Cass. Civ. 1re, 31 oct. 2012, n°11-24.324

« Res ipsa loquitur »[1] ne fait pas toujours foi en matière de responsabilité contractuelle objective.  

Cass. Civ. 1re, 31 oct. 2012, n°11-24.324

Tout créancier ne peut uniquement se targuer de l’inexécution de l’obligation de résultat incombant à son débiteur pour engager la responsabilité contractuelle de ce dernier. Tel est l’enseignement porté par cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 31 octobre dernier. Cette solution vient ainsi confirmer une jurisprudence antérieure posant la nécessité cumulative de rapporter la preuve de la causalité du dommage et de l’inexécution de l’obligation en cause, lors même que celle-ci serait de résultat[2].

En décembre 2004, un couple missionna un garagiste pour réparer la boîte de vitesse de sa voiture. Quelques temps plus tard, en novembre 2005 et mars 2006, survinrent de nouvelles pannes. Contrariés, les époux assignèrent le professionnel en responsabilité sur le fondement de l’article 1147 du Code civil. La Cour d’appel les débouta de leur demande indemnitaire, au motif notamment que le rapport rendu par l’expert judiciaire n’établissait aucunement l’imputabilité du dommage au manquement du garagiste à son obligation de réparation. Les propriétaires du véhicule se pourvurent donc en cassation, invoquant le fait que « l’obligation de résultat qui pèse sur le garagiste en ce qui concerne la réparation des véhicules de ses clients emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage », dès lors ceux-ci n’avaient pas à rapporter la preuve d’un quelconque lien entre le dommage allégué et l’exécution défectueuse du seul fait de la présomption de causalité invoquée, cette charge inversée revenant au professionnel. La Cour régulatrice ne les écouta que peu, et leur pourvoi fut rejeté, cette dernière se retranchant derrière le raisonnement des juges du fond. En professeur émérite, la Haute juridiction exposa alors que « la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste réparateur ne s’étend qu’aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat et qu’il appartient à celui qui recherche cette responsabilité, lors de la survenance d’une nouvelle panne, de rapporter la preuve que les dysfonctionnements allégués sont dus à une défectuosité déjà existante au jour de l’intervention du garagiste ou sont reliés à celle-ci. »

Si la jurisprudence a pu un temps nous induire en erreur en affirmant maladroitement que « l’obligation de résultat emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage »[3], le présent arrêt vient clarifier la situation en ce qui concerne l’obligation de réparation pesant sur le garagiste et tend à en préciser et délimiter l’objet. L’on sait désormais avec certitude que les juges ne peuvent toujours se satisfaire de la seule preuve de l’inexécution de son obligation de résultat pour condamner un professionnel défaillant, le créancier victime doit en effet établir également que le dommage subi par son véhicule trouvait son origine dans l’intervention du garagiste. La solution n’étonnera guère, il en va nécessairement de la sécurité juridique. Décortiquons-en tous les aspects.

Avec constance exemplaire, la jurisprudence pose que l’obligation de réparation du garagiste est une obligation de résultat[4], telle qu’issue de la dichotomie proposée par Demogue[5]. L’intérêt de cette qualification réside dans le fait que la responsabilité du débiteur d’une obligation de résultat ne suppose pas la preuve d’une faute. Ainsi, est-elle engagée du seul fait de l’inexécution, c’est-à-dire dès lors que le résultat escompté n’est pas atteint. Seule la cause étrangère pourrait en libérer le débiteur, la démonstration de son absence de faute étant inopérante. La responsabilité contractuelle, du fait de l’inexécution d’une obligation de résultat, se présente alors comme une responsabilité sans faute, objective, ce dont la Cour de cassation semble ici convenir lorsqu’elle vise “la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste réparateur[6].

Toutefois, à lire strictement certaines décisions[7], l’on eût pu comprendre à tort que l’inexécution du résultat promis se présentait comme l’unique condition d’engagement de la responsabilité du débiteur d’une telle obligation, la simple démonstration de la non-atteinte du résultat escompté suffirait. Pareille considération ne serait guère prudente, ainsi ne faut-il pas nécessairement se fier à toutes les présomptions qui lui sont attachées. Posées comme dérogation aux principes classiques de répartition de la charge de la preuve[8], celles-ci déchargeraient le créancier et imposeraient, à l’inverse, au débiteur de supporter le risque de la preuve. Si la présomption de causalité visant le lien entre l’inexécution et le fait du débiteur peut se justifier, celle concernant la causalité entre l’inexécution et le dommage demeure le plus souvent infondée, ce notamment si l’on se réfère plus spécifiquement à l’obligation de réparation d’un garagiste. En témoigne l’arrêt commenté.

La première n’est autre qu’une présomption d’imputation de la défectuosité du résultat à l’action du débiteur. L’obligation de résultat est ainsi assimilée à une présomption de faute cependant que l’on ne présume pas en réalité une faute entendue au sens strict mais seulement un fait causal, cette « faute » contractuelle imposant que ne soit pas nécessairement porté un jugement de valeur sur le comportement du débiteur. Ce dernier est ainsi systématiquement présumé être la cause objective de la défectuosité du résultat. La certitude de la technique à mettre en œuvre par ce débiteur légitime ainsi que l’on puisse lui reprocher le défaut du résultat convenu. La démonstration d’une faute stricto sensu n’est toutefois pas totalement dénuée d’intérêt : qualifiée de lourde ou dolosive elle permettra, le cas échéant, d’écarter des clauses limitatives de responsabilité dont pourraient se parer certains professionnels. Tout défaut d’un résultat promis implique donc une présomption de causalité le liant à l’activité du débiteur.

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En revanche, la seconde présomption tendant à établir une relation causale entre le dommage et l’inexécution ne peut être approuvée. L’on ne peut simplement et en toutes circonstances la déduire de la première. Les trois frères Mazeaud et Chabas nous rappellent ensemble qu’« il est en effet nécessaire non seulement que la non-obtention du résultat promis ait été causée par une exécution défectueuse mais aussi que le dommage invoqué trouve lui-même sa source dans la défaillance du résultat. »[9] Ceci serait autrement méconnaître la spécificité de la responsabilité contractuelle dont le fait générateur nodal est l’inexécution qu’il faut impérativement insérer entre le fait du débiteur et le dommage. Ce second aspect de la relation causale est d’ailleurs appréhendé spécifiquement par l’article 1151 du Code civil[10] qui vise en son sein les suites immédiates et directes de l’inexécution.

Or, dans l’hypothèse nous concernant, admettre une présomption de causalité entre l’inexécution et le dommage reviendrait à imposer au garagiste de prévenir toute défaillance ultérieure à son action, y compris celle dont la cause n’existerait pas au moment où il est intervenu. Plus encore, l’allègement dont bénéficierait le créancier supposerait en ce cas qu’il n’ait pas à prouver l’existence de l’obligation de réparation du débiteur. Son objet ne peut pourtant s’étendre aussi dangereusement. Pleine de bon sens, la Cour régulatrice n’a d’ailleurs pas validé cette analyse. Il ne suffit pas qu’un créancier démontre l’existence d’un dommage concomitant à une prestation pour engager la responsabilité contractuelle de son débiteur, il est nécessaire d’indiquer que ce dommage se rattache immédiatement et directement à l’inexécution. Précision utile : entre l’intervention du garagiste et la première panne, onze mois s’étaient écoulés et 12.000 kilomètres avaient été parcourus…

L’on ne peut ainsi accuser le garagiste de tous les malheurs frappant sa voiture. A juste titre, Leveneur[11] retenait qu’ « au garagiste on peut seulement reprocher de ne pas avoir décelé ce qui pouvait l’être ». N’allons donc pas exiger qu’il anticipe tous les éventuels dysfonctionnements futurs. Certes, selon Pierre Dac[12], « le médium cherche une courroie de transmission de pensée », mais laissons notre garagiste à ses courroies de transmission tout court.

« Il ne faut pas pousser le bouchon trop loin. » Les contours de l’obligation de réparation du garagiste sont ainsi cernés, à tout le moins n’est-elle en réalité qu’une obligation de résultat « atténuée ». L’on ne lui demandera pas non plus de se substituer à une obligation de garantie illimitée. C’est comme ça et pas autrement.

Clarisse Duhau

En savoir plus :



[1] La chose parle d’elle-même.

[2] Cass. 1re civ., 14 mars 1995, n°93-12.028, Bull. civ. I, n° 122 ; RTD civ. 1995. 635, note Jourdain – Cass. 1re civ., 28 mars 2008, n°06-18.350.

Plus récemment, à propos de l’obligation de révision du garagiste, Cass. 1re civ., 4 mai 2012, n°11-13.598, F-P+B+I, SAS Azur Autos c/ M.

[3] Cass. 1re civ., 2 févr. 1994 ; Bull. civ. I, n° 41 ; JCP G 1994, II, 22294, note Delebecque. – Cass. 1re civ., 20 juin 1995 ; Bull. civ. I, n° 263. – Cass. 1re civ., 27 oct. 1997 : préc. n° 59. – Cass. 1re civ., 8 déc. 1998 ; Bull. civ. I, n° 343 ; Gaz. Pal. 1999, 2 somm. p. 408, obs. Peisse ; Contrats conc. consom. 1999, comm. 38, obs. Leveneur. – V. déjà, Cass. 1re civ., 22 juin 1983 : Bull. civ. I, n° 11 ; RTD civ. 1984, obs. Rémy. – Cass. 1re civ., 15 nov. 1988 : D. 1989, jurispr. p. 179, note Malaurie.

Ou selon une formule voisine “une présomption de causalité entre la prestation fournie et le dommage invoquée” : Cass. 1re civ., 16 févr. 1988.

[4] Cass. 1re civ., 16 févr. 1988 : Bull. civ. 1988, I, n° 42. – Cass. 1re civ., 19 juill. 1988 : Bull. civ. 1988, I, n° 245. – Cass. 1re civ., 8 déc. 1998 : Bull. civ. 1998, I, n° 343 ; Contrats, conc. consom. 1999, comm.38, note L. L.

[5] René Demogue (1872-1938) a distingué les obligations de résultat des obligations de moyens, distinction unanimement accueillie par la doctrine et consacrée par la jurisprudence. Celle-ci présente un grand intérêt sur le terrain de la charge de la preuve.

[6] Voir aussi Cass. com., 22 janv. 2002, n°00-13.510 : Resp civ. et assur. 2002, comm. 175 ; RTD civ. 2002. 514, obs. Jourdain.

[7] Cf. décisions précitées au 3

[8] Article 1315 alinéa 1er du Code civil : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. »

[9] H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. 2, vol. 1, Montchrestien, 1998, n° 562.

[10] « Dans le cas même où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention. »

[11] Revue Contrats Concurrence Consommation n° 8, Août 2012, comm. 199 ; Révision générale par le garagiste : obligation de résultat, mais quel résultat ?; Commentaire par Laurent LEVENEUR.

[12] André Isaac, dit Pierre Dac, né le 15 août 1893 à Châlons-sur-Marne et mort le 9 février 1975 à Paris, était un humoriste et comédien français.

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