Quid du principe de faveur au regard de la hiérarchie des normes en droit du travail ?

La loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels dite « loi Travail » du 8 août 2016 amène un certain nombre d’éléments portant sur le droit du travail et dont il sera question dans cet article de les expliciter notamment en ce qui concerne la hiérarchie des normes et le contrat en droit du travail.

Le droit du travail se caractérise par des contrats, qu’il s’agisse du contrat d’un type spécifique, le contrat de travail, ou les conventions et accords collectifs. La loi Travail semble vouloir généraliser l’accord d’entreprise ou d’établissement. En effet, cette dernière entend privilégier l’application de l’accord d’entreprise, en écartant toute clause d’une norme de niveau supérieur différente, qui ne s’appliquerait qu’à défaut de clause de l’accord d’entreprise et jouant donc un rôle supplétif et non impératif. Or, il serait insuffisant de ne dire que cela. Dans le souci d’avoir une vue synoptique, il est nécessaire de dresser un panorama d’ensemble pour comprendre quels sont les principes applicables au regard des modifications apportées par la loi Travail, et quelles sont les dispositions qui s’appliquent au salarié en cas de conflit de norme ?

L’articulation des normes entre la loi et l’accord collectif : le principe de faveur ou l’ordre public social ?

Il est possible qu’une convention ou un accord collectif puisse comporter des stipulations plus favorables au salarié que les dispositions légales en vigueur. Cependant, les stipulations des conventions ou accords collectifs ne peuvent déroger aux dispositions légales d’ordre public [1]. Dans deux décisions du Conseil d’Etat [2] et du Conseil Constitutionnel [3], a été consacré comme principe général du droit et comme principe fondamental du droit du travail, la possibilité pour un accord collectif de conter des prescriptions plus favorables au salarié que la loi ou le règlement. En revanche, le principe de faveur n’a pas une valeur supra légale et le Conseil constitutionnel a refusé de lui accorder la valeur d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui interdirait au législateur de prévoir des dérogations. Par ailleurs, la loi Travail a consacré dans le Code du travail en matière de temps de travail, repos quotidien, ou de congés payés, tout un ensemble de dispositions « d’ordre public » auquel aucune convention ne peut y déroger.

En cas de conflit entre une indemnité de licenciement conventionnelle et une indemnité légale, l’employeur devra verser l’indemnité la plus avantageuse pour le salarié [4].

Dans certains cas, la loi et le règlement ont un caractère impératif, c’est-à-dire que l’accord collectif ne peut ni y déroger, ni contenir des dispositions qui seraient plus favorables pour le salarié. C’est ainsi que les dispositions d’ordre public s’imposent à la convention collective et à l’accord collectif [5].

A titre d’exemple, en ce qui concerne le domaine de la négociation collective et de la représentation du personnel, un certain nombre de dispositions sont d’ordre public absolu. Il en est ainsi du seuil nécessaire de représentativité des syndicats (ceux qui ont « recueilli au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel, ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants » [6]. Ce seuil de 10% est d’ordre public absolu, ne laissant place ni à une négociation collective fixant un autre niveau, ni à l’interprétation souple d’un juge.

Les autres cas de figure

  •  Lorsque la loi renvoie à l’accord collectif : la délégation

Dans ce cas, le législateur laisse aux accords collectifs le soin de préciser les modalités d’application des normes qu’il a préalablement édictées. Il incombe au législateur de définir les droits et les obligations qui touchent aux conditions de travail, ou aux relations du travail, pour laisser en aval la possibilité aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser après une concertation appropriée, les modalités concrètes de mise en œuvre des normes qu’il édicte [7]. Il faut cependant que la loi encadre précisément les modalités de renvoi à l’accord collectif, il ne faut pas que ce renvoi soit large, il faut qu’il soit  suffisamment précis. [8] (QPC, du 11 avril 2014, décision 2014-388).

  • Lorsque les disposions légales, pour être appliquées, sont subordonnées à un accord collectif : la conditionnalité

La conditionnalité réside dans le fait que les dispositions légales ne peuvent s’appliquer que si une convention ou un accord collectif en utilise la possibilité. En effet, il ne s’agit pas d’une « dérogation » comme il sera vu ultérieurement, puisque la loi ne fixe pas de règle à laquelle la négociation collective porterait atteinte en organisant d’autres prescriptions. C’est le cas par exemple, du recours au contrat de travail à durée déterminée dit d’usage, qui suppose une définition par décret ou par convention ou accord collectif étendu. En dehors des CDD des secteurs visés par décret, il est impossible de recourir au CDD d’usage en l’absence de convention ou d’accord étendu. [9]

  • Lorsque l’accord collectif peut fixer des règles différentes de la loi, éventuellement moins favorables au salarié : la dérogation

La dérogation consiste en la possibilité explicitement ouverte par la loi qu’un accord collectif fixe des prescriptions différentes par rapport à la disposition légale, et ces différentes prescriptions ne sont pas systématiquement plus favorables au salarié. C’est l’ordonnance du 16 janvier 1982 qui a consacré pour la première fois la possibilité d’accords dérogatoires, en permettant de remplacer le régime d’autorisation pour effectuer des heures supplémentaires par un régime d’utilisation discrétionnaire d’un contingent annuel d’heures supplémentaires. Un accord de branche étendu pouvait fixer un niveau de contingent des heures supplémentaires sur une base plus élevée que celle prévue légalement. La dérogation n’entraine cependant pas une totale immunité : dans certains cas, il peut être appliqué des sanctions pénales en cas d’infraction. [10].

  • Lorsque les disposions légales ne s’appliquent qu’en l’absence de prescriptions conventionnelles : la supplétivité

Dans ce cas de figure, la supplétivité est la méthode par laquelle la loi prévoit la fixation de la règle par la disposition conventionnelle et ne prévoit des prescriptions applicables qu’à défaut de l’existence de prescriptions conventionnelle. C’est l’exemple de la loi du 17 janvier 2003 [11] qui avait instauré une telle supplétivité en matière de taux de majoration des heures supplémentaires. En effet, le taux pouvait être fixé par un accord collectif dans la limite inférieure de 10%, ce n’est « qu’à défaut » d’un tel accord que la loi fixait le montant (une majoration de 25% ou de 50% selon les heures supplémentaires).

Ainsi, parfois, il est de l’intérêt de l’entreprise que de conclure un accord collectif, pour éviter que s’appliquent les dispositions supplétives légales qui seraient plus favorables au salarié.

La loi du 8 août 2016 en réorganisant l’ensemble des règles relatives au temps de travail, au repos, et aux congés a multiplié les dispositions supplétives qui ne s’appliquent qu’en l’absence de prescriptions conventionnelles, ce qui a pour effet de donner un rôle croissant aux conventions et accords collectifs.

 

Suzanne GOGEN 

Master 1 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

[1] art. L.2251-1 du Code du travail

[2] CE, 8 juillet 1994, n°105471

[3] DC, 25 juillet 1989, n°89-257

[4] Cass.soc, 31 octobre 2012, n°11-21822

[5] Code du travail, art. L.2251-1

[6] Code du travail, art. L.2122-1

[7] Conseil constitutionnel, décision du 25 juillet 1989, n°89-257

[8] QPC, du 11 avril 2014, décision 2014-388

[9] Code du travail, art. L1242-2, al.3

[10] Code du travail, art. L.2263-1

[11] Loi du 17 janvier 2003, n°2003-47

 

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