdo – 2014 – Interview de Laure Toury

[5] : http://discours.vie-publique.fr/notices/146002344.html

[6] : Rapport de l’UNAPL, 7 novembre 2014. Voir la note d’Anne Portmann, Dalloz Actualité, 10 novembre 2014 « Professions réglementées : l’UNAPL présente son rapport anti-réforme »

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