Le droit à la déconnexion: la technologie nous force-t-elle à faire des heures supplémentaires ?

Objets connectés, maisons connectées… salariés connectés ? Depuis plusieurs années, Internet est devenu indispensable au sein de l’entreprise au point de brouiller la limite entre vie privée et vie professionnelle.

D’après une étude réalisée par l’APEC [1], 89% des cadres estiment que les outils connectés contribuent à les faire travailler hors de l’entreprise, 63% déclarent que cela perturbe leur vie privée et seulement 23% d’entre eux disent se déconnecter systématiquement en dehors de leur temps de travail. La loi Travail, bien que fortement contestée sur de nombreux points, instaure un droit à la déconnexion [2]. Pour autant, cette mesure va-t-elle permettre de changer la donne ?

À compter du 1er janvier 2017, les entreprises de plus de 50 salariés devront négocier un accord collectif en vue de fixer les modalités d’exercice par les salariés de leur droit à la déconnexion. A défaut d’un tel accord, la loi Travail prévoit que l’employeur devra élaborer une charte après avoir recueilli l’avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Les entreprises devront également se pencher sur la question de la régularisation de l’utilisation des outils numériques, à l’instar des entreprises étrangères et notamment allemandes. Pour exemple, depuis 2011, Volkswagen a instauré un blocage de l’accès aux mails sur smartphone à 1 150 de ses salariés tous les jours de 18h15 à 7h00 mais également le week-end. De la même manière, Henkel met en place des journées sans mails et le constructeur automobile BMW inscrit les heures effectuées par ses salariés en dehors du bureau sur leur compte épargne temps. 

Toutefois, la codification du droit à la déconnexion est-elle nécessaire ? S’agit-il de légiférer sur le droit à la déconnexion ou plutôt de repenser les pratiques ancrées en entreprise ? En effet, le code du travail protège d’ores et déjà les salariés contre les abus des employeurs en matière de durée du travail. Ainsi, les heures effectuées en dehors des horaires de travail constituent des heures supplémentaires qu’il convient de rémunérer ou de récupérer. Par ailleurs, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 février 2004 [3] précisait que « le fait de n’avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier un licenciement disciplinaire ».

Si le droit du travail protège les salariés, ce sont bien les pratiques des entreprises qu’il convient de modifier. Bien que les heures effectuées en dehors du temps de travail doivent par principe être considérées comme des heures supplémentaires, de nombreux employeurs ne s’y résolvent pas. Seule solution pour les salariés : demander le paiement des heures supplémentaires devant le Conseil de prud’hommes, ce qui n’arrive qu’à la fin de la relation contractuelle ou n’arrive jamais en raison des lourdeurs procédurales mais aussi de la durée de traitement des affaires devant la juridiction prud’homale. La loi Travail apportera-t-elle alors l’impulsion nécessaire pour opérer un réel changement dans le fonctionnement des entreprises ? Il faudra attendre 2017 pour en constater les éventuels impacts.

Alicia TERDJEMANE

[1] Sondage APEC réalisé entre le 6 et le 24 novembre 2014 auprès de 450 cadres du secteur privé.

[2] Article 55 de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

[3] Cass. Soc, 17 février 2004, pourvoi n°01-45889.

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