Faut-il réviser les décisions définitives d’acquittement ?

Article finaliste du concours « Décrochez la une » des éditions LexisNexis, publié dans La Semaine Juridique Générale (JCP G).

 

L’actualité judiciaire fait parfois figure de juste prétexte, à l’évolution juridique. Domaine vivant, le droit doit entendre la revendication publique, sans compromettre sa cohérence. L’affaire Jacques Maire a mis en lumière l’unilatéralité de la procédure de révision, uniquement applicable en matière de condamnations définitives. Ledit cas intervient alors qu’est débattue une proposition de loi sur la révision, supposée en faciliter l’accès.

Peut-on, dès lors, tolérer que la partie civile se heurte à l’autorité de la chose jugée, lorsque l’innocence de l’acquitté est grandement discutée ? Le droit pénal doit-il se faire l’écho des émotivités, contre celui dont la culpabilité n’a pas emporté l’intime conviction?

C’est à ces questionnements que nous nous évertuerons à apporter des réponses, tout en songeant que le « châtiment réel, le seul efficace, le seul qui effraie et apaise (est) celui qui consiste dans l’aveu de sa propre conscience[1] » et ne répond pas à la mécanicité.

1. Assurée par l’élévation de certains principes, la protection de la personne fait figure de visée prioritaire, dans une matière pénale où les libertés sont compromises. Si cette dernière doit se faire un indice de démocratie, elle n’est pas un matériau façonnable à l’envi. Sa manipulation appelle une vigilance exacerbée du législateur, tenu d’en sauvegarder la cohérence. Le « pragmatisme répressif[2] » doit conditionner sa détermination, en dépit des sensibilités momentanées.  A cet égard, l’autorité de la chose jugée délimite l’intervention de la main judicaire, sans toutefois l’entraver. Exprimée par l’adage « non bis in idem »,  ladite autorité « s’oppose à tout nouvel échange sur des faits définitivement jugés[3] ». Le justiciable doit être prémuni contre les implications d’une réouverture éventuelle des débats, par l’immuabilité des décisions rendues.

2. L’actualité judiciaire invite cependant à se défier des certitudes. L’autorité de la chose jugée est parfois une entrave au jaillissement de la vérité. Certaines affaires révèlent la faillibilité de la justice, qui n’a pouvoir que de déceler une conviction. Lorsque la réalité absolue contrarie  la réalité judiciaire, la société est astreinte à la reconnaissance de son erreur. Par suite, elle doit disposer d’un instrument rectificatif à même de restreindre la portée de l’autorité de la chose jugée. L’article 622 du code de procédure pénale consacre ainsi un droit à la révision pour toute personne condamnée, lorsqu’un doute sur sa culpabilité éclot.

3. A l’ occasion d’une proposition de loi relative « à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive[4] », un amendement a été déposé pour étendre les cas de demandes en révision à la personne reconnue non coupable d’un crime ou d’un délit[5]. Si cet amendement a été rejeté[6], nous devons nous interroger sur sa compatibilité avec l’esprit de notre droit pénal.  La vérité judiciaire doit-elle être corrigée au prix d’une révision in defavorem ?

Parmi les voies de recours extraordinaires du Livre III du code de procédure pénale, figurent les demandes en révision. En ce qu’elles ne concernent que les personnes définitivement condamnées (I), il appert épineux d’en révolutionner l’essence (II).

I- Une révision in favorem nécessaire

 

Le pouvoir de juger n’est pas un pouvoir quelconque. La condamnation pénale emporte des effets que seule la certitude de la culpabilité peut entretenir (A). Lorsqu’elle n’intervient pas là où elle le devrait, son besoin est légitime (B).

A) Des condamnations erronées remédiables 

4. Le législateur doit concilier l’autorité de la chose jugée et l’imperfection d’une justice humaine. Aussi, l’article 622 du code de procédure pénale énumère les quatre cas dans lesquels la révision d’une condamnation définitive peut être demandée.  Le quatrième cas d’ouverture est celui du fait nouveau « de nature à faire naitre un doute sur la culpabilité du condamné[7] ». Institué par la loi du 8 juin 1895 modifiant le code d’instruction criminelle, il est le plus fréquemment invoqué[8].

5. Le pourvoi en révision permet à la personne définitivement condamnée d’obtenir l’annulation de sa condamnation. L’erreur judiciaire est corrigée, moyennant une introspection de l’autorité judiciaire.  Celle-ci a été induite en erreur, par une représentation parcellaire de la réalité. On peut relever la rareté des acquittements intervenus à l’issue d’une procédure en révision. Seuls huit sont dénombrables depuis 1945[9]. La cour d’assises du Rhône[10] devra dire si M. Christian Iacono succède à M. Marc Machin, dernier acquitté après pareille procédure[11].

6. La révision répond à un double fondement : « accorder à la victime d’une erreur judiciaire une réparation morale et matérielle d’une part, exercer des poursuites ultérieures contre le véritable coupable d’autre part[12] ». Le législateur a cherché à édifier une voie de droit extraordinaire, lorsque l’autorité de chose jugée ne résiste pas à l’incontestabilité des faits. Elle illustre le sens donné à la réforme du code pénal, intégrant « la primauté donnée à la personne humaine[13] ». De nombreux principes, tels que la personnalisation des peines et la rétroactivité in mitius, font de ce Code la manifestation de la philosophie humaniste propre à notre société démocratique. D’une certaine façon, la discussion de l’autorité de la chose jugée en est l’ultime prolongement. Elle suppose l’acceptation du principe même de l’erreur et ses conséquences sur le rayonnement public de l’appareil judiciaire. La justice se garde d’une trop grande rigueur, en admettant la perfectibilité de ses décisions. Le réalisme incite à reléguer la stabilité judiciaire, pour ne pas en faire une pierre d’achoppement contre la reconnaissance de l’innocence de la personne condamnée. Celle-ci transcende le concept structurant le droit, pour s’ériger en une réalité reconnue.

7. Toutefois, lorsque sont raffermis les droits de la personne prise dans le cyclone judiciaire, ceux des victimes se retrouvent généralement affaiblis. Cet affaiblissement procède d’un choix législatif, confessant l’impossibilité d’introduire un parfait équilibre entre les droits de la victime et ceux de l’auteur de l’infraction.

En effet, outre que la révision puisse profiter au condamné se prévalant d’un « fait nouveau », elle manque d’un dispositif  comparable, pour la partie civile (B).

 B) Une révision de la décision d’acquittement en pendant

 

8. Le « parallélisme des procédures » imposerait que la partie civile puisse se prévaloir d’un « fait nouveau », lorsque la personne poursuivie a été injustement acquittée. Tel était le sens des amendements déposés en commission sur le texte n°1700. La révision d’une décision pénale définitive devait notamment pouvoir être demandée par la partie civile[14], dans l’hypothèse d’un fait nouveau « de nature à établir indubitablement la culpabilité de la personne reconnue non coupable[15] ». Ces amendements épousent une conception répressive de la justice, en concédant un droit à la partie civile de remettre en cause la décision définitive d’acquittement.

9. Cette initiative législative se greffe sur une proposition de loi ambitionnant une mise en œuvre facilitée de la procédure de révision des condamnations pénales définitives[16]. En sus d’impliquer une révision in defavorem, les amendements précités enjoignent à considérer la place de la partie civile dans le procès pénal. En cherchant à instaurer ce cas nouveau de révision, le législateur entend les revendications de cette dernière. Certains auteurs mettent néanmoins en garde contre le dévoiement de l’action publique[17], dont le ministère public est le naturel détenteur.  Dès lors, l’aménagement d’une procédure de révision des acquittements devrait prendre en considération la subjectivité de la partie civile. Le parquet entretient un rapport neutre avec l’évènement, indispensable à l’examen du fait censé établir la culpabilité. De ce fait, il devrait avoir l’apanage de cette voie de droit extraordinaire.

A tout le moins, le législateur fait œuvre d’antagoniste au cheminement libéral de la révision. Dans sa version antérieure au 1er octobre 1989[18], l’article 622 du code de procédure pénale imposait un fait « de nature à établir l’innocence du condamné ». L’appréhension élargie du fait nouveau participe de la consolidation d’un dispositif utilisable par le seul condamné. Si l’ « affaire Jacques Haderer[19] » a mis en lumière une carence pour la partie civile, elle doit nous interdire de légiférer sur l’exceptionnel. Elle met, bien au contraire, les principes du droit pénal à l’épreuve du ressenti (II).

II- Une révision in defavorem impropre

L’aménagement d’une procédure de révision applicable aux acquittements dérogerait à l’autorité de la chose jugée (A). En sus de contrevenir à l’esprit habitant la matière pénale, il éveillerait nombre de questionnements (B).

A) Autorité de la chose jugée et révision in defavorem

10. La révision de la décision d’acquittement, à l’initiative du ministère public ou de la partie civile, se heurterait à l’autorité de la chose jugée, en soumettant la personne à de nouvelles poursuites, pour un même fait.

11. Si le débat de la chose jugée s’explique lorsque le condamné y consent, il en irait autrement dans le cas contraire. Le principe  non bis in idem est notamment consacré par l’article 4 du Protocole n°7 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 15§7 du Pacte international sur les droits civils et politiques.  Il fait, en droit interne, l’objet d’une attention législative particulière, puisque les dispositions de l’article 368 du code de procédure pénale prévoient que « aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente ».

12. Connue du droit romain et révolutionnaire, la règle ne doit souffrir que de rares exceptions. La limitation de ces dernières coïncide avec la liste des personnes susceptibles d’introduire un recours en révision. La présomption irréfragable de vérité[20] de la décision répressive n’est que trop grave, pour se voir régulièrement renversée. Son irréversibilité marque l’achèvement du procès pénal, alors que le principe non bis in idem est atténué devant les juridictions d’instruction. La révision conduit à la cassation du jugement de condamnation. L’insécurité judiciaire est une renonciation faite à l’autorité de la chose jugée, pour se prémunir contre la permanence des effets de la condamnation.

13. L’autorité de la chose jugée ne doit tolérer pour autre exception que celle prévue pour l’innocent. Si la révision bénéficiant au condamné s’explique aisément, il en va autrement pour son pendant. Il s’agit d’une procédure consentie et non subie. Sa perspective favorable rejoint celle évoquée de la rétroactivité mais également du raisonnement par analogie[21], exclusivement admis lorsqu’il bénéficie à la personne poursuivie.

14. Une révision in defavorem entérinerait un dévoiement de cette voie de recours extraordinaire. Gardien de la cohérence normative, le législateur ne doit pas céder à l’opportunisme. La personne acquittée est « quitte[22] » et son sort dépasse la compétence de l’autorité judiciaire.

La préservation de l’esprit du droit peut dérouter la partie civile, certaine de la culpabilité a posteriori. Le bien-fondé  de ses probables revendications incite  à ne pas réduire le débat au seul argument tiré de l’autorité de la chose jugée (B).

B) La systématisation de  la révision in defavorem

15. Le procès pénal évolue outre des considérations purement probatoires, pour atteindre une intime conviction. Le système des preuves légales a été aboli sous la Révolution[23], au profit d’un système abandonnant au juge une appréciation souveraine de la preuve. Sans sacraliser ce dernier, nous devons le préserver de machinaux affronts.

16. La reconsidération de l’intime conviction, dans des hypothèses déterminées par le législateur, impliquerait une verbalisation du doute. Au vu des circonstances, celui-ci ne pourrait être simple.  En effet, si un simple doute se justifie pour le condamné, eu égard à sa situation, il serait à manipuler précautionneusement pour l’innocenté. Nous devrons prévenir le risque de générer des espérances nouvelles pour les proches de la victime et celui de jeter encore le voile du soupçon sur l’innocenté.

17. La « preuve indubitable de la culpabilité» n’existe jamais vraiment, sans quoi le procès pénal serait l’affaire exclusive des scientifiques. De surcroit, admettre l’existence d’une telle preuve enjoindrait la juridiction de renvoi à retenir la culpabilité de la personne à nouveau poursuivie. Par raisonnement quasi sophistique, nous en déduirions la reviviscence du système de la preuve légale.

18. Par ailleurs, nous devons ajouter à ces développements le lien étroit existant entre la révision et la conservation des scellés. En effet, précipiter une décision d’acquittement imposerait de repenser leur conservation. La révocabilité des acquittements aboutirait à la survivance des affaires, dépendantes de l’irruption de nouveaux éléments. Bien que l’argument économique ne doive, en la matière, pas  trouver grâce, le risque de détérioration des preuves exigerait de nouveaux moyens.

19. Si la justice doit corriger ses erreurs lorsqu’elle emporte la condamnation, elle doit laisser en paix l’acquitté, contre lequel toutes les voies de droit ont été utilisées. Point n’est ici question de lui impartir un « droit au crime » mais d’affirmer un seuil à l’intervention judiciaire. L’admission d’une procédure de révision à l’initiative du ministère public ou de la partie civile rectifierait une inégalité, au prix d’une instabilité continuelle. En modifiant plus que de raison le droit, nous finirions par en faire l’objet de nos émotivités.

20. Nous devrons attendre qu’une proposition en ce sens aboutisse, pour voir la question déférée au Conseil constitutionnel. Celle-ci serait un prétexte propice, pour déterminer la valeur juridique du principe non bis in idem. En matière pénale, ce dernier ne doit pas être perçu comme un obstacle à la remise en cause des condamnations mais comme conférant une juste autorité auxdites décisions. Bien qu’une telle affirmation soit politiquement inopportune, la justice doit pouvoir reconnaître ses erreurs, sans que cette reconnaissance ne change le sort de l’acquitté ayant résisté à la conviction populaire. Quelles limites pourrions-nous trouver à la multiplication des révisions, si l’acquittement ne clôt plus définitivement les débats ? Le doute n’est-il pas censé profiter à l’accusé, et uniquement à l’accusé ?

 

Vincent BRENGARTH

Etudiant à l’Ecole de Formation professionnelle des Barreaux de la cour d’appel de Paris

Diplômé master 2 de droit pénal et sciences pénales de l’Université Paris II


[1] Les Frères Karamazov, folio classique, Dostoïevski, p.111.

[2] Bernard Bouloc, Droit pénal général, collection précis Dalloz  droit privé, 22ème édition, p.67.

[3] Yves Mayaud, Répertoire de droit pénal et de la procédure pénale/ violences volontaires, §5. Autorité de la chose jugée .

[4] Proposition de loi n°1700 de M.Alain TOURRET et plusieurs de ses collègues, déposée le 14 janvier 2014.

[5] Assemblée nationale, 14 février 2014, proposition n°1700, amendement n°CL6.

[6] Dalloz actualité 03 mars 2014, La révision in defavorem ne se fera pas… dans l’immédiat, Antonin Péchard avec Caroline Fleuriod.

[7] 622, 4°, Code de procédure pénale, partie législative.

[8] Jurisclasseur, fasicule 20 : demandes en révision, 23 novembre 2009 avec mise à jour du 4 février 2014, Henri Angevin, Conseiller honoraire à la Cour de cassation.

[9] Dalloz actualité 23 mai 2013, Révision : vers un nouvel acquittement ?, Lucile Priou-Alibert.

[10] Cour de cassation chambre criminelle, arrêt n°991 du 18 février 2014 (13-85.286).

[11] Huit ans après son procès, Marc Machin est acquitté en révision, Lemonde.fr article du 20/12/2012.

[12] Encyclopédie Dalloz, Pénal VII Poll-Si, développements sur la révision.

[13] Droit pénal général, ouvrage de Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, p.56.

[14] Assemblée nationale 14 février 2014, Amendement n°CL7 (rejeté).

[15] Assemblée nationale 14 février 2014, Amendement n°CL6 (rejeté).

[16] Exposé des motifs, proposition de loi n°1700.

[17] Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Partie civile, Philippe Bonfils.

[18] Article 622 4°, modifié par loi n°89-431 du 23 juin 1989.

[19] Affaire Haderer : acquitté, son ADN le met en cause 27 ans après, article de Leslie Bourrelier publié le 30/01/2014 sur le site Lefigaro.fr.

[20] Adages du droit français- Litec quatrième édition- Henri ROLAND et Laurent BOYER.

[21] Droit pénal spécial, 2ème édition Dalloz, Cours Dalloz, Christophe André, §2 les rapports du droit pénal spécial avec le droit pénal général, A) le principe de la légalité des délits et des peines (5).

[22] Avis sur la révision des décisions pénales en cas d’erreur judiciaire, AP 13 février 2014, CNCDH.

[23] Procédure pénale, Précis Dalloz 23ème édition, Bernard Bouloc.

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